lundi 15 avril 2024

FIGHT CLUB 2 (Chuck Palahniuk / Cameron Stewart)



10 ans après les événements du premier Fight Club, Sebastian et Marla vivent ensemble et sont les parents d'un jeune garçon. Sebastian travaille dans une entreprise de sous-traitance militaire, Rize or Die, négligeant Marla qui fréquente à nouveau des groupes d'entraides de grands malades. Elle décide de réveiller Tyler Durden en changeant les médicaments que prend Sebastian par des aspirines afin d'être satisfaite sexuellement.


Mais son plan dérape car Tyler met le feu à la maison où Marla et Sebastian vivent. Ils croient que leur fils a péri dans l'incendie mais une enquête conclut à son enlèvement car le corps retrouvé dans les cendres appartient en fait à un membre d'un groupuscule terroriste, le Projet Chaos. Lorsqu'il apparend ce qu'a fait Marla, Sebastian en parle à son psychiatre, le Dr. Wrong, qui lui avoue à son tour avoir libéré Durden 1h 30 par jour au cours des dix dernières années.


C'est ainsi que Tyler Durden a transformé le Fight Club pour en faire une véritable armée au service du Projet Chaos au moyen duquel il ambitionne de renverser tous les gouvernements du monde en se servant su fils de Sebastian et Marla dont il veut faire le nouvel Alexandre le Grand. Sebastian sait qu'il n'a plus le choix : pour récupérer son fils, il doit renouer avec le Fight Club. Et de son côté, Marla mène ses propres investigations avec l'aide de malades de la Progeria qu'elle a rencontrés dans un groupe d'entraide.


Dernier "petit" problème pour ceux qui l'auraient oublié : Tyler Durden n'existe pas. Sebastian souffre de schizophrénie et il a créé de toutes pièces ce double maléfique...


On ne doit pas être bien nombreux désormais mais ça me manque de ne plus lire de comics dessinés par Cameron Stewart. Oh, je n'excuse pas le comportement intolérable de cet artiste qui draguait des mineures en profitant de sa notoriété. Mais d'un autre côté, aucune plainte n'a été déposée contre lui, aucun procès ne s'est tenu avec lui dans le box des accusés : Stewart a été condamné par les réseaux sociaux et mis au ban de la communauté des comics, lâché par les éditeurs, ses collègues, le public.


Cela renvoie au tragique et récent décès d'Ed Piskor, accusé par une jeune femme de comportement inadéquat et lynché par des trolls sur Internet. Déjà fragile psychologiquement, l'auteur a pressenti ce qui l'attendait professionnellement et ne l'a pas supporté : il a mis fin à ses jours à 41 ans en laissant un ultime message d'adieu dans lequel il se défend de tout ce qu'on lui reproche et en s'adressant à son agent et ses amis restés fidèles pour exécuter ses dernières volontés.


Je pourrais encore continuer longtemps à commenter les carrières foutues en l'air par les réseaux sociaux, y compris quand la justice a définitivement blanchi certains artistes (comme Woody Allen, pointé du doigt comme un pédophile par Mia et Ronan Farrow et deux fois acquitté, mais sans que personne ne le mentionne). Et ce, sans discuter du bien-fondé d'autres affaires comme le cas Roman Polanski, pardonné par sa victime, mais dont le procès se tiendra bientôt aux Etats-Unis, mais sans qu'il y soit présent.


Fin de la parenthèse. On ne doit pas être non plus très nombreux à ne pas avoir aimé Fight Club, le film de David Fincher, qui est pourtant un de mes cinéastes favoris (malgré Millenium et Benjamin Button). Personnellement, je m'étais copieusement fait chier devant ce pseudo-film anarchiste adapté d'un roman que je n'avais du coup eu plus envie de lire ensuite. Ce qui ne m'a pas empêché d'être très intrigué quand j'appris que Chuck Palahniuk, son auteur, avait écrit une suite en comic-book en 2012.


Faut-il, donc, avoir vu le film, ou lu le roman Fight Club avant de se plonger dans Fight Club 2 ? En tout cas, moi, je ne l'ai pas fait et ça ne m'a pas gêné. Car, plus qu'une suite, même si l'action se déroule dix ans après les faits survenus dans le roman et le film, il s'agit à mon sens davantage d'une variation sur les mêmes thèmes, voire même d'une correction de l'oeuvre originale et de son adaptation sur grand écran.


Je ne me suis pas renseigné sur le sujet mais si je me fie à cette mini-série en 10 numéros, je ne suis pas loin de penser que Palahniuk n'apprécie pas beaucoup le film de Fincher, ou du moins le phénomène qu'il a engendré. Ce ne fut pas un succès commercial, loin s'en faut, mais ce qu'on appelle un film-culte, fédérant autour de lui une base de fans électrisés par le récit de ce type, Sebastian, qui reconquiert sa virilité en fréquentant un club de combats clandestins et en faisant la connaissance de Tyler Durden, un drôle de loustic qui veut tout faire péter pour refaçonner le monde après l'apocalypse qu'il aura déclenchée. Sans oublier, entre les deux hommes, Marla, une suicidaire toxicomane...


... Et la révélation que Tyler Durden n'existe que dans la tête de Sebastian, qui est un schizophrène dont les frustrations s'incarnent ainsi.

Comme on le dit souvent, chez les gens qui considèrent la BD comme de la sous-littérature, les illustrés, c'est le cinéma du pauvre. Et comme on le dit chez les auteurs de BD, les illustrés, c'est bien parce que, contrairement au cinéma, on ne dépend pas des grands studios, des producteurs, du budget, ça ne coûte pas cher et on peut tout s'y permettre. Chuck Palahniuk fait partie de la seconde catégorie.

En se projetant dix ans dans le futur de ses héros de roman, il donne une perspective à son récit initial, en reproduit des moments (l'incendie de la maison de Sebastian par exemple). Mais il se permet aussi de réécrire l'histoire sans ce qui paraît lui avoir déplu dans l'adaptation de Fincher. Du coup, on a droit à dix épisodes complètement barjos, en roue libre, inégaux donc mais aussi, là, totalement libérés de toute contrainte. Il s'y met même en scène, ce qui ajoute une dimension méta à l'entreprise, rencontrant même ses personnages à la fin (pas forcément pour son plus grand bonheur d'ailleurs).

Le pitch, malgré ses nombreux rebondissements, révisions et twists, est cependant assez simple : Tyler Durden refait surface à cause de Marla qui s'ennuie dans sa vie conjugale auprès de Sebastian. Il reprend les choses là où il les avait laissées, en activant le Projet Chaos, qu'il a élaboré avec la complicité du psy de Sebastian lors de séances d'hypnose. Mais Tyler a compris que Sebastian n'était pas un véhicule fiable et il jette donc son dévolu sur son fils qu'il veut former pour en faire son nouvel hôte.

Palahniuk définit donc Durden comme un virus mental qui a contaminé Sebastian, mais aussi ses ancêtres avant lui, produisant donc les névroses susceptibles de le rendre schizophrène. Ses stratagèmes ayant échoué par le passé, il fonde donc tous ses espoirs vers celui qui incarne le futur, le fils de Sebastian et Marla, qui est donc aussi le sien. A partir de là, les deux parents s'engagent dans une course-poursuite pour arracher leur fils à l'emprise de Tyler Durden. Mais n'est-il pas déjà trop tard ?

Dans le dernier tiers ou quart du livre, Palahniuk pousse le bouchon encore plus loin en apparaissant dans le récit et en s'en moquant ouvertement. Mais pas que. Il se paie aussi la poire des fans du film qui ignoraient que celui-ci était une adaptation de son livre. Toutefois, pour éviter de se faire lyncher par les lecteurs qui l'attendent devant le club de lecteurs (exclusivement féminin) à qui il a soumis cette suite, il donne à chacun la liberté d'imaginer la fin qui lui convient. Un consensus se fait pour épargner le personnage le plus emblématique et problématique à la fois (pas besoin de vous dire qui). Mais cela révèle la lâcheté de l'auteur et le condamne de manière symbolique (mais pas que).

De grands moments WTF ponctuent cette aventure, avec la bande de gamins atteints de progéria qui accompagnent la quête de Marla et se trouvent expédiés sur divers théâtres de guerre (notamment au Moyen-Orient) dont les forces armées disposent de l'arsenal vendu par la compagnie Rize or Die (pour laquelle travaille Sebastian), ou l'assaut donné sur un château-forteresse situé sur un nid d'aigle (référence explicite au repaire d'Hitler).

Mais on est aussi ébloui par la virtuosité avec laquelle le récit se déploie et ne s'embarrasse d'aucune limite, allant bien plus loin que le film, jouant avec les codes des comics, jusqu'à masquer le texte et le dessin avec des incrustations de pilules, de pétales de fleur, de spermatozoïdes, en affichant une ultra-violence vraiment sans filtre.

Et c'est là qu'entre en scène le génie visuel de Cameron Stewart, de son découpage limpide en toute circonstance, de ses références parfois grotesques, parfois pointues, toujours explosives. Effectivement, la BD autorise tout ce que le cinéma ne peut pas et prouve son inventivité, ses moyens bien à lui. Par exemple, Stewart ne dessine pas les protagonistes en cherchant à les faire ressembler aux acteurs qui les ont joués (sans doute aussi pour éviter des problèmes de droit à l'image), mais en rendant à chacun une identité graphique plus forte, plus typée, il leur confère plus de puissance et au lecteur plus de marge.

C'est pour cela que Stewart me manque parce que c'est un storyteller de première classe et c'est vraiment dommage à la fois qu'il n'ait pas été plus correct dans le privé et que le milieu des comics l'ait banni sans ménagement, sans droit de réponse. Face à un script aussi dense et fou, Stewart n'a pas peur, au contraire, comme les plus grands artistes du média, il se dépasse, il est galvanisé par le défi que cela représente.

Quand il doit mettre en images une scène de combat, il fait voler en éclats les cases, les bandes pour mieux suggérer les mouvements, les impacts. Quand il doit s'enfiler des tunnels de dialogues, il trouve la bonne solution, en variant le nombre de cases par page, la valeur des plans, la composition des plans. C'est un dessinateur complet comme peu le sont, qui réussit à rendre expressifs sans exagération les personnages, à détailler les décors y compris sous des angles difficiles à maîtriser pour le commun des artistes (voir les plongées, contre-plongées sur la maison du Fight Club).

Vous avez besoin de splash pages qui pètent ? Stewart vous la sert comme si c'était un jeu pour lui. Vous avez besoin de visiter un décor très fourni avec des perspectives, des motifs, des intérieurs détaillés ? Il vous les fait les doigts dans le nez. Des personnages adultes, enfants, vieillards, des monstres, des foules ? Aucun souci. Et attention, ça ne rigole pas : Stewart a livré ces dix épisodes de malade en dix mois, sans retard !

Alors oui, ce n'est pas un type fréquentable, mais quel gâchis de le voir aujourd'hui réduit à produire son nouveau comic-book sur Patreon (donc en sollicitant les lecteurs intéressés pour qu'il paie ce qu'il poste - pas une fortune, mais ce ne sera jamais publié physiquement, il n'y aura jamais d'album). Quelle tristesse que d'avoir gaspillé sa carrière en faisant le con avec des minettes... Et quelle désolation que cette époque où la vie d'un auteur explose en plein vol parce que le tribunal des réseaux sociaux a tranché et décidé qu'il fallait couper des têtes.

Super 8 Editions a traduit ce volume en 2016, avec beaucoup de soin. Mais évidemment Fight Club 3 n'a jamais été traduit en France et Dark Horse ne l'a jamais réimprimé depuis le scandale lié à Stewart (on le trouve sur Amazon mais à un prix prohibitif). Palahniuk est retourné écrire des romans (même si ses derniers ouvrages restent aussi inédits en France), s'abstenant de tout commentaire sur son dessinateur.

A vous de voir maintenant. Je n'ai jamais su décider s'il fallait séparer l'homme de l'auteur même si je reconnais qu'il est parfois très compliqué de lire des ouvrages réalisés par de vrais enfoirés, surtout quand lesdits ouvrages contiennent des saloperies. Maintenant, je suis farouchement opposé aux autodafés et encore plus aux condamnations unilatérales par les réseaux sociaux, qui plus depuis la mort d'Ed Piskor. Donc, ne lisez pas de comics dessinés par Cameron Stewart s'il vous dégoûte mais ne jugez pas ce qui le font parce qu'ils sont indulgents ou simplement curieux. Et être curieux avec ce Fight Club 2, c'est quand même bien.

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