samedi 13 avril 2024

THE GREEN KNIGHT (David Lowery, 2021)


Le matin de Noël, Gauvain est réveillé dans un bordel par son amante, Essel. Il se hâte d'aller changer de tenue chez sa mère qui le réprimande, puis se rend à la cour du roi Arthur qui donne un banquet avec les chevaliers de la Table Ronde. Chez elle, la mère de Gauvain commence un rituel pour invoquer le Chevalier Vert tandis que Arthur convie Gauvain à s'asseoir à sa droite pour qu'il raconte une histoire qui lui est arrivé. Mais il n'a jamais rien vécu d'épique.


C'est alors que le Chevalier Vert fait son entrée et défie quiconque se croira capable de lui trancher la tête en duel. Gauvain saisit cette occasion pour prouver sa valeur et Arthur lui donne son épée. Le Chevalier Vert dépose sa hache au sol et tend le cou. D'abord hésitant, Gauvain lui porte le coup mortel. L'assistance l'applaudit. Mais son adversaire n'est pas mort : il se relève et prend sa tête sous le bras en donnant rendez-vous au chevalier dans un an.


L'histoire devient une légende à la gloire de Gauvain qui profite de sa célébrité pour prendre du bon temps. Mais alors que l'échéance approche, le roi le rappelle à son devoir et il part retrouver le Chevalier Vert, dont il prend la hache tandis que sa mère lui a confectionné une ceinture qui le prémunira de toute souffrance. Le périple de Gauvain peut commencer, fait de rencontres hasardeuses, de contretemps, de gains et d'épreuves, avec pour compagnon de route un renard...


Révélé il y a une dizaine d'années avec Les Amants du Texas, réunissant devant sa caméra Casey Affleck et Rooney Mara, David Lowery est un scénariste et réalisateur à part dans le paysage cinématographique américain. En effet, sa filmographie passe sans transition d'un remake de Peter et Elliott le dragon à un pur long métrage indé comme A Ghost Story (à nouveau avec le duo Affleck-Mara) en passant par les adieux de Robert Redford (The Old Man and the Gun).


Impossible de prédire donc à chaque fois ce qu'il va faire. Et donc faut-il être étonné de le voir adapter la légende arthurienne consacrée à Gauvain et le Chevalier Vert, un des récits les plus curieux de cette collection médiévale ? Lowery invite le spectateur à une véritable odyssée de 130', étrange et belle.


Lorsque l'histoire débute, Gauvain fait partie des membres de la Table Ronde du roi Arthur mais il n'a pas encore fait ses preuves comme chevalier. D'ailleurs quand on lui demande de raconter un de ses exploits, il admet, honteux, ne pas en avoir encore accompli. Mais sa mère, mystique, pratiquant les arts occultes, invoque l'esprit du Chevalier Vert et déclenche une réaction en chaîne qui va écrire le destin de son fils. 


A l'issue d'un duel qui n'en est pas un, Gauvain tranche la tête du Chevalier Vert qui a rendu les armes devant lui et tendu son cou pour être décapité. Il ne meurt pas pourtant mais repart, sa tête sous le bras, après avoir donné rendez-vous à Gauvain l'année suivante. La cour du roi est interloquée par cette scène très bizarre. Mais Gauvain devient le nouveau héros de Camelot.

Lorsque le roi lui rappelle sa quête quelques mois plus tôt, il part sans trop savoir où aller ni ce qui l'attend. Le film est chapitré mais ce qui suit est tellement curieux que cela dépasse la simple succession de saynètes. En fait, le spectateur comprend très bien que toutes sont autant d'étapes dans l'initiation chevaleresque de Gauvain.

Ainsi, d'abord naïf, il est piégé et détroussé par un jeune charognard et ses deux complices. sans cheval, sans vivres, avec pour seule arme la hache du Chevalier Vert, il poursuit son chemin et va de rencontre en rencontre. Le fantastique s'invite régulièrement dans ce périple comme lors de la rencontre avec Winifred qui a connu un triste sort, le renard avec lequel il sympathise après avoir d'abord voulu l'éloigner craignant que l'animal ne lui porte malheur, des géants dans une vallée, un seigneur et sa dame, etc.

Ce qui compte en vérité, ce n'est pas de dévoiler ces rebondissements, ou leur ordre d'apparition, mais bien la manière dont il forge le tempérament de Gauvain, dont ils le font réfléchir à son parcours. La plupart du temps, sans pour autant le caractériser comme un imbécile, Gauvain apparaît dépassé, déboussolé parce qui lui arrive. On le serait à moins. Tout cela excède sa formation de chevalier, d'ailleurs il ne combat pas, aucun adversaire ne se dresse devant lui qui lui permettrait de briller. Quand les voleurs le détroussent, il est pris par surprise, il n'a pas le temps de réagir. Sa superstition envers le renard tombe vite. Son émerveillement devant les géants le cloue sur place. Sa rencontre avec le seigneur et sa femme le trouble trop pour qu'il s'apaise. 

Et quand, finalement, il se trouve à nouveau devant le Chevalier Vert, il attend patiemment le réveil de ce dernier, ne profitant pas de la faiblesse de son vis-à-vis pour le tuer. Ils ne s'affronteront pas davantage que lors de leur premier face-à-face à Camelot car Gauvain doit en fait apprendre une ultime leçon, recevoir un ultime enseignement. Qui fera de lui un authentique chevalier, noble, digne, et méritant qu'on écrive son histoire.

David Lowery réussit magistralement à retranscrire ce conte. C'est sans doute, depuis Excalibur de John Boorman, le meilleur film sur la geste arthurienne parce que le cinéaste en respecte le mystère, sans chercher à tout expliquer, tout justifier, en laissant le spectateur comprendre par lui-même la morale de cette histoire.

Certes, le film ne va pas vite, il prend son temps, mais cette façon de faire correspond au temps long de la quête, à la traversée des paysages (tous sublimes, envoûtants, sauvages). Esthétiquement, The Green Knight est une splendeur et il faut se laisser aller, se laisser entraîner dans cette épopée lente et pénétrante. N'attendez pas, encore une fois, des scènes de baston épiques, des duels à l'épée brutaux, non, ce n'est pas le propos. Ici, le voyage, le trip même, est presque plus cérébral que physique (même si Gauvain souffre aussi dans sa chair, exposé à un climat hostile, à la faim, la privation, la confusion, le désir).

Lowery convoque à la fois une certaine austérité, dans son refus obstiné, audacieux, du spectacle divertissant, et une vraie sensualité, par la grâce de ses acteurs, la puissance de la nature, l'aspect primal de toute chose dans cette époque, sa mystique. Le meilleur exemple se trouve dans la séquence chez le seigneur et sa dame, sommet d'érotisme, de trivialité même, et d'insolite, où chaque signe, chaque regard, chaque geste interroge, excite les sens du spectateur plus qu'ils n'interpellent son intellect.

Dev Patel est linattendu dans le rôle de Gauvain : l'acteur indien, révélé par Slumdog Millionaire, incarne pourtant à la perfection de chevalier errant, sombre, taciturne, balloté par ce qu'il expérimente. Alicia Vikander dans un double rôle est absolument magnifique et rappelle à quel point elle est une formidable actrice sous-exploitée. Joel Edgerton est excellent en seigneur hospitalier et énigmatique. Barry Keoghan est impeccable en égaré maléfique.

Et sous le maquillage impressionnant du Chevalier Vert, Ralph Iveson en impose comme la créature à qui il donne vie.

The Green Knight est un chef d'oeuvre, pas forcément facile mais inoubliable.

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