mercredi 3 avril 2024

LAST SEDUCTION (John Dahl, 1994)


Bridget Gregory travaille dans un centre de télémarketing à New York où elle dirige une équipe de commerciaux d'une main de fer - mais elle obtient des résultats. Son mari, Clay, est un médecin qui doit beaucoup d'argent à des usuriers et qui pour s'acquitter de ses dettes vend de la cocaïne pharmaceutique à des dealers. Ce jour-là, il empoche 700 000 $ mais cette transaction a failli mal tourner et il rentre chez lui encore tremblant. Ce dont se moque Bridget.


Il la gifle puis s'excuse de sa réaction. Puis il va prendre une douche. Bridget en profite pour se tailler avec le magot. En route pour Chicago où elle compte demander à une amie de l'héberger, elle s'arrête à Beston, prés de Buffalo. Dans un bar, elle se fait aborder par Mike Swale, qui vient de rentrer de Buffalo après s'être marié sur un coup de tête. Bridget répond favorablement à ses avances tout en lui faisant comprendre qu'entre eux cela ne sera qu'une affaire de sexe.


Cependant, à New York, Clay engage Harlan, un détective privé, pour retrouver Bridget et surtout son fric. Comme il sait qu'elle maîtrise l'écriture miroir, il devine qu'elle a changé d'identité pour s'appeler Wendy Kroy (New York à l'envers). Et, effectivement, c'est sous ce pseudo qu'elle décroche un emploi dans une compagnie d'assurances à Beston, dans la même boîte que Mike. Celui-ci lui apprend, entre deux parties de baise, comment repérer les maris infidèles grâce à leurs rapports de comptes, ce qui donne à Bridget une idée diabolique : proposer à des femmes trompées de liquider leur conjoint en échange d'une partie de l'assurance-vie qu'elles toucheront.


Elle cible alors un certain Lance Collier en Floride mais Mike se dérobe, refusant d'être impliqué dans une affaire d'assassinat, même contre un mari infidèle et violent. Alors que Harlan retrouve Bridget, celle-ci s'en débarrasse promptement et élabore un plan pour convaincre Mike de l'aider in fine à tuer Clay...


1992 : décidément une année charnière pour le film noir puisque, outre Pulp Fiction, sort dans les salles Basic Instinct, le thriller très hot de Paul Verhoeven, qui révéla Sharon Stone. Cette dernière devient la nouvelle femme fatale hollywoodienne mais ne réussira jamais à se défaire de cette image et verra sa carrière sombrer péniblement (malgré une belle prestation dans Casino de Martin Scorsese).
 

Mais cela donnera des idées à bien des scénaristes, envieux de ce succès et désirant challenger le script de Joe Eszterhas. C'est vraisemblablement le cas de Steve Barancik quand il écrit The Last Seduction qui finit par atterrir sur le bureau du réalisateur John Dahl, qui, lui, semble vouloir prouver au monde entier qu'il est le nouveau maître du film noir après Kill me again et Red Rock West.
 

Ces deux premiers longs métrages proposaient déjà deux rôles de femme fatale mémorables, campées par Joanne Whalley-Kilmer puis Lara Flynn Boyle. Mais avec ce scénario, il lui faut vraiment trouver une actrice au-dessus du lot, qui n'a pas froid aux yeux (ni ailleurs) : ce sera Linda Fiorentino.

Malheureusement, cette comédienne au charisme exceptionnel connaîtra peu ou prou le même sort que Sharon Stone, prisonnière de l'image fixée par Last Seduction, en en jouant d'abord (dans le thriller Jade) puis incapable de décoller cette étiquette. Par-dessus le marché, Fiorentino au du caractère : sur le plateau, elle suggère à Dahl certaines scènes non prévues dans le script et se prend déjà pour une star, ce qui lui vaut l'inimitié de ses partenaires et même des techniciens (mais pas de son réalisateur, aux anges).

Cette incapacité à rester dans les clous ira en empirant et lui vaudra d'être quasiment blacklistée (même si elle retournera sous la direction de Dahl dans Unforgettable). Par exemple, pour Men in Black 1 (1997), elle rebondit avec brio dans ce blockbuster mais ne s'entend pas du tout avec Tommy Lee Jones. Lorsque la suite est mise en chantier, son rôle est moins consistant et elle exige des réécritures, qui sont refusées, mais surtout on raconte que Jones n'acceptera pas de jouer si elle revient. Et donc, elle ne figure pas dans Men in Black 2.

Ce destin contraste totalement avec son personnage manipulateur et implacable de Bridget Gregory/Wendy Kroy. C'est, disons-le tout net, une des plus belles garces que le cinéma ait produit et Fiorentino l'incarne avec une férocité inouïe. Aucun homme ne peut lui résister, encore moins lui survivre. A côté d'elle, Catherine Trammel (l'héroïne de Basic Instinct) est vraiment une petite joueuse. 

Malgré des péripéties nombreuses et des circonvolutions qui exigent l'attention soutenue du spectateur, l'intrigue est simple : Bridget dérobe un butin énorme à son mari au prétexte qu'il l'a giflée impulsivement. Elle se cache dans une bled perdu où elle met le grappin sur un jeune étalon qui tombe raide dingue d'elle. Puis elle le manipule patiemment pour qu'il tue Clay, son époux qu'elle fait passer pour un type violent et infidèle (mais sans dire que c'est le sien, de mari).

Tous les clichés sont là, mais transcendés par un script qui s'appuie entièrement sur ce personnage de mante religieuse, dominatrice, diabolique, sans aucun scrupules, qui va jusqu'à provoquer son amant pour qu'il la viole afin que la police vienne la sauver et l'en débarrasse ! Le spectateur est constamment éberlué par l'audace, l'aplomb, de cette femme, qui a toujours un coup d'avance, et qui pour rien au monde ne lâchera ce pognon. Le spectacle de ces hommes qu'elle écrase a quelque chose de grisant et de terrifiant, au point qu'on imagine mal aujourd'hui qu'un film pareil, avec une anti-héroïne pareille puisse voir le jour, dans le contexte post-#metoo, où le simple fait qu'un scénariste masculin écrive ça ne passe pas pour un horrible misogyne.

Pourtant, encore une fois, c'est un rôle en or, et une actrice comme Cate Blanchett par exemple serait formidable dans ce registre, sans risquer d'être cantonnée à ça (contrairement à Fiorentino, Blanchett a déjà une carrière fantastique derrière elle et sans aucun doute beaucoup de grands films devant elle). Et puis John Dahl produit son chef d'oeuvre : c'est son long métrage le plus abouti, le plus savoureux, le plus efficace, le plus mordant. Il y va vraiment à fond, porté par ce script d'enfer et son actrice infernale.

Pour donner la réplique à cette dernière, il a aussi pu s'appuyer sur deux acteurs qui allaient connaître une belle carrière, eux, ensuite : d'abord Bill Pullman, avant Independance Day, avant Lost Highway, avant The Sinner, qui est parfait en mari floué mais pugnace, et puis Peter Berg, devenu depuis réalisateur (on lui doit notamment le premier Very Bad Things, gros carton), également excellent en "tringleur officiel" qui se fait justement mener par le bout de la queue.

Un polar jubilatoire, corsé, drôle, et une actrice dans le rôle de sa vie, pour un cinéaste à redécouvrir : c'est ça, Last Seduction.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire