dimanche 31 mars 2024

LES FILS DE L'HOMME (Alfonso Cuaron, 2006)


Royaume-Uni. 2027. La civilisation s'est effondrée suite à un écocide. Plus aucun enfant n'a vu le jour depuis 18 ans. La Grande-Bretagne est un des rares pays dont le gouvernement fonctionne toujours mais il s'est transformé en Etat répressif, arrêtant et parquant dans des camps tous les immigrés. Theo Faron, un ancien activiste devenu bureaucrate, échappe de justesse à un attentat avant d'être kidnappé par les Poissons, un groupuscule classé terroriste qui lutte pour les droits des migrants et dont le leader est Julian Taylor, l'ex-femme de Theo.


Celle-ci lui remet une forte somme d'argent s'il lui procure deux laissez-passer. Theo s'adresse à son cousin ministre, et contre une rallonge accepte d'escorter à l'autre bout du pays Kee, une jeune femme africaine, et Miriam. Ils roulent avec Julian et Luke, son second, en direction de Canterbury lorsqu'ils tombent dans une embuscade. Des tires sont échangés et Julian est mortellement blessé. Plus loin, deux policiers les arrêtent avant que Luke ne les abatte.


Gagnant une ferme, Luke est élu nouveau chef des Poissons tandis que Theo découvre que Kee est enceinte de huit mois ! Mais la nuit venue, il surprend une discussion animée au cours de laquelle il comprend que Luke a organisé l'embuscade qui a conduit à la mort de Julian et qu'il veut enlever le bébé à sa mère pour l'exploiter à des fins politiques. Theo réveille Miriam et Kee et s'enfuit avec elles.


C'est le véritable début d'une odyssée dans l'Angleterre dévastée par un début de guerre civile entre des mouvements révolutionnaires et les autorités, au milieu de laquelle il faut sauver Kee et son futur enfant en les livrant à l'équipage d'un navire appartenant à une organisation scientifique luttant contre l'infertilité...


J'ai longtemps entendu beaucoup de bien au sujet des Fils de l'Homme sans l'avoir jamais vu. Il faut dire que Gravity, le succès planétaire de Alfonso Cuaron, son réalisateur, m'a beaucoup échaudé et je craignais une nouvelle désillusion. En revanche, je suis un grand fan de l'acteur Clive Owen, qu'on peut voir actuellement dans la série Mr. Spade sur Canal +, et c'est ce qui m'a finalement motivé.


Je n'ai pas lu le roman éponyme de P.D. James dont est adaptée l'intrigue de Children of Men, dont je ne sais pas si c'est fidèlement transposé, mais qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse. Et je dois dire que question ivresse, ce long métrage la procure avec sa réalisation virtuose, son rythme soutenu et son intensité implacable.


Faut-il dire que Les Fils de l'Homme est un film d'anticipation ? Si vous êtes un adepte de la collapsologie, sans doute. C'est hélas ! un courant de pensée qui compte de nombreux partisans, prédisant la chute de la civilisation industrielle à la suite d'un écocide dans les prochaines années. Mais ce n'est pas mon cas : sans être un optimiste aveugle, je crois aux forces du progrès, sinon au sursaut de l'humanité, pour surmonter des crises comme celles qui nous attendent.

Mais il faut aussi reconnaître que ça ne va pas bien, que les menaces sont multiples, et que surtout, d'un point de vue romanesque, le pire inspire de bonnes histoires. Celle-ci ne fait pas exception, qui fait d'ailleurs étrangement écho à la série de comics Y le dernier homme de Brian K. Vaughan et Pia Guerra (DC Comics pour la vo, Urban Comics pour la vf), même si le livre de P.D James date de 1992, soit dix ans avant l'oeuvre de BVK et Guerra.

On plonge donc dans une société frappée par une infertilité depuis 18 ans et le héros, Theo Faron, va devoir escorter à travers une Angleterre au bord de la guerre civile une jeune femme africaine enceinte. La révélation est bien amenée même si, entre temps, je connaissais ce rebondissement (difficile de ne pas se faire spoiler avec un film qui est sorti il y a 16 ans). Ce qui compense, c'est l'enjeu que représente cet enfant à venir.

Le récit montre comment un groupuscule d'activistes, comme celui auquel a appartenu Theo dans le passé, compte exploiter cet événement à des fins politiques puisque la question migratoire est devenue centrale en 2027 (année où se situe l'action). Que se passerait-il, effectivement, si une jeune africaine portait dans son ventre le premier bébé à naître depuis 18 ans alors qu'elle est coincée dans un pays qui arrête en enferme tous les immigrés dans des camps ? Le sujet est traité de manière directe et mouvementée via le prisme de la course-poursuite et du film de guerre.

Les péripéties traversées par le trio de protagonistes (Theo, Kee, Miriam) dressent le portrait glaçant d'une nation qui a sombré dans un régime répressif d'un côté et celui non moins flippant d'une bande de rebelles armés prêts à commettre u coup d'état. La mise en scène d'Alfonso Cuaron exploite très bien le cadre sans avoir besoin d'en rajouter pour maquiller les décors. 

Mais surtout la caméra est extrêmement mobile, souvent porté à l'épaule, ce qui donne au film des allures de reportage, ou alors avec des plans-séquence ahurissants (comme celui de l'embuscade et de la fuite ou plus tard quand Theo s'engage dans un immeuble sous le feu de l'armée régulière, gravissant les étages, parcourant des paliers à la recherche de Kee et son bébé). Faut avouer, ça secoue, mais surtout c'est moins gratuit que dans Gravity où ces mouvements d'appareils ressemblaient davantage à une démonstration technique.  

L'interprétation est évidemment de première classe. Julianne Moore apparaît peu, son personnage étant vite sacrifié, ce qui est malin pour convaincre le spectateur que personne n'est à l'abri. Chiwetel Ejiofor campe un bel enfoiré. Michael Caine s'amuse en vieux caricaturiste hippie. Peter Mullan joue un flic bien louche. Et Clare-Hope Ashitey est épatante dans le rôle de cette jeune mère. Quant à Clive Owen, il est égal à lui-même, c'est-à-dire rien moins qu'excellent : son secret, c'est lui-même qui le dit, c'est que, fou de Bogart et des films noirs, cela lui a appris à n'en faire jamais trop, à épouser le rythme du film plutôt qu'à chercher la performance. Et c'est bien l'un des rares aujourd'hui (avec Ryan Gosling) à jouer comme ça.

Les Fils de l'Homme mérite sa bonne réputation.

samedi 30 mars 2024

THE SIX FINGERS #2 (Dan Watters / Sumit Kumar) - Avec The One Hand, 2 comics qui n'en font qu'un


Johannes Vales continue d'essayer de reconstituer la nuit qu'il a passé alors que Alan Niers a été tué par un copycat du Tueur à une main. Son errance le mène à l'exposition où des artistes contemporains se sont emparés de l'affaire et où il échange avec la galériste Ada qui le met en garde sur les médicaments qu'il prend, provoquant de sérieux effets secondaires mais qui soulagent ses terreurs nocturnes depuis l'enfance...



Comment bien parler de The Six Fingers sans spoiler son intrigue et par ricochet celle de sa série soeur, The One Hand (par Ram V et Lawrence Campbell) ? C'est un véritable exercice d'équilibriste pour le critique, partagé entre l'envie de bien expliquer ce qui fait l'intérêt de l'entreprise et celle de ne pas gâcher la surprise au lecteur.


Vous aurez toutefois compris que les destins de l'inspecteur Ari Nassar, héros de The One Hand, et de Joahnnes Vales, héros de The Six Fingers, sont liés par cette histoire de meurtres violents, de tueur en série, de copycat. On voit même ces deux personnages quasiment se croiser dans les épisodes des deux titres : ainsi dans ces deuxièmes chapitres des séries respectives assiste-t-on à la même scène mais de deux points de vue différents et découvre-t-on que Johannes aperçoit Ari et réciproquement...


Mais Dan Watters (comme Ram V) ne se contente pas de jouer sur ce chassé-croisé, ce serait vite lassant et artificiel. Il lui faut développer son héros, le doter d'une personnalité, d'un passé, le rendre ambigu, entretenir le doute sur son implication dans les meurtres. Et ce deuxième épisode s'y consacre.


Johannes Vales est ainsi décrit, de manière très évocatrice et originale, via des flashbacks hallucinés, comme un jeune homme à l'enfance tragique. Il a perdu son père dans des circonstances terribles alors que c'était quelqu'un de bien, qui le réconfortait quand il était victime de terreurs nocturnes. Sa mère, elle, ne s'est jamais remise de ce deuil et n'est que peu mentionnée, comme si elle avait quitté le cadre.

Au présent, Johannes sombre à nouveau dans cet état second où ce qu'il redoute le rattrape et le dévore. Le lecteur se questionne alors sur ce qu'il a ou non commis : est-ce lui le deuxième copycat de Martin Tillman, le tueur à une main ? C'est a priori évident, mais en fin de compte pas tant que ça. La trajectoire sinueuse, tourmentée, altérée par les médicaments, de Joahnnes brouille les perspectives et l'épisode lui-même joue avec nos nerfs quand la perception des choses, les passages entre le passé et le présent ne sont plus si distincts.

Dan Watters exploite notamment, dans deux longues scènes, le décor de l'expo où des artistes s'inspirent du fait divers et notamment des mystérieux glyphes laissés par le tueur sur les murs des endroits où il a commis ses crimes. "Vous ne les décrypterez pas !" jure Ada, la galériste en s'adressant à Johannes, et pourtant il ne fait aucun doute que ces signes énigmatiques sont la clé de l'affaire (on a vu dans The One Hand que c'était la conviction intime de Ari Nassar).

Ce qui rend l'expérience de ces deux séries captivante, c'est aussi leur traitement visuel. Contrairement à The One Hand et le graphisme très sombre de Lawrence Campbell, The Six Fingers s'appuie sur le trait plus simple, moins réaliste, de Sumit Kumar. D'ailleurs le coloriste commun aux deux titres, Lee Loughridge, s'adapte admirablement aux deux artistes et pour Kumar, il adopte des tons plus vifs, plus lumineux, qui valorise son style.

Ce qui distingue aussi Kumar par rapport à Campbell, c'est sa manière de représenter les personnages, dans un registre moins réaliste, voire photo-réaliste, et son découpage, beaucoup plus nerveux, mouvementé. Le mouvement est permanent, avec une variété dans les angles de vue étonnante, alors que chez Campbell, c'est plus figé. Cela correspond à la fois à l'instabilité mentale, la fébrilité de Joahnnes Vales, mais aussi à une volonté de montrer qu'il tente moins de fuir que de courir après ses souvenirs (tandis que Ari Nassar, également obsédé par le passé, est sans cesse ramené au présent par son enquête).

Bref, c'est une lecture absolument passionnante, addictive, et d'une complémentarité vertigineuse avec The One Hand. Encore une fois, on ne peut pas lire une série sans l'autre, mais on en a pour son argent.

KILL ME AGAIN (John Dahl, 1989)


Un couple de crimnels, Vince et Fay, braquent deux mafieux à qui ils dérobent une mallette contenant 850 000 $. Après ça, ils se disputent car Fay veut aller s'amuser à Las Vegas tandis que Vince préfère se planquer quelque temps. Profitant d'une halte, elle l'assomme et s'en va avec le butin. Direction : Reno.


Là-bas, Jack Andrews, un détective privé, est tabassé par deux usuriers à qui il doit 10 000 $. Rongé par la mort de sa femme lors d'un accident de la route auquel il a survécu, il aimerait tout plaquer pour refaire sa vie dans le Maine. C'est alors que Fay vient frapper à sa porte pour lui raconter qu'elle veut passer pour morte afin d'échapper à son compagnon violent et elle est prête à payer le prix fort pour ça, ce qui arrange Jack qui lui fournit de faux papiers contre la moitié de la somme convenue.


Le soir venu, dans la chambre d'hôtel de Fay, Jack met en scène son assassinat avec du sang du même groupe que celui de sa cliente puis il la transporte dans le coffre de sa voiture. Il la dépose à un motel où il lui donne rendez-vous deux heures plus tard, le temps de noyer la caisse dans un lac voisin, et alors elle lui paiera l'autre moitié de la somme promise. Mais quand il revient, elle a disparu. A l'aéroport, il présente une photo d'elle et apprend qu'elle s'est envolée pour Vegas.


Furieux d'avoir été roulé, il prévoit de partir la trouver là-bas en partant le lendemain. Mais à l'aube, la police vient l'arrêter et l'accusant du meurtre de Fay. Au même moment dans un diner, Vince apprend l'affaire dans un journal et part pour Reno questionner à son tour Jack...


Dans le n° de ce mois-ci du magazine "Première", on peut lire un article sur la réédition en Blu-Ray de Red Rock West, le film suivant Kill Me Again. Et ce coup d'oeil dans le rétro a le mérite de rappeler au bon souvenir des amateurs de bons polars qui était John Dahl, ce cinéaste qui est aujourd'hui complètement oublié et qui, à bientôt 68 ans, s'apprête sans doute à raccrocher.


Mais d'abord resituons Kill Me Again. Nous sommes à la fin des années 80 et c'est un film à petit budget qui réunit à l'écran le couple formé par Val Kilmer, révélé comme Tom Cruise par le triomphe de Top Gun trois ans plus tôt, et son épouse, Joanne Whalley-Kilmer, alors en pleine ascension après le carton de Scandal (1988). Ajoutez-y Michael Madsen dans le rôle du méchant, bien avant qu'il n'explose dans Reservoir Dogs de Quentin Tarantino en 92.


Le film suivant de Dahl, Red Rock West (auquel je consacrerai bientôt une critique) sortira en 1993, soit donc un ans après Reservoir Dogs et un an avant Pulp Fiction. Ce que met en lumière l'article de "Première", c'est que le destin de Dahl s'est joué à ce moment précis. Il y avait de la place pour deux mais le public (et la critique) a choisi Tarantino, son irrévérence, ses scripts déstructurés, ses castings de stars : c'est avec lui qu'a continué l'histoire. John Dahl, lui, est resté sur le bas-côté, brillant une dernière fois avec Last Seduction. Après ça, il enchaînera les bides, réalisera pour la télé, tombera dans l'oubli le plus total.

Dahl, c'est l'anti-Tarantino. Un cinéaste classique, attaché à la tradition du film noir, avec des scripts linéaires, sans happy-end ou alors des dénouements amers, désenchantés. Pas de dialogues à rallonges, abondant en bons mots et en digressions, pas de personnages improbables pour le genre exploré mais des poncifs assumés. Le tout filmé avec sobriété, sans manières, sans fioritures, pour des durées bien cadrées.

Kill Me Again, à cet égard, s'affirmait quasiment comme un manifeste de sa part, une déclaration d'intention sans ambiguïtés, se démarquant déjà nettement des films de Ridley et Tony Scott par exemple (l'école des pubards tape-à-l'oeil), évoquant davantage le Lawrence Kasdan de La Fièvre au Corps ou Hot Spot de Dennis Hopper (autres sommets 80's du film noir).

L'intrigue est un concentré du polar, avec la femme fatale, le privé, le flingueur psychopathe, les usuriers, la mafia, une mallette pleine de billets, le tout passé au mixer pour des péripéties improbables mais rythmées, des retournements de situations à la fois attendus et efficaces. On ne s'ennuie jamais, on n'a pas le temps, en 95' c'est bouclé.

La réalisation met en valeur les paysages de l'Arizona et du Nevada, surtout dans la seconde partie, quand les personnages sont en cavale, hors des villes comme Reno et Las Vegas avec leurs lumières au néon, leurs casinos, leurs motels. Si Dahl avait tourné en noir et blanc avec des costumes vintage, l'illusion aurait été parfaite et on aurait cru avoir affaire à une production Warner des années 40-50.

On comprend ainsi mieux finalement pourquoi quand Tarantino a surgi puis explosé, le projet de Dahl était condamné. Tout ce qu'il racontait et la manière dont il le faisait paraissait d'un autre âge, démodé par la puissance insolente de son jeune rival. La question alors est : est-ce que ça a si bien vieilli ?  En fait, si on la pose pour Dahl, on doit aussi la poser pour Tarantino à la veille de sa retraite (puisqu'il a juré que son dixième film, à venir, serait aussi son dernier). Et en revoyant Kill Me Again, même si certaines choses sont un peu datées (comme la photographie), ça tient encore superbement bien la route tandis que les films de QT sont plus inégaux, le sublime côtoyant le très moyen (et souvent, ce qui se revoit le plus agréablement ne fait pas forcément partie de ses titres les plus fameux).

Le casting manque un peu d'épaisseur, c'est certain. Si Michael Madsen en fait des caisses dans un rôle qu'il ne quittera plus, et que Val Kilmer est un peu trop lisse pour jouer un privé minable mais opiniâtre, Joanne Whalley-Kilmer reste magnifique et il est déplorable qu'elle n'ait pas la carrière éclatante qu'elle méritait.

Une pépite à revoir pour réhabiliter un petit maître du Noir.

G.O.D.S. #6 (Jonathan Hickman / Valerio Schiti)


Aiko Maki ne parvient pas à trouver le sommeil, hantée parce ce qu'elle a fait à sa protégée, Mia di Maria. Elle s'adresse à Nimue du Lac et le Lion des Loups pour qu'ils la mettent en relation avec le Tribunal Vivant, la seule entité à même de réparer le mal fait. S'il le veut bien...


C'est très intéressant de lire cet épisode la même semaine où sort le deuxième numéro de The Six Fingers, la série de Dan Watters et Sumit Kumar (qui n'en fait qu'une avec The One Hand de Ram V et Lawrence Campbell). Dans tous les cas, on a affaire à un récit construit en miroir, en réponse à l'autre. Il faut croire que c'est le zeitgest.


Mais est-ce si étonnant que Jonathan Hickman, ce scénariste passionné par les expériences narratives, s'essaie à ce jeu ? Pas vraiment. Cela prouve en tout cas la plasticité de son écriture, très différente ce qu'il produit par ailleurs avec Ultimate Spider-Man simultanément. Car G.O.D.S. #6 raconte une partie de ce qu'on a appris à la fin du #5 mais d'un autre point de vue.
 

Cela ne facilite pas franchement mon travail de critique car soit je décide de spoiler la fin de l'épisode précédent et donc de vous gâcher la surprise, soit je contourne ça en risquant d'être trop vague et d'échouer à vous faire comprendre à quel point ce que fait Hickman est subtil. Je vais quand même essayer d'être clair sans trop en dire.
 

Donc, à la fin de G.O.D.S. #5, Mia di Maria, la protégée d'Aiko Maki, apprend par Wyn qu'elle vient d'aider pour une mission que justement, en faisant cela, elle s'est privée d'un souhait. Aiko, au début de G.O.D.S. #6, ne trouve pas le sommeil et déambule dans on appartement lorsqu'elle découvre scotchée sur la porte de la chambre de Mia un mot indiquant qu'elle est sortie aider un ami (il s'agit donc du service qu'elle est allée rendre à Wyn dans le numéro précédent). Et la réaction d'Aiko traduit un profond remords.

Il est alors question pour Aiko de réparer une faute qu'elle a commise et qui coûtera à Mia. Bien qu'elle appartienne à l'Ordre-Naturel-des-Choses, une organisation puissante régissant l'équilibre des forces de l'univers, elle doit faire appel à un tiers pour corriger son erreur et s'adresse pour cela à des intermédiaires à même de lui ouvrir quelques portes.

Si on apprécie Hickman, on sait que ses scripts regorgent d'indices cryptés qu'on peut s'amuser à documenter pour avoir une lecture plus riche. Sinon, on peut aussi s'en passer, ce n'est pas dérangeant et quelques noms paraîtront alors au mieux exotiques. Mais quand, comme ici, Aiko explique son problème à une certaine Nimue du Lac, alors on peut découvrir qu'il s'agit de l'autre nom de la fée Viviane, autrement dit la Dame du Lac dans la légende arthurienne, ce qui explique, notamment son véritable aspect.

Par contre, j'avoue que mes recherches concernant le Lion des Loups m'ont conduit dans une impasse; Si vous en savez plus que moi à ce sujet, merci d'avance de m'éclairer en commentaire. Mais le Loup est un animal qui traverse en tout cas bien des mythes et mythologies, symbolisant l'ambivalence (angélisme/diabolisation, fascination/crainte, vie/mort, emblème/problème), qui convient à merveille à celui qu'on voit ici.

Le récit se déploie au fil de passages pour lesquels il faut toujours payer un prix élevé, qu'il s'agisse de monter dans un carrosse, traverser une rivière, passer des portes, obtenir une audience, etc. Et Aiko doit ruser pour ne pas consentir de sacrifices personnels trop élevés à chaque fois. Elle s'en tire d'ailleurs bien... Jusqu'à la fin où le Loup lui soutire quelque chose de terrible sans qu'elle ait plus vraiment le choix. 

Le pire, dans tout ça, c'est que la course d'Aiko pour épargner Mia connaît une issue cruelle et on ne peut s'empêcher d'éprouver de la compassion pour cette femme qui, jusque-là, sans être foncièrement antipathique, tenait quand même un rôle disons peu sympathique (elle a quitté Wyn en des termes violents, a enrôlé Mia de façon peu régulière...). Et Hickman tire une sorte de morale de tout cela, qui confirme (selon moi) que les huit épisodes de G.O.D.S. ne formeront qu'un premier volume pour cette série, parce que le dialogue final entre Aiko et Wyn et surtout les paroles prononcées par ce dernier suggèrent fortement une suite qui ne saurait être racontée dans les deux épisodes restant à paraître.

Visuellement, ce chapitre est une nouvelle démonstration de force de la part de Valerio Schiti. Le dessinateur italien a non seulement ce talent de servir un script touffu, regorgeant d'éléments inédits et pour lesquels il s'est investi en créant des designs fantastiques (dans tous les sens du mot), mais encore il met tout cela en scène avec une virtuosité impressionnante.

Comme l'épisode se découpe en plusieurs étapes à mesure que Aiko et le Loup approchent de celui qu'ils veulent rencontrer, ce sont autant de scènes à illustrer de manière immédiatement mémorable. Schiti doit faire de chaque moment une sorte d'épisode en soi dont le lecteur conservera une forte impression et le moment suivant doit en plus surpasser en puissance graphique le précédent de telle manière que l'audience devant le Tribunal Vivant soit le climax.

A part Bilquis Evely, je ne vois à l'heure actuelle aucun autre dessinateur qui ait cette facilité et cette inventivité pour orchestrer un épisode entier en faisant éprouver de telles sensations visuelles au lecteur, sans tomber dans l'exercice de style, en restant limpide dans la narration graphique. Hickman a peut-être trouvé en Schiti son meilleur interprète, celui qui est à la fois le plus abordable sans sacrifier une once de son imagination esthétique.

La seule mauvaise nouvelle dans tout ça, c'est : que lira-t-on d'aussi bon chez Marvel après le mois de Mai ? Souhaitons que la pause que s'octroient les auteurs de G.O.D.S. ne soit pas trop longue....

vendredi 29 mars 2024

ULTIMATE SPIDER-MAN #3 (Jonathan Hickman / Marco Checchetto)


Une visite de Peter dans les locaux du nouveau journal que veulent fonder J. Jonah Jameson et Ben Parker lui indiquent que les deux amis veulent publier une enquête sur le Bouffon Vert qui s'en prend aux possessions de Wilson Fisk. Spider-Man planque pour trouver ce Bouffon Vert mais un autre personnage masqué va s'inviter dans la partie...


Si on pouvait, légitimement, faire le reproche à Jonathan Hickman de prendre son temps sur les deux premiers épisodes d'Ultimate Spider-Man, sans que cela ne soit pourtant désagréable ni inconvenant (après tout, il fallait bien réintroduire le personnage dans ce nouvel univers avec des différences importantes), cette fois, on sent bien que le scénariste accélère.


Passée la scène d'ouverture où Peter Parker modifie son costume sur les conseils de sa fille May, la suite est plus mouvementée. Et Spider-Man se met en tête de trouver et savoir ce que fabrique ce mystérieux Bouffon Vert qui s'en prend à tout ce que possède Wilson Fisk. Encore une fois, Hickman trouve un angle inattendu pour aborder ces éléments et aboutit à un cliffhanger imprévisible.


Il y a définitivement quelque chose de changé dans l'écriture du scénariste, qu'on a souvent considéré avant tout comme un bâtisseur de mondes fictionnels, peu attaché (voire peu doué) pour la caractérisation (utilisant les personnages de manière fonctionnelle pour coller aux objectifs d'une intrigue). Et en s'attachant à Spider-Man, il traite d'un personnage iconique où il ne peut se dispenser d'un vrai travail sur sa personnalité.


Le fait le plus notable jusque-là, c'est que dans cette version d'Ultimate Spider-Man, Peter Parker était marié et père de famille, et que son oncle Ben était encore vivant (mais pas sa tante May). Hickman a donc inversé la situation existant dans l'univers classique du tisseur (où, par la volonté des editors, on interdit à Peter d'être en couple, a fortiori d'avoir des enfants, et de ramener l'oncle Ben d'entre les morts ou de faire mourir la tante May).

L'autre tabou qu'a fait sauter Hickman concerne l'identité secrète de Spider-Man. Très vite, dès le précédent épisode, sa fille a découvert son secret ici, et encore un autre personnage va apprendre qui se cache sous le masque du héros dans ce numéro. Il est encore trop tôt pour savoir où veut en venir Hickman avec ce procédé et s'il compte l'étendre (par exemple avec Mary-Jane Watson) mais exposer ainsi la double identité de Spider-Man a évidemment un objectif (certainement fragiliser le héros en premier lieu).

Enfin, Hickman s'amuse avec les propriétés originelles du personnage : par exemple, il a rapatrié le Caïd, Wilson Fisk, dans le cercle des ennemis de Spider-Man, comme c'était le cas quand Stan Lee l'écrivait. C'est un rappel utile car Frank Miller a tellement contribué à faire de Fisk la némésis de Daredevil qu'on a pu oublié à quel point Spider-Man et le Caïd étaient d'abord face à face.

Le récit construit alors des triangles (et on sait à quel point Hickman apprécie de dessiner des relations géométriques entre ses personnages) : Peter-MJ-leurs enfants, Peter-Ben-Jonah, Spider-Man-le Bouffon Vert-Fisk, et cette fois Spider-Man-le Bouffon Vert-Le Tireur. Car c'est le petit événement de cet épisode, Bullseye entre dans la partie, engagé pour éliminer le Bouffon Vert. Et Hickman d'insister sur l'amateurisme de son Spider-Man qui déduit certes que Bullseye est en mission pour Fisk mais ne se doute pas du tout que ses vrais patrons sont des gens bien plus puissants (il s'agit des alliés du Créateur, les vrais maîtres du monde Ultimate tel que repensé par Hickman).

Ainsi, le scénariste renoue aussi avec la naïveté originelle du héros et fait de son histoire un récit initiatique, celle d'un justicier qui apprend petit à petit à appréhender le monde qui l'entoure en découvrant que des forces obscures et puissantes sont à l'oeuvre. Cela remet en perspective le projet même de la série, d'autant plus intensément que ce Peter-ci n'est pas un gamin mais un homme, un adulte, qui apprécie cela avec moins d'insouciance donc.

Marco Checchetto est très en forme : le combat qui oppose le Bouffon et le Tireur d'abord avant que Spider-Man ne s'en mêle est formidablement chorégraphié. Le dessinateur varie les angles et rend les assauts en plein ciel très spectaculaires. Quand le Tisseur intervient et que l'action prend une nouvelle dimension, Checchetto continue de trouver des solutions graphiques pour adapter les coups, leurs impacts. Bullseye est redoutable et tient tête à ses deux adversaires : l'artiste a légèrement modifié le design du tueur pour le rendre plus réaliste (comme il l'a fait dans le précédent épisode avec le Shocker) et c'est très réussi.

Mais autant annoncer tout de suite que le mois prochain Checchetto ne sera pas là, remplacé par David Messina (qui n'est pas mauvais mais dont le style n'a rien à voir). Plus qu'un essoufflement précoce du dessinateur, je mets ça sur le dos de Will Moss, l'editor de la série, qui n'a à l'évidence pas anticipé suffisamment pour accorder le temps à Checchetto s'enchaîner les épisodes (surtout avec le premier qui avait une pagination plus importante). C'est vraiment désolant car pour la majorité des lecteurs, cela sera la faute de l'artiste alors qu'en vérité on a là l'exemple d'une mauvaise gestion de son calendrier par le responsable éditorial du titre. Heureusement Checchetto sera de retour en Mai pour le n°5, mais il faut que Marvel réfléchisse tout de suite à un second artiste régulier pour le suppléer.

Cette réserve mise à part, Ultimate Spider-Man continue sur sa très bonne lancée, réussissant à me réconcilier avec ce héros dont les aventures dans l'univers classique m'ont depuis longtemps découragé.

ULTIMATE SPIDER-MAN #2 (Jonathan Hickman / Marco Checchetto)


Peter Parker a donc hérité des pouvoirs de Spider-Man et d'un costume ad hoc grâce à Tony Stark/Iron Lad. Le Daily Bugle, dirigé par Wilson Fisk, tout comme Ben Parker et J. Jonah Jameson s'interrogent sur la présence de cet individu masqué mais aussi de l'agresseur de Fisk. Et bientôt quelqu'un est au courant du secret de Peter...


Je me rappelle que, lorsque Brian Michael Bendis avait réécrit les origines de Spider-Man dans la première version de Ultimate Spider-Man en 2000, ses détracteurs lui reprochaient déjà de prendre son temps alors que Stan Lee et Steve Ditko avaient réglé ça en 18 pages. Nous étions alors en plein règne de la narration décompressée, une façon de faire qui allait marquer la décennie suivante et qui continue d'influencer le style de nombreux auteurs actuels.


Soyons honnêtes : ceux qui n'aiment pas la narration décompressée lisent quand même des comics écrits ainsi et plébiscitent des scénaristes qui la pratiquent (Warren Ellis fut un des premiers à la développer dans Stormwatch et The Auhority, et sur un plan strictement artistique Ellis demeure une référence peu discutée). Faire aujourd'hui, comme il y a un quart de siècle, le procès de la narration décompressée, c'est un peu comme avancer contre le vent ou refuser l'existence d'un courant d'écriture qui s'est imposé.


Autrement dit : Jonathan Hickman applique dans son Ultimate Spider-Man une narration décompressée. Il prend son temps, et certains diront même qu'il joue la montre. Ce deuxième épisode montre certes Spider-Man de la Terre 6160 en action, mais le développement de l'intrigue se fait à pas comptés, sans précipitation. L'auteur en est encore à questionner la validité même de son héros. Et en fait, on peut se demander si ce n'est pas ça d'abord, le sujet de cette nouvelle version : est-ce qu'en se découvrant des pouvoirs on devient automatiquement, naturellement un héros ? Ou bien s'interroge-t-on sur le fait qu'on soit fait pour cette vie ?


Dans le cas de ce Peter Parker, ces interrogations sont d'autant plus pertinentes qu'il est plus âgé que le Peter Parker de la Terre 616, qu'il est marié (et n'a pas encore révélé à Mary Jane Watson ce qu'il est devenu) et père de famille. On peut admettre, honnêtement, qu'il se demande s'il est fait pour ça, pour être un super héros, pour être Spider-Man (il n'a même pas imaginé son pseudonyme).

Hickman enfonce même le clou jusqu'à le montrer à la fois à son avantage, découvrant les capacités que lui donnent la morsure de l'araignée (il est plus fort, plus agile, plus rapide, plus endurant), mais aussi très emprunté, maladroit, gauche, voire pathétique (quand il rencontre à deux reprises le Shocker qui lui flanque une dérouillée en profitant de sa naïveté). En tout cas, il est très loin de s'impliquer dans des affaires plus compliquées, comme enquêter sur Wilson Fisk, ce Bouffon Vert qui l'attaque, et encore moins le complot contre lequel Iron Lad et ses Ultimates combattent.

Dans deux échanges, savoureusement dialogués, d'abord entre Ben et Jonah puis Fisk et un certain Mr. Britain (un membre du cercle du Créateur, certainement Brian Braddock, le Captain Britain de cette Terre), on mesure à quel point ce proto-Spider-Man et ce proto-Green Goblin sont des couvertures. Des histoires dans l'histoire. Pour Fisk, il s'agit de se servir de ce Spider-Man qui ne dit pas son nom pour dissimuler les attaques dont il est la cible de la part du Bouffon Vert. Pour Ben et Jonah, le Bouffon Vert est un sujet car il s'intéresse à Fisk tandis que Spider-Man est une distraction (dont Fisk se sert pour couvrir les agressions dont il est la victime). Hickman nous fournit une grille de lecture à son propre scénario, mais sans condescendance.

Marco Checchetto a pour tâche de donner corps à cela, c'est-à-dire de donner vie et chair à ce qui pourrait pour l'instant se limiter à des concepts, des idées. Son style s'y prête merveilleusement dans la mesure où son expérience des super-héros, dont il a dessiné un paquet d'aventures depuis qu'il est chez Marvel (et notamment sous la direction de Hickman) lui permet de produire des planches aux images fortes, intenses, dans des compositions dynamiques et des postures iconiques.

Même si Spider-Man est maladroit, on devine aisément son potentiel et on suit avec plaisir son apprentissage. Tout le monde en vérité dans ce début de série est engagé dans un parcours initiatique : Peter apprend à devenir ce dont on l'a privé, le Bouffon Vert n'est pas clairement un super vilain, Fisk se prend pour un roi en étant malgré tout débordé par ce qu'il subit, Ben Parker et J. Jonah Jameson doivent trouver un nom à leur nouveau journal et un angle inédit pour parler de ce qui se passe.

Checchetto n'est pas que bon dans le registre super héroïque. Il réussit merveilleusement une scène à la fois casse-gueule et cruciale comme celle où la petite May Parker découvre le secret de son père, ce qui aboutit à la toute fin de l'épisode à une suggestion sur l'aspect du costume de son père. Grâce à l'expressivité des personnages, à la justesse de la mise en scène, ce moment passe impeccablement alors qu'il aurait pu trahir chez l'artiste une fébrilité.

Alors, certes, ça ne va pas vite. Mais ce qui est dit et montré est tout de même superbement juste et dosé. On assiste, quasiment en temps réel, à la naissance d'un héros tout en voyant la mise en place d'éléments dramatiques amenés à être développés sur le long cours. En termes de storytelling, c'est à la fois très maîtrisé et audacieux. En termes visuels, c'est parfait. Hickman prouve son goût de l'expérimentation même dans le cadre d'un comic-book mainstream et embarque avec lui Checchetto qui sert, avec justesse, son script. Laissez-vous porter et vous vous régalerez.

ULTIMATE SPIDER-MAN #1 (Jonathan Hickman / Marco Checchetto)


Que manque-t-il à Peter Parker ? Tandis que son oncle Ben décide de démarrer, avec volontarisme, une nouvelle aventure professionnelle et que New York se souvient du terrible attentat qui l'a meurtri il y a dix ans, Peter doit faire un choix...


Tout d'abord, autant prévenir le lecteur qui débarquera, mieux vaut pour lui qu'il se procure la mini série Ultimate Invasion et le one-shot Ultimate Universe également écrits par Hickman : il y trouvera des éléments pratiques pour contextualiser ce qui se joue là et plus particulièrement pourquoi il n'y a pas de Spider-Man sur la Terre 6160. Sinon, je vous résume ça vite fait : le Créateur (la version Ultimate et sociopathe de Reed Richards) a investi ce monde parallèle en empêchant la naissance de plusieurs super-héros emblématiques mais en s'alliant à d'autres surhumains avec lequel il contrôlait la population mondiale avant que Howard Stark puis son fils Tony ne réussisse à les freiner provisoirement.


On ne peut guère être plus clair que Jonathan Hickman : il n'a jamais été fan de Spider-Man et donc, en tant qu'auteur, il n'a jamais trouvé le bon angle pour l'écrire. Certes il l'avait intégré à ses Avengers, mais sans s'en servir (sans doute une concession faite à l'équipe éditoriale). Alors pourquoi, et comment, aujourd'hui, dans ce nouvel univers Ultimate l'auteur de runs sur X-Men et Fantastic Four se retrouve-t-il à rédiger les aventures du Tisseur ?


Hickman a fait le tour de deux grandes séries classiques avec Fantastic Four et Avengers, puis il a relancé la franchise X-Men mais sans réussir à aller au bout de ses idées à cause de l'impact sur l'édition de comics par la pandémie de Covid. Désormais, il préfère consacrer son énergie chez Marvel à des univers de poche où il est libre de ses mouvements, sans avoir à composer avec des events, des crossovers. C'est la continuation de ce dont il rêvait pour X-Men : être à la fois un scénariste et une sorte d'editor.


Pourtant la relance de l'univers Ultimate n'était pas son projet initialement (mais celui de Donny Cates, empêché pour d'autres raisons, extra-professionnelles). Mais Hickma a de la ressource et surtout c'était l'occasion pour lui, une nouvelle fois, de bâtir son propre monde au sein de Marvel. Et tout cela repose sur une idée somme toute étonnamment simple : c'est un what if...? où on jouerait à savoir ce qui se serait passé si des héros emblématiques n'avaient pas existé avant d'organiser leur naissance.

Les editors ont parfois de drôles de manies : chez DC, du temps de Dan Didio, ce dernier ne pouvait pas supporter que Dick Grayson/Nightwing survive aux Crisis et a manigancé plusieurs fois pour le sortir de la photo. Chez Marvel, Joe Quesada refusait que Peter Parker/Spider-Man soit marié, craignant que les lecteurs ne s'identifient plus à un héros installé en couple tout comme il ne voulait pas que le tisseur connaisse le succès professionnel pour les mêmes raisons.

Quesada parti, Hickman s'ingénie donc à écrire son Spider-Man en s'autorisant tout ce qu'on interdit aux auteurs du tisseur dans l'univers classique : ici, il s'agira d'un trentenaire marié et père de deux enfants, et même s'il n'est pas riche, il ne vit plus comme un éternel étudiant fauché obligé de livrer des photos au Daily Bugle pour subvenir à ses besoins et ceux de sa tante May. D'ailleurs il n'y a plus de tante May chez Hickman : elle est morte dans l'attentat vu à la fin de Ultimate Universe qui s'est déroulé il y a dix ans au moment où cet épisode débute.

Je ne vais pas vous dresser la liste exhaustive des changements apportés par Hickman pour distinguer sa version de Spider-Man, mais avec un premier chapitre de 45 pages, il prend le temps de poser le décor et les personnages. Il y a surtout une ambiance très bluesy, mélancolique, particulièrement intense et poignante. Car le thème central, c'est la dépossession : peut-on manquer d'une vie qu'on n'a pas eue, dont on n'a même pas conscience qu'on aurait pu la vivre ? Autrement dit : Peter Parker peut-il souffrir de n'avoir jamais été Spider-Man alors qu'il n'a jamais su qu'il aurait pu le devenir ?

Porté par des planches sublimes de Marco Checchetto, qui campe des personnages écrasés par le chagrin, le deuil, le manque, dans un New York en plein hiver, le récit ne ressemble à rien de ce qu'on pouvait attendre pour une production Spider-Man. Et finalement, n'est-ce pas le but pour une version Ultimate Spider-Man ? Ici, c'est le contrepied total du run de Brian Michael Bendis, qui revenait et revisitait le personnage à sa source : Hickman et Checchetto ne livrent pas non plus une sorte de The Dark Knights Returns pour Spider-Man mais plutôt une relecture adulte et néanmoins totalement originale, profondément attachante.

Parce qu'ils ont su investir le personnage et le projet avec un regard détaché, sans affect, les deux auteurs le revitalisent, le revisitent avec beaucoup d'humanité. Cela souligne les changements dans l'écriture de Hickman (qui abandonne ici, comme dans G.O.D.S., les data pages) et se veut plus proche des personnages. Checchetto apporte avec son trait élégant et nerveux ce surplus d'humanité indispensable. Et l'un dans l'autre, on finit ce premier numéro ému mais aussi plein d'excitation.


jeudi 28 mars 2024

MIDSOMMAR (Ari Aster, 2019)


Dani, jeune étudiante américaine, est profondément traumatisée après le suicide par asphyxie de sa soeur Terri qui a aussi tué ses parents de la même manière.  Ce drame affecte aussi le couple qu'elle forme avec Christian, jeune thésard en anthropologie qui projette de se rendre en Suède avec ses amis Mark et Josh à l'invitation de leur camarade Pelle. Ils doivent assister à une cérémonie qui ne se déroule qu'une fois tous les 90 ans dans une communauté reculée pour célébrer le solstice d'été.


Christain, qui avait l'intention de rompre avec elle, invite à contrecoeur Dani. A leur arrivée, ils sont accueillis avec d'autres étudiants à goûter à des champignons hallucinogènes et Dani revoit sa famille décédée. Elle ne revient à elle que le lendemain matin et avec le groupe de visiteurs elle gagne la communauté à laquelle appartient Pelle. D'entrée de jeu, l'ambiance étrange qui règne déroute les étrangers.


Ils assistent plus tard à un géronticide quand les deux plus anciens membres de la communauté se donnent la mort en sautant d'une falaise pour s'écraser du des rochers en contrebas. L'un d'eux survit mais est achevé à coups de maillet. Deux étudiants, Connie et Simon, épouvantés, veulent quitter immédiatement les lieux mais Liv explique qu'il s'agit d'un choix pour s'épargner une vieillesse dans la souffrance.


Christian décide d'écrire sa thèse sur les traditions de la communauté d'Harga même si c'est aussi celui sur lequel travaille depuis longtemps son ami Josh. pelle intercède en leur faveur auprès des anciens pour qu'ils puissent collaborer, à condition de ne mentionner le nom de personne ni de préciser l'endroit où ils se trouvent. Dani se sent mal et veut partir à son tour mais Pelle la convainc de rester en lui confiant que, lui aussi, a perdu ses parents dans des circonstances tragiques (un incendie) et que Harga l'a recueilli, aidé et protégé.
 

Mais la suite du séjour se déroule encore plus bizarrement, entre les disparitions subites et inexpliquées de visiteurs, des rites païens perturbants, qui vont notamment bouleverser profondément Christian et Dani...
 

Révélé par un premier opus, Heredity, qui fut un succès critique et commercial surprise, le réalisateur Ari Aster est véritablement devenu un phénomène avec Midsommar pour lequel il a bénéficié de plus de moyens et d'un casting porté par une actrice en vue, Florence Pugh, dans son premier grand rôle. 


Qualifier Midsommar de film d'horreur est pourtant une erreur et impose une nuance. Il s'agit davantage d'une histoire d'épouvante où le malaise domine. C'est à la fois sa force et sa limite, car il faut bien que je l'avoue, j'ai été déçu par le résultat. 

Il faut toujours se méfier de la réputation très flatteuse qu'ont certains longs métrages. Pour ma part, j'ai longtemps tourné autour de Midsommar sans franchir le pas. Je reconnais qu'il y avait une part de frousse dans mes hésitations : on me promettait de tels frissons que je redoutais de m'aventurer dans cette histoire. Par ailleurs, sa durée (2h. 25) me rendait méfiant (je ne considère pas que les films longs sont meilleurs que les autres ni même qu'il en faut plus, contrairement à ce que préconisent Scorsese, Nolan ou Villeneuve). Enfin, n'étant pas un adepte des films qui font peur, j'ai toujours ce mouvement de recul à leur égard.

Mais, à mon âge, il faut savoir affronter ses appréhensions au risque de passer pour un trouillard ou un idiot. Et donc je me suis lancé, motivé par la présence au générique de Florence Pugh, qui je trouve toujours intéressante, souvent phénoménale.

Le film démarre fort, sans ménager son audience, mais cette entrée en matière, avec un suicide collectif a au moins le mérite de la franchise et surtout justifie la détresse psychologique de l'héroïne. Toutefois, je ne peux pas m'empêcher de trouver le procédé un tantinet grossier, tout comme la scène inaugurale une fois l'action déplacée en Suède avec la dégustation de champignons hallucinogènes, qui ne m'a pas paru apporter grand-chose à la suite (retirer-là du montage, elle ne manquera pas).

Là où le charme maléfique commence à agir vraiment, c'est quand on découvre le décor principal de l'histoire, cette espèce de village avec ses habitants vêtus de blanc, évoluant dans une sorte de béatitude qui produit l'exact effet inverse chez celui qui les découvre : on sait instinctivement que ce n'est pas le paradis sur Terre présenté. Il plane sur ce site quelque chose d'inquiétant, de perturbant, de malaisant. Quelque chose qui ressemble à une secte avec des gens trop heureux pour être honnêtes.

C'est effectivement le cas et on ne tarde pas à en avoir la confirmation avec cette scène atroce de l'attestupa. Les justifications fournies pour ce rite ne fonctionnent pas du tout et les réactions, d'un côté de Connie et Simon, et de l'autre de Dani (l'effroi et la stupeur), résume bien l'ambition d'Ari Aster. La violence est montrée de façon crue mais sans insistance, ce que veut le cinéaste c'est bien créer un malaise durable après un choc brutal. Comparativement, la suite du film est moins directe (même s'il subsiste des images, des instants complètement dingues).

S'il ne fait aucun doute que Dani est bien au coeur de l'intrigue et que Midsommar nous la montre affronter puis embrasser puis repousser puis intégrer tout ce qu'elle traverse, la narration s'enrichit aussi du parcours de Christian, aussi déroutant et affolant. Bien entendu, je ne veux pas trop en dire mais Ari Aster joue habilement sur ces deux tableaux.

Le problème qui se pose et qui a engendré ma déception dans l'ensemble, c'est que le cinéaste a tendance à ne pas tenir son récit et se délester facilement d'éléments dont visiblement il ne sait plus quoi faire. Des personnages comme Mark (interprété par Will Poulter) ou Josh (campé par William Jackson Harper) sont vite dégagés (surtout le premier, caractérisé avec un manque de nuances assez lourdingue). Aster n'arrive pas à les faire exister ni à exploiter la part de conflit qu'ils incarnent et décide donc de se concentrer sur Dani et Christian.

Pelle (joué par Vilhem Blomgren) est aussi trop peu défini et quand son rôle est révélé, cela apparaît comme une ficelle tardivement dévoilée et bien opportuniste pour expliquer comment Dani et Christian ont échoué là. Dommage. La description de la communauté ne sort jamais non plus vraiment des clichés de la secte, depuis l'esthétique adoptée pour les représenter jusqu'à leur comportement : finalement, là aussi, les appréhensions des étrangers à ce clan ne sont jamais démenties, le film se plante dans les grandes largeurs pour semer le doute, on sait que tout ça n'est qu'un gros piège bien malsain et rien ne le contredira.

En conséquence, Midsommar manque cruellement de cette ambiguïté qu'il veut distiller. Tout ce qu'on voit n'est que confirmation de ce qu'on soupçonne. Et le final a quelque chose de plus grotesque que de paroxystique, une ultime abomination bizarre de plus dans un gros bouquet (les fleurs sont omniprésentes mais leur part symbolique - la beauté au milieu de ces horreurs - est maigrement mis en avant). Beaucoup de potentiel gâché, d'occasions manquées. Trop en vérité pour prétendre voir un grand film d'épouvante, le sommet promis.

Reste Florence Pugh, dont l'abandon est impressionnant. Comme Mia Goth, elle a cette capacité à tout lâcher, sans retenue aucune, et c'est très fort. Mais ce qui est étrange, c'est que, jusqu'à présent, ce formidable talent est souvent mal valorisé, soit dans des films en deçà d'elle (Don't worry darling), soit dans des rôles trop brefs (Oppenheimer). Saura-t-elle, comme Emma Stone avec Yorgos Lanthimos, rencontrer un metteur en scène à même de lui donner un matériau à sa mesure, dans un film accompli ?

Midsommar se retient donc plus par ces moments où on est éberlué que par la peur qu'il veut provoquer. Ce qui s'appelle s'arrêter au milieu du pont.

MASTERPIECE #4 (Brian Michael Bendis / Alex Maleev)


Emma et le Parangon ont réussi à semer la pagaille dans les rangs de leurs ennemis, Zero Preston et Katie Roots - cette dernière a d'ailleurs préféré provisoirement quitter le pays. Emma recrute un nouvel allié qui a un lien personnel avec Preston qui, de son côté, engage aussi un renfort ayant ses propres comptes à règler avec le Parangon...


Tout d'abord, vous pourrez trouver dès aujourd'hui, avant cette critique du quatrième épisode de la série, les entrées consacrées aux trois précédents numéros de Masterpiece. Je les avais écrites sur mon précédent blog et comptais d'abord simplement poster des liens en préambule du présent articles, puis je me suis dit : faisons les choses proprement et permettons au lecteur de tout avoir sous la main au même endroit.


Maintenant que ceci est dit, passons à ce quatrième chapitre. Brian Michael Bendis a opéré un point de bascule : confrontée à deux adversaires qui voulaient la manipuler pour éliminer l'autre, Emma et sa bande a compris qu'elle ne gagnerait rien dans cette affaire. Elle resterait à la merci de Zero Preston ou de Katie Roots au terme de la guerre qu'ils se livrent.


La jeune femme croit d'abord pouvoir dissuader Preston de cesser de l'ennuyer en recourant à du chantage contre ses hommes de main. Le Parangon préfère, lui, une méthode plus brutale et pour persuader Emma que c'est la seule tactique valable, il lui fait comprendre qu'il faut traiter le problème comme une affaire personnelle, frapper là où ça fait mal. Parce que Preston est un lâche qui ne comprend que la violence.


De son côté, soucieuse de ne pas être éclaboussée par la tournure que prennent les événements et sans doute en espérant que Preston va effectivement tomber, Katie Roots a quitté la partie. Mais tout indique que c'est seulement provisoire. Cela semble aussi suggérer que les sis épisodes prévus pour Masterpiece ne suffiront pas à tout raconter et que Brian Michael Bendis prépare un deuxième volume (où donc Emma et ses complices s'occuperont de Roots).

En attendant de savoir si ces spéculations sont fondées, ce nouvel épisode est au diapason des précédents. La fluidité de la narration en fait un page-turner très efficace, avec des personnages variés et caractérisés de façon à les rendre tous irrésistiblement cools. L'échange entre le Parangon et Emma sur la stratégie la plus appropriée est une preuve que Bendis n'a rien perdu de son talent de dialoguiste : on y perçoit la tension entre les deux personnages et la force de persuasion du plus ancien mais aussi, mais encore l'intelligence d'Emma qui admet les arguments du tueur.

Ce qui est aussi frappant, c'est la façon dont Bendis a fait de Masterpiece une réflexion sur sa propre carrière. Il est évident qu'entre les anciens et les nouveaux, résumés justement au Parangon (mais aussi Gleason) et Emma (mais aussi Lawrence et Skottie), le scénariste livre sa pensée sur sa génération et celle qui est en train de lui succéder dans les comics : Bendis a été sur le toit du monde puis a connu une aventure compliquée en changeant d'éditeur et aujourd'hui il se contente en quelque sorte de raconter des histoires, sans pression, avec détachement, mais sans doute en regardant, de loin, qui prétend s'imposer comme il le fit. 

Pour Alex Maleev, c'est un peu pareil : le dessinateur bulgare a été associé à quelques-unes des grandes réussites artistiques et commerciales de Bendis mais comme beaucoup de dessinateurs, il a paru dépassé quand son partenaire n'a plus été le maître du jeu. Il a alors cherché à travailler ailleurs, sans renouer avec le succès ni conserver son étonnante productivité. Puis il retrouve son scénariste fétiche à l'occasion de Masterpiece.

Maleev adopte une attitude similaire à Bendis : il n'a plus rien à prouver - ou plus envie. Il ne force pas son talent - il n'en a pas besoin. Ce qui l'anime, c'est évident, c'est de raconter de la manière la plus sobre, la plus claire, cette histoire, sans entrer en compétition avec quiconque. Et tout ça aboutit à des planches qui, peut-être, paraîtront moins bonnes, moins accomplies, moins sophistiquées que jadis pour ses fans et les lecteurs en général, mais qui ont une simplicité, une immédiateté, proche de l'épure. Et cette sobriété, c'est celle d'un grand qui s'est en quelque sorte délesté de tout le superflu.

Masterpiece est donc à la fois un divertissement cool et un comic-book étonnamment apaisé. Une oeuvre attachante par deux complices qui ont déjà gagné contre la banque.