lundi 8 avril 2024

STRANGE WAY OF LIFE (Pedro Almodovar, 2023)


Silva traverse le désert à cheval pour rendre visite à son vieil ami Jake, devenu shérif. Ce dernier a appris que la femme de son défunt frère a été assassinée par Joe qu'elle avait pris pour amant et qui a été formellement identifié à cause de sa claudication quand il est sorti de chez elle. Ayant juré de veiller sur elle, Jake se fait un devoir d'arrêter son assassin.
  

Lorsque Silva se présente à son bureau, Jake est surpris mais heureux de le revoir. Les deux hommes dînent ensemble et, l'ivresse les gagnant, ils couchent ensemble. Mais le lendemain matin, Jake croit avoir compris pourquoi Silva est là : Joe, son fils, est justement l'amant criminel qu'il recherche. Silva a beau nier, il est prié de partir sans tenter d'entraver la justice...


Strange Way of Life n'est pas à proprement parler un film dans la mesure où il ne dure qu'une trentaine de minutes. C'est donc un court métrage, le deuxième en langue anglaise écrit et filmé par Pedro Almodovar après une adaptation de La Voix Humaine de Jean Cocteau en 2020 avec Tilda Swinton. Il va d'ailleurs officiellement tourner son premier long métrage en anglais avec cette dernière et Julianne Moore sous peu.


Le cinéaste espagnol, emblème de la Movida post-franquiste, cherche visiblement, après une riche carrière riche en récompenses, succès critique et public, de nouveaux territoires à explorer, de nouveaux défis à relever. On ne peut que saluer cet effort de sortir de sa zone de confort alors que n'importe qui rêverait de financer ses projets et de jouer dedans.


Ce n'est pas la seule singularité de Strange Way of Life puisque Almodovar investit qui plus est le genre du western. Mais à sa façon évidemment, unique et transgressive. Bien entendu, on peut ne lire dans cette brève histoire qu'un énième prétexte pour le cinéaste de raconter une romance gay, sauf que ce n'est pas si simple.

En vérité, l'objectif d'Almodovar est plus subtil : il n'est certes pas du genre à cacher sa sexualité ni son goût pour les personnages la partageant, mais ici il veut confronter les archétypes du western à ce qui est souvent resté traité de façon suggérée dans les classiques du genre américains. La complicité des cowboys entre eux est devenu un sujet de plaisanterie jusqu'à ce que des réalisateurs du Nouvel Hollywood dans les années 60-70 ne l'abordent frontalement. Missouri Breaks, d'Arthur Penn avec Marlon Brando et Jack Nicholson, en est un des exemples les plus originaux (je le cite parce que j'ai vu qu'il allait bientôt repasser sur Arte et je vous recommande vivement de le découvrir).

Il y a 25 ans, Silva et Jake, les héros de Strange Way of Life, étaient des jeunes hommes qui, ayant invité des prostituées à une beuverie, ont couché ensemble, tout à fait conscients de ce qu'ils faisaient. Puis leurs routes se sont séparées : Silva a tenu un ranch à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique quand Jake est devenu un notable arborant une étoile de shérif et jurant de protéger sa famille. Silva a eu un fils, Jake une aventure avec sa belle-soeur puis a perdu son père et son frère avant qu'elle soit récemment assassinée.

Le suspect n° 1 n'est autre que le propre fils de Silva et quand celui-ci vient rendre opportunément visite à Jake, très vite le shérif pense que son ancien amant est venu plaider la cause du fugitif. Pourtant Silva jure que s'il tient à la vie de son voyou de rejeton, il est revenu pour renouer avec Jake...

Le format ramassé de cette fiction n'empêche pas Almodovar d'être à la fois fidèle à ce qu'on connaît de lui - son goût pour les couleurs vives (comme la veste verte de Silva), l'amour sincère et profond entre deux hommes, le poids du destin, les coïncidences tragiques - et de surprendre - par la sobriété du récit, le dilemme impossible qui se pose entre Silva et Jake, le dénouement étonnamment paisible.

Filmé à Almeria, où tous les westerns spaghettis furent tournés, la photographie tire admirablement parti de ce cadre tout en ne s'éloignant jamais trop de l'essentiel, c'est-à-dire de ces deux hommes déchirés entre leur passé et le présent. Il y a là la matière à un beau mélo qui fait regretter que Almodovar n'ait pas choisi de développer son histoire en un long métrage, surtout avec deux acteurs du calibre qu'il dirige. Mais en même temps, cette frustration prouve qu'il a atteint son objectif : convaincre que la langue anglaise n'était pas un obstacle pour son cinéma et justement donner envie d'en voir plus.

Pedro Pascal incarne Silva avec une douceur poignante qui a quelque chose de proprement désarmant. Ethan Hawke est plein d'une colère intérieure qui rend son personnage complexe, pris dans une situation où ses serments affrontent ses sentiments. On est très loin de la caricature qu'on pouvait redouter avec ces deux vedettes devant la caméra d'un excentrique auteur.

Strange Way of Life n'est donc pas le Duel au soleil d'Almodovar, mais une oeuvre miniature d'une belle finesse. 

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