lundi 1 avril 2024

THE IMMORTAL THOR, VOLUME 1 : ALL WEATHER TURNS TO STORM (Al Ewing / Martin Coccolo)


Depuis la mort de son père Odin, Thor est devenu le roi d'Asgard et le Père-de-tout, veillant sur les neuf royaumes portés par l'arbre-monde Yggdrasilcélestes. Dans un passé récent, les batailles qu'il a menés auprès de ses amis ont abouti à la destruction du Bifrost, autrefois gardé par Heimdall (mort au combat) et désormais par Lady Sif. 
 

Thor intervient donc dans diverses provinces pour s'assurer que la paix demeure. Il repousse une énième attaque des géants de glace de Jotunheim au coeeur de laquelle se trouve la forteresse d'Utgard et dont Loki, son demi-frère, dieu la malice, est originaire. Loki aide d'ailleurs ensuite à recréer le Bifrost, ce qui permet à Thor de descendre sur Terre/Midgard, dont il est aussi le protecteur et où se trouvent ses amis, les Avengers. Les humains lui réservent un accueil toujours aussi chaleureux.


Mais alors que Thor contemple New York depuis le sommet de la Statue de la Liberté, un orage d'une violence inouïe éclate. Le dieu du tonnerre tente, en vain, de le maîtriser quand il voit débarquer un géant traînant une roue immense et se présentant comme le véritable dieu originel des éléments, Toranos. Le combat est inévitable pour épargner la population voisine mais Thor est en grande difficulté et doit puiser dans ses ressources, convoquer la Force d'Odin pour éloigner son adversaire.


L'effort consenti le force au repos et il s'envole pour gagner le Lune, où Loki l'attend. Epuisé, Thor ne peut contrer la manoeuvre de son demi-frère qui l'expédie sur une planète inconnue où, pour en sortir, il doit résoudre une charade. Il ne s'agit pas d'un jeu mais d'un test qui doit lui permettre de trouver une solution pour vaincre Toranos avant son retour inévitable...


Tout d'abord, je dois préciser que je vais me cantonner à la critique des cinq premiers épisodes de série lancée par Al Ewing et Martin Coccolo, bien que le sommaire de ce premier trade paperback contient aussi un Annual de 2023, écrit par Collin Kelly et Jackson Lanzing et illustré par Ibraim Roberson. Pourquoi ? Parce que ce dernier s'intègre au run de Donny Cates et Torunn Gronbekk qui a précédé le lancement de The Immortal Thor et je ne comprends pas pourquoi Marvel l'a intégré à ce recueil.


Il y a par ailleurs suffisamment à dire sur The Immortal Thor. Revenons pour démarrer sur les aventures du dieu du tonnerre de Marvel juste avant : le run de Donny Cates ne m'a franchement pas convaincu, je l'ai laissé tomber au bout de trois arcs narratifs, malgré les dessins magnifiques de Nic Klein. Le scénariste, lui, n'a pas achevé son histoire, victime d'un grave accident de la route dont il se remet encore, remplacé par Torunn Gronbekk.

Marvel avait donc besoin de confier Thor à un auteur fiable et avec un projet à long terme. Cette valeur sûre, c'est Al Ewing qui, patiemment, ces dernières années, a accédé à des séries populaires (notamment en rejoignant le pôle d'auteurs de la franchise X-Men) et qui a connu un énorme succès critique et commercial avec Immortal Hulk.

Ewing a défini son ambition sur The Immortal Thor comme son Nouveau Testament alors que Immortal Hulk était l'équivalent de l'Ancien. Mais au-delà de ces références bibliques, ce qui frappe surtout, c'est le retour aux sources pour ce héros pas comme les autres, car Thor n'est pas un justicier pourvu de super-pouvoirs mais un être divin issu du folklore nordique, et c'est bien ainsi que Jack Kirby l'a adapté (quoiqu'on pense de l'association Stan Lee/Jack Kirby, aujourd'hui il y a consensus pour dire que Thor était vraiment l'oeuvre de Kirby plus que celle de Lee, peu passionné par la mythologie et davantage porté sur les héros à problèmes plus terre-à-terre).

Cela se traduit en premier lieu sur un plan esthétique : en effet, même si Alex Ross, le cover-artist de la série s'attribue tous les mérites des designs, on ne peut lui accorder celui d'avoir repenser le look de Thor ici puisqu'il reprend en tous points celui créé par Kirby (Ross a plutôt imaginé Thor quand il convoque la Force d'Odin et devient iridescent, ce qui est représenté ici sous une forme très pop-art). Thor retrouve son casque avec des plumes sur les côtés et dit adieu aux côtes de maille que lui avait greffé Olivier Coipel (durant le run, bref mais excellent, qu'il avait dessiné d'après les scripts de J. Michael Straczynski).

Avant Donny Cates, le dieu du tonnerre a été animé par Jason Aaron (et une belle troupe d'artistes, comme Esad Ribic, Nic Klein déjà, Ron Garney, puis Russell Dauterman, Steve Epting, Valerio Schiti quand Jane Foster a brandi Mjolnir pendant une période, courte mais magistrale). Aaron avait alors décidé de ne plus recourir à certains éléments comme Donald Blake, l'ater ego de Thor, et Ewing fait de même (alors que Cates l'avait brièvement ramené pour un arc).

Ewing s'appuie donc à son tour sur un Thor qui est uniquement le dieu du tonnerre et le roi d'Asgard puisque Odin est mort. En sa qualité de Père-de-tout, il est le gardien des neuf royaumes portés par l'arbre-monde Yggdrasil mais aussi et encore le protecteur de Midgard, la Terre. Bien entendu, Odinson reste un membre régulier des Avengers qu'il a contribué à fonder (et qui figure donc au générique de la série actuellement écrite par Jed MacKay).

L'objectif de Ewing pour cette série, c'est comme son titre l'indique de questionner l'immortalité de Thor. Qu'est-ce que ça veut dire exactement ? Thor est certes immortel comme tout dieu qui se respecte, mais ça ne signifie pas qu'il est éternel, qu'il a toujours été là. Il y a son père avant lui (Odin), son grand-père (Bor). Et il y a eu d'autres dieux encore avant (mais là-dessus, le scénariste n'y vient que dans l'arc actuellement en cours de publication). Cela, Thor va en prendre douloureusement conscience quand il va affronter le géant Toranos venu d'Utgard et qui veut juger l'humanité (d'abord, et le reste des royaumes ensuite).

Malgré sa puissance, Thor ne vient à bout de cette créature qu'au prix d'efforts terribles. Loki profite que son demi-frère soit épuisé par ce combat pour lui jouer un drôle de tour qui est en fait un autre test. Ewing a consacré une magnifique série à Loki (Agent d'Asgard, dessinée par Lee Garbett) et l'a réutilisé ensuite dans ses deux mini-séries Defenders : on sait donc que c'est un personnage qu'il affectionne particulièrement - sur un plan autant artistique que personnel puisque Ewing se définit comme non-binaire comme le dieu de la malice.

Et en définitive, c'est cette ambivalence qu'il va explorer chez Thor en se servant de Loki comme révélateur. Loki n'est pas dépeint comme un ennemi sournois qui tente d'abuser de son demi-frère et envie sa situation, mais plutôt comme un conteur qui à travers les histoires qu'il raconte veut enseigner à Thor de meilleures façons de se défendre (et donc de défendre tous ceux qui dépendent de lui). Ainsi, quand il l'expédie sur une planète en profitant de sa fatigue, c'est pour l'exposer à des défis stimulant davantage son intellect que sa force, autrement dit pour lui fournir des armes auxquelles il ne pense pas spontanément. 

Et ces enseignements paient puisque Thor va changer sa façon de se battre et surtout de vaincre, en usant lui aussi de ruse, en s'appuyant sur des alliés. Ewing donne au dieu du tonnerre une épaisseur nouvelle, une richesse de caractère inédite. Ce n'est plus seulement ce gars avec un physique de bûcheron et un gros marteau mais un stratège, élève de Loki. Très malin et très bien pensé et écrit.

Ewing est un fin connaisseur de l'histoire de son éditeur et donc quand il sélectionne les acolytes de Thor, il se sert avec intelligence chez Chris Claremont, Walt Simonson, Jason Aaron, tout en conservant la puissance narrative et plus frustre de Jack Kirby. C'est le meilleur des mondes : les passionnés de la continuité sont ravis, les néophytes ne sont pas perdus, et surtout ceux qui veulent lire du Thor intelligent sont aux anges. Enfin, au terme de ces cinq premiers épisodes, on sait que le plan de Ewing va loin, qu'il ne fait que commencer à installer une mythologie nouvelle avec l'évocation d'Utgard via l'apparition de Toranos (il mentionne un démiurge, et d'autres dieux venant du même endroit que Toranos).

Thor, comme Daredevil, est un personnage qui a souvent été gâté visuellement. Et Marvel a misé sur Martin Coccolo, récemment promu "stormbreaker" (le surnom donné par l'éditeur à la promotion annuelle de jeunes artistes sur lesquels il parie pour l'avenir). Celui-ci avait déjà fait parler de lui sur un crossover entre Hulk et Thor quand Donny Cates écrivait les deux titres, une histoire remarquablement nulle mais avec des dessins prometteurs.

Ici, Coccolo bénéficie d'un coloriste de première classe, Matt Wilson (partenaire régulier de Chris Samnee) et surtout il s'est investi très en amont sur la série, échangeant avec Ewing pour aligner leurs envies. Chose rare, Coccolo est aussi régulier dans l'effort (il a enchaîné huit épisodes d'affilée avant de faire un break, suppléé par Ibraim Roberson) : il livre des planches souvent spectaculaires, bien garnies, où il excelle à montrer la puissance des personnages en conflit mais il est aussi à l'aise dans des moments plus calmes, notamment dans les scènes entre Thor et Loki.

Les décors sont soignés, le découpage varié et toujours au service de la lisibilité, avec des compositions élaborées. Le résultat est très complet et contribue grandement au plaisir de la lecture. 

The Immortal Thor s'impose facilement comme une des meilleures séries classiques de Marvel - certes, ce n'est pas difficile vu la médiocrité globale des productions actuelles de "la maison des idées", chez qui les bons scénaristes ne courent plus les rues et où les artistes ont souvent du mal à tenir les deadlines tout en dessinant de manière techniquement convenable. 

Dans la mesure où Panini Comics a énormément de retard au  niveau des recueils (le run de Cates est encore loin d'avoir été collecté intégralement), ceux qui préfèrent la vf doivent suivre la revue Marvel Comics pour découvrir ces épisodes, ce qui est loin d'être économique et pratique. Donc, armez-vous de patience ou ayez de l'argent (pour dépenser 16 E par mois dans une revue très inégale) ou révisez votre anglais pour vous plonger tout de suite dans The Immortal Thor en TPB.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire