De ce point de vue, Snake Eyes fait partie de ses sommets. C'est même une sorte de synthèse entre ses longs métrages grand public (comme Les Incorruptibles) et ces dingueries B (comme Body Double). Il dispose ici d'un scénariste en pleine bourre (David Koepp, monsieur Jurassic Park 1, Mission : Impossible 1 et L'Impasse - déjà avec de Palma derrière la caméra - , Spider-Man 1, Panic Room, La Guerre des Mondes - sacré CV !), d'un casting quatre étoiles), d'un compositeur génial (le regretté Ryuchi Sakamoto), mais pour un polar tapageur, avec des morceaux de bravoure esthétique.
Tout démarre d'ailleurs par un fameux faux plan-séquence de 16' si bien foutu qu'on ne voit même pas quand il y a des raccords. La steadycam évolue en suivant Rick Santoro sur plusieurs étages et plusieurs pièces, accélérant, freinant, revenant en arrière, panotant à la vitesse de l'éclair, zoomant, dézoomant, ça n'arrête pas et c'est totalement grisant. Du pur de Palma. Vraiment génial. Evidemment, c'est un hommage au plan séquence au début de La Soif du Mal d'Orson Welles mais fait crânement avec l'intention visible de dépasser le maître.
Ensuite, l'intrigue est survoltée, le tensiomètre explose, le film est en constante surcharge. C'est volontairement too much, la réalisation, l'histoire, les rebondissements, le surjeu des acteurs. Mais de Palma va tellement vite qu'il ne laisse pas le temps au spectateur de souffler et même quand il se calme, il reste une intensité telle qu'on s'attend quand même au pire. Tout est trop tordu, trop irréaliste, mais ce n'est pas grave : le sujet du film est ailleurs. Comme le dit l'accroche sur l'affiche : "Croyez tout sauf ce que voient vos yeux".
Et Snake Eyes, qui désigne une combinaison maudite au jeu, cache en fait un formidable exercice de style sur le regard et les apparences. C'est donc un film "de Palmesque" au possible, car le cinéaste a toujours assumé son voyeurisme, surtout quand il avait un script merdique à filmer (voir Fatale, un nanar invraisemblable mais jubilatoire dans son mauvais goût). Le récit est truffé de caméras, de points de vue, qui vont révéler la vérité à Rick Santoro mais aussi le faire salement morfler. De Palma use de tous les artifices possibles à sa disposition : ralentis, caméra subjective, survol des décors. Ce casino est en fait une gigantesque maison de poupées et les protagonistes ne cessent de cavaler d'une pièce à l'autre, de dévaler des escaliers, de grimper dans des ascenseurs, de claquer des portes.
La compression de la narration (puisque l'action se déroule en seulement quelques heures, hormis la toute fin - qui n'était pas celle initialement écrite : de Palma voulait en effet terminer par un raz de marée sur Atlantic City mais le studio a dit non et le cinéaste s'est ensuite "vengé" en multipliant les allusions à cet événement dans les dialogues réécrits par Koepp) ajoute à la dimension exagérée du produit. Tous les réactions, les émotions de personnages sont outrancières, à commencer par celles de Santoro, ce flic ripou qui va se révéler en héros - un retournement de situation tellement énorme qu'il fait d'abord rire avant de susciter notre compassion pour ce qu'il endure.
Evidemment, cette façon de faire exige la complicité du spectateur : soit on marche tout de suite, soit le film est vite et irrémédiablement pénible. Mais si vous acceptez la proposition de de Palma, alors, c'est un gros kif.
Et alors, vous allez vous délecter des numéros de Gary Sinise en militaire soupçonneux, de Carla Gugino (dans un de ses premiers rôles) en ingénue sexy, et surtout de Nicolas Cage remonté comme jamais - il en fait vraiment des tonnes mais qu'est-ce qu'il est drôle ! C'est étonnant que lui et de Palma n'aient jamais retravaillé ensemble après.
Un film à revoir et à réévaluer comme la filmo de Brian de Palma.
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