vendredi 12 avril 2024

SNAKE EYES (Brian de Palma, 1998)

 

Atlantic City. Une nuit orageuse. Rick Santoro, un flic véreux, va assister au match de boxe opposant le champion des poids lourds Lincoln Tyler à son challenger Jose Ruiz. Il retrouve sur place son meilleur ami, le commandant des Marines Kevin Dunne, qui escorte le secrétaire d'Etat à la Défense Charles Kirkland et l'armateur Gilbert Powell. Ces trois-là reviennent d'un déplacement à Norfolk en Virginie où ils ont assisté aux essais d'une nouvelle batterie de missiles destinée aux armées américaine et israélienne.


Le combat débute et Tyler est déjà en difficulté. Dunne remarque une plantureuse rousse assise au premier rang qui ne semble pas intéressée par ce qui se joue sur le ring et il décide d'aller lui demander ses papiers. La place de Dunne est aussitôt prise par une belle blonde platine en tailleur blanc, Julia Costello, qui glisse un mot à Kirkland, assis au second rang. Dunne, lui, poursuit la rousse qui tente de fuir.



Lorsque Ruiz envoie Tyler au tapis, des coups de feu retentissent. Kirkland est touché à la gorge par un premier tir, puis un second touche légèrement la blonde au bras gauche. Dunne abat le tireur.Un mouvement de panique s'empare du public qui évacue la salle dans la plus grande confusion. La blonde en profite pour se carapater. Dunne resurgit et ordonne que tout le casino soit bouclé avec ses 14 000 spectateurs et tous les clients dans la salle des jeux et leurs chambres d'hôtel.



Dunne et Santoro s'isolent dans un couloir : le militaire sait que sa responsabilité est engagée mais son ami le rassure, il est devenu un héros en abattant le tireur. Ils accordent leurs versions des faits à l'avantage de Dunne et conviennent de se partager les investigations. Dunne va chercher la rousse, Santoro la blonde et ensemble ils vont tirer ça au clair en attendant l'arrivée du FBI. Sauf que Rick ne se doute pas qu'une vaste conspiration a été à l'oeuvre...



Un jour, peut-être, les historiens du cinéma américain rendront à Brian de Palma l'hommage qu'il mérite et qui le situe, selon moi, au même rang que ses illustres collègues ayant percé dans les années 70, comme Scorsese, Coppola, Spielberg, Lucas. Si je dis ça, c'est parce qu'il est de bon ton de considérer de Palma comme un cinéaste vulgaire, maniériste, moins noble en somme que ceux que je viens de citer.



Seulement, pour ma part, j'ai toujours estimé que de Palma ne jouissait pas de suffisamment d'égards. Scorsese m'ennuie souvent avec con côté catholique tourmenté. Coppola s'est souvent égaré dans ses projets énormes. Lucas ne m'a jamais paru être un auteur passionnant, encore moins un visionnaire. Et Spielberg est surtout un entertainer de génie. De Palma, lui, est comme il est, il n'a jamais couru après les honneurs et la respectabilité mais c'est justement ce qui le distingue.

 


Il est aisé de mépriser de Palma en ricanant sur son obsession pour le cinéma de Hitchcock, son amour de la série B, ses films de commande acceptés pour se refaire la cerise en deux bides, son goût immodéré pour la mise en scène la plus tape-à-l'oeil possible. Mais je défie quiconque de s'ennuyer devant un de ses films, même le plus ridicule, le plus grotesque parce qu'à chaque fois il sort au moins une scène, une séquence inoubliable.

De ce point de vue, Snake Eyes fait partie de ses sommets. C'est même une sorte de synthèse entre ses longs métrages grand public (comme Les Incorruptibles) et ces dingueries B (comme Body Double). Il dispose ici d'un scénariste en pleine bourre (David Koepp, monsieur Jurassic Park 1, Mission : Impossible 1 et L'Impasse - déjà avec de Palma derrière la caméra - , Spider-Man 1, Panic Room, La Guerre des Mondes - sacré CV !), d'un casting quatre étoiles), d'un compositeur génial (le regretté Ryuchi Sakamoto), mais pour un polar tapageur, avec des morceaux de bravoure esthétique.

Tout démarre d'ailleurs par un fameux faux plan-séquence de 16' si bien foutu qu'on ne voit même pas quand il y a des raccords. La steadycam évolue en suivant Rick Santoro sur plusieurs étages et plusieurs pièces, accélérant, freinant, revenant en arrière, panotant à la vitesse de l'éclair, zoomant, dézoomant, ça n'arrête pas et c'est totalement grisant. Du pur de Palma. Vraiment génial. Evidemment, c'est un hommage au plan séquence au début de La Soif du Mal d'Orson Welles mais fait crânement avec l'intention visible de dépasser le maître.

Ensuite, l'intrigue est survoltée, le tensiomètre explose, le film est en constante surcharge. C'est volontairement too much, la réalisation, l'histoire, les rebondissements, le surjeu des acteurs. Mais de Palma va tellement vite qu'il ne laisse pas le temps au spectateur de souffler et même quand il se calme, il reste une intensité telle qu'on s'attend quand même au pire. Tout est trop tordu, trop irréaliste, mais ce n'est pas grave : le sujet du film est ailleurs. Comme le dit l'accroche sur l'affiche : "Croyez tout sauf ce que voient vos yeux".

Et Snake Eyes, qui désigne une combinaison maudite au jeu, cache en fait un formidable exercice de style sur le regard et les apparences. C'est donc un film "de Palmesque" au possible, car le cinéaste a toujours assumé son voyeurisme, surtout quand il avait un script merdique à filmer (voir Fatale, un nanar invraisemblable mais jubilatoire dans son mauvais goût). Le récit est truffé de caméras, de points de vue, qui vont révéler la vérité à Rick Santoro mais aussi le faire salement morfler. De Palma use de tous les artifices possibles à sa disposition : ralentis, caméra subjective, survol des décors. Ce casino est en fait une gigantesque maison de poupées et les protagonistes ne cessent de cavaler d'une pièce à l'autre, de dévaler des escaliers, de grimper dans des ascenseurs, de claquer des portes. 

La compression de la narration (puisque l'action se déroule en seulement quelques heures, hormis la toute fin - qui n'était pas celle initialement écrite : de Palma voulait en effet terminer par un raz de marée sur Atlantic City mais le studio a dit non et le cinéaste s'est ensuite "vengé" en multipliant les allusions à cet événement dans les dialogues réécrits par Koepp) ajoute à la dimension exagérée du produit. Tous les réactions, les émotions de personnages sont outrancières, à commencer par celles de Santoro, ce flic ripou qui va se révéler en héros - un retournement de situation tellement énorme qu'il fait d'abord rire avant de susciter notre compassion pour ce qu'il endure.

Evidemment, cette façon de faire exige la complicité du spectateur : soit on marche tout de suite, soit le film est vite et irrémédiablement pénible. Mais si vous acceptez la proposition de de Palma, alors, c'est un gros kif.

Et alors, vous allez vous délecter des numéros de Gary Sinise en militaire soupçonneux, de Carla Gugino (dans un de ses premiers rôles) en ingénue sexy, et surtout de Nicolas Cage remonté comme jamais - il en fait vraiment des tonnes mais qu'est-ce qu'il est drôle ! C'est étonnant que lui et de Palma n'aient jamais retravaillé ensemble après.

Un film à revoir et à réévaluer comme la filmo de Brian de Palma.

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