vendredi 19 avril 2024

ROXXON PRESENTS THOR #1 (Al Ewing / Greg Land)


La compagnie Roxxon est propriétaire des comics Marvel et publie les aventures de Thor. Mais dans cette version, le dieu du tonnerre s'appelle Chad Hammer et défend les valeurs capitalistes de son employeur contre des altermondialistes inspirés par Loki...
 

Il y a deux semaines, dans le n°9 de The Immortal Thor, le fils d'Odin tombait dans un piège tendu par Dario Agger/ le Minotaure, patron de Roxxon, allié à Amora l'Enchanteresse et Skurge l'Exécuteur. La compagnie Roxxon était devenue propriétaires des comics Marvel et grâce à la magie d'Amora, réécrivait les aventures du dieu du tonnerre, affaiblissant ainsi Thor quand il séjournait sur Terre.
 

A la fin de l'épisode, diminué par le combat qu'il venait de mener contre Amora et Skurge, Thor recevait des mains du Minotaure un exemplaire du comic-book en question. Al Ewing nous dévoile dans ce one-shot ce qu'il contient et donne à voir une mise en abyme jubilatoire.


Des personnages de comics qui découvrent qu'ils sont justement des personnages de comics, c'est un procédé qui n'est pas neuf. Grant Morrison , par exemple, l'a souvent exploité, dès ses débuts chez DC dans la série Animal Man jusqu'à The Multiversity. Mais il faut savoir l'utiliser à bon escient pour que ce soit efficace, que ça apporte une plus-value au projet du scénariste.
 

Al Ewing se prête aujourd'hui à cet exercice périlleux dans le cadre le plus inattendu qui soit et le personnage le plus surprenant pour cela : Thor. De manière plus malicieuse que pamphlétaire contre l'éditeur qui l'emploie, le scénariste imagine à quoi cela ressemblerait la confrontation entre un héros aussi noble que Thor et sa version dans un comic-book produit par une compagnie dénuée de scrupules comme la Roxxon qui, par ailleurs, met en danger la Terre à cause de la manière dont il pille les ressources naturelles, causant par la-même la colère d'anciens dieux résolus à juger l'humanité.

Le résultat est croustillant et une de ses idées les plus brillantes est d'en avoir confié les dessins à Greg Land. Pour les fans de comics, Land incarne l'archétype de l'artiste dévoyé : au début de sa carrière, il était considéré comme un talent prometteur, à la technique élégante. Puis, par paresse ou par défaut d'un vrai talent durable, il est devenu sa propre caricature avec des personnages qu'il a calqués dans des périodiques érotiques, avec des poses improbables, des expressions complètement décalées.

Greg Land est donc l'artiste parfait pour synthétiser le style putassier qu'aurait un comic-book aussi dégradant pour l'image de Thor que ce Roxxon presents Thor. dans cette version, le dieu du tonnerre n'est rien d'autre qu'un abruti souriant en permanence avec ses dents bien blanches, dans son costume scintillant, brandissant son marteau estampillé Roxxon, se déplaçant dans un van énorme. Ce n'est plus vraiment un dieu mais plutôt un homme-sandwich qui ne comprend rien à rien, surtout qu'on critique son patron et sa multinationale.

Des altermondialistes défilent devant le siège de la Roxxon, il les chasse en un éclair puis écrase une larme en déplorant l'ingratitude de ces opposants au capitalisme sauvage. Le Minotaure lui bourre le crâne avec son idéologie libérale tandis que Amora l'Enchanteresse et Skurge l'Exécuteur ont identifié Loki comme l'inspirateur de ces rebelles de pacotille. Pour corser un peu tout ça, Roxxon Thor en pince pour Amora et réciproquement mais celle-ci est déjà en couple avec Skurge et donc chacun garde ses sentiments pour lui. Quant à Loki, s'il encourage les actions des altermondialistes, il le fait davantage pour pourrir l'existence de son demi-frère et de leur père que par conviction.

Al Ewing s'amuse visiblement beaucoup en imaginant cette fiction parallèle ultra cynique et très mièvre des aventures de Thor. Il nous amuse aussi et nous fait réfléchir sur la façon dont un puissant éditeur faisant partie d'une compagnie bien plus large (comme Marvel avec Disney) pourrait se servir des créations d'un catalogue pour propager un discours militant justifiant l'injustifiable. Le scénariste n'est pas plus clément avec ceux qui combattent ladite compagnie, prouvant facilement que leurs idées et leurs actions sont inefficaces et naïves, désordonnées et à la merci d'autres profiteurs.

Le contraste entre les dessins de Land, encrés par Jay Leisten et colorisés par Frank d'Armata, trop souriants, trop lumineux, trop artificiels, et cette critique impitoyablement satirique est redoutable. On s'étonne même que Marvel laisse un auteur, même acclamé comme Ewing, ricaner aussi ouvertement. Ewing aurait sans doute pu aller encore plus loin dans le sarcasme mais ce faisant, il aurait scié la branche sur laquelle il est assise. Pourtant, il y aurait de quoi dire, sans exagérer pour le coup, sur certaines des vraies méthodes de "la maison des idées" qui, plus d'une fois, s'est mal comportée avec ses auteurs et les droits légitimes qu'ils avaient sur leurs personnages...

Mais en l'état, l'effort reste tout de même très habile et louable. Al Ewing ose un truc improbable et culotté à son échelle, rare dans le monde aseptisé des comics actuels où tout le monde se tient droit, le doigt sur la couture du pantalon pour ne pas perdre sa place, entre des editors interventionnistes et des fans intransigeants. A voir maintenant comment tout ça pèsera sur la suite de The Immortal Thor...

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