samedi 6 avril 2024

ARIZONA JUNIOR (Joel Coen, 1987)


Braqueur de supérettes, Herbert dit "Hi" rencontre Edwina dite "Ed" quand elle le photographie lors d'une de ses nombreuses incarcérations au pénitencier de Tempe, Arizona. Il apprend que son fiancé l'a quittée et il la demande alors en mariage après une énième libération. Elle accepte de l'épouser et ils s'installent dans un mobil'home dans le désert tandis que Hi décroche un poste dans l'atelier d'usinage de Glen, le beau-frère de Ed.


La prochaine étape pour le couple est d'avoir un enfant mais Ed découvre qu'elle est stérile et ils ne peuvent adopter à cause du casier judiciaire de Hi. Tout bascule lorsqu'ils apprennent la naissance des quintuplés de Nathan Arizona, un magnat local, et de sa femme, "plus qu'in l'en espérait" de leur propre aveu. Hi et Ed se mettent alors en tête de kidnapper un des bébés, estimant que cela équilibrera le choses.


La petite famille est désormais au complet et peut savourer son bonheur. Sauf que Glen devine rapidement que l'enfant est celui qui a té enlevé et pour lequel le père promet une récompense de 25 000 $. Puis deux anciens compagnons de cellule de Hi s'évadent et viennent lui demander de les héberger avant qu'eux aussi comprennent quel profit ils peuvent tirer de la situation. Mais le chasseur de primes Lenny Smalls est aux trousses de tout ce beau monde...


La première fois que j'ai vu Arizona Junior, j'étais lycéen et c'était lors d'une projection au ciné-club de mon bahut. J'étais un adolescent à la cuture cinéma très limitée - je n'aimais que regarder des westerns, ayant quasiment appris à lire en suivant les aventures de Lucky Luke, Blueberry et Comanche. Pour ne rien arranger, je me souviens encore de la rage de dents qui me faisait souffrir ce soir-là mais qui ne me découragea pas d'accompagner mon meilleur ami à cette séance.


90' plus tard, je sortais de la salle ravi, ayant beaucoup ri tout en étant troublé par cette comédie au dénouement tendre. C'était un sentiment que je n'avais jamais éprouvé auparavant et qui est resté vif dans mon souvenir. Je venais de faire connaissance avec le cinéma des frères Coen, er rien ne serait plus comme avant.


Ho, bien sûr, il y eût des hauts et des bas ensuite dans leur filmographie, mais j'ai toujours suivi avec intérêt leur filmographie et récemment encore, j'ai pris énormément de plaisir en voyant Drive-Away Dolls, le dernier long métrage de Ethan Coen. Mais je n'ai jamais revu Arizona Junior, craignant un peu que la magie n'opère plus autant que la première fois. C'était il y a quand même plus de 35 ans (putain ! 35 ans !).
 

Et puis hier, j'ai sorti le DVD et je l'ai lu. Là, première surprise : si le scénario a bien été co-écrit par Ethan et Joel Coen, seul ce dernier est crédité à la réalisation. Ensuite, il y a le rythme trépidant qui vous embarque immédiatement, et sans plus vous laisser de répit pendant 1h. 30, dans le sillage de Hi et Ed, des frères Snoats, de Lenny Smalls, de Nathan Arizona et de ses quintuplés, en particulier de Nathan Jr..

Non, le film n'a pas vieilli et il procure toujours ce même plaisir grisant, délirant, jouissif. L'intrigue est complètement échevelée mais repose sur une base tout de même assez poignante, avec ce couple qui ne peut avoir d'enfant alors qu'un magnat local en a cinq d'un coup. - "plus qu'il n'en espérait", dit-il à la presse comme s'il se rendait compte de la charge que cela allait représenter.

Dès lors, même si c'est insensé, le projet de Hi et Ed n'est pas si grotesque que ça car il relève d'une injustice que le spectateur n'a aucune difficulté à apprécier : pourquoi de braves gens qui ne demandent qu'à fonder une famille en sont empêchés quand d'autres, déjà dépassés par ce que ça signifie, ont plus de progéniture qu'il ne leur en faut ? Alors, oui, même si ce n'est pas orthodoxe, on est avec Hi et Ed, à fond.

Les péripéties qui émaillent le récit sont ébouriffantes et poussent tous les curseurs dans le rouge, comme autant de nouveaux obstacles. Il y a Glen qui propose une partouze à Hi, il y a Gale et Evelle qui pousse Hi à renouer avec son passé de bandit, il y a Lenny le chasseur de primes tout droit sorti de Mad Max, autant de figures mémorables, comme surgis de cauchemars comme ceux que fait Hi de manière quasi prophétiques. Cela, je l'avais complètement oublié mais sous la farce se cache quelque chose de plus trouble, le poids du destin, un déterminisme social qui écrase les individus comme Hi et Ed, et contre lequel ils luttent avec l'énergie du désespoir.

Alors, oui, on rit beaucoup, avec cette caméra folle, ses angles de prise de vue insensés, ces mimiques cartoonesques impayables, ces rebondissements absurdes (le bébé constamment oublié par Gale et Evelle, la meute de chiens poursuivant Hi, le flegme irrésistible du bébé Arizona...). Mais une émotion imprévue vous rattrape sur la toute fin quand un nouveau rêve de Hi semble annoncer un futur radieux après toutes ces avanies.

Il y a dans l'énergie déployée du script et de la mise en scène quelque chose qui ressemble encore à une sorte de pudeur de la part des Coen, préférant rire de tout avant d'admettre que cette histoire est cruelle. C'est aussi remarquable dans l'interprétation de Nicolas Cage, déchaîné mais qui avec son regard de chien battu semble porter tout le poids du monde sur les épaules, et de Holly Hunter, déterminée coûte que coûte à réaliser son rêve maternelle jusqu'à ce que le vernis craque. On a un peu oublier ce que ces deux jeunes acteurs alors (Cage avait 23 ans, Hunter 29)produisaient, leurs rôles ici ayant été éclipsés par d'autres films ensuite (au hasard Leaving Las Vegas pour lui, La Leçon de Piano pour elle), mais quel fabuleux couple de cinoche ils formèrent.

Bref, ne vous privez pas, même si vous l'avez déjà vu, de revoir Arizona Junior. C'est très marrant et en même temps, vous serez émus.

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