dimanche 21 avril 2024

LATE NIGHT WITH THE DEVIL (Cameron & Colin Cairnes, 2023)


Un documentaire retrace l'ascension de l'animateur de radio Jack Delroy qui fut embauché en 1972 par la chaîne UBC pour présenter un late show ambitionnant de concurrencer le Tonight Show de Johnny Carson. Les débuts sont fulgurants et certains médias extrapolent sur l'influence de The Grove, un groupuscule de gens riches et puissants auquel appartiendrait Delroy et qui aurait facilité sa carrière.


Puis un drame frappe l'animateur-vedette quand on diagnostique à sa femme, Madeline, un cancer du poumon en phase terminale dont elle décède quelques mois plus tard. L'émission "The Night Owls" s'interrompt quelques mois avant le retour surprise à l'antenne de Delroy qui, avec son nouveau producteur, le sulfureux Leo Fiske, en fait une quotidienne plus racoleuse, mais sans retrouver ses scores d'audience.
 

Alors que la rumeur prétend qu'UBC va annuler le show, le 31 Octobre 1977, Delroy décide de consacrer un numéro spécial pour Halloween sur l'occultisme. Il a pour premier invité le médium Christou qui affirme communiquer avec les morts et accomplit une prestation impressionnant le public dans le studio. Puis c'est au tour de Carmichael Haig d'entrer en scène : cet hypnotiseur s'est engagé dans une croisade contre les charlatans du surnaturel et attaque Christou.


Le médium est pris d'une violente toux puis de convulsions avant de vomir un épais liquide noir et d'être évacué du plateau pour être conduit à l'hôpital. Delroy introduit ses deux dernières invitées : le Dr. Jane Rose-Mitchell, parapsychologue, et sa patiente, la jeune Lily, unique rescapée d'une secte dont tous les membres ont péri dans un incendie lors du siège de leur église par le FBI, et qui serait possédée par le démon Abraxas. Contre l'avis de June, Delroy insiste pour une démonstration et la soirée va prendre un tour aussi inattendu que spectaculaire et dramatique...


Lors de sa sortie, Late Night with the Devil, petit film d'épouvante produit en indépendant, a subi une polémique parce que ses réalisateurs et scénaristes, les frères Cairnes, ont avoué avoir eu recours à l'Intelligence Artificielle pour une illustration. Des artistes sont montés au front, suivis de journalistes, pour appeler au boycott du long métrage, sans même l'avoir vu.
 

Je ne défends évidemment par le recours à l'IA quand recruter un véritable graphiste et le rémunérer aurait été plus judicieux et aurait évité cette polémique. Mais fallait-il monter sur ses grands chevaux et condamner le film pour autant ? A vrai dire, je n'ai même pas remarqué ledit dessin dans le film, c'est dire si c'est insignifiant. Et surtout je crois que cela aura eu valeur d'avertissement pour les studios (indés ou plus importants) face à une audience qui visiblement est majoritairement hostile.


Que dire du film au-delà de ça ? Late Night with the Devil est déjà suffisamment curieux pour qu'on ne s'égare pas avec des détails périphériques. En tout cas, il ne mérite pas d'être jeté au feu. C'est une pure série B, assumant de jouer avec les codes du film d'épouvante à petit budget, avec un cadre original et s'il n'est pas dénué de défauts (surtout, en ce qui me concerne, sur sa fin), il est très distrayant et étrange.

Avant d'aller plus loin, laissez-moi vous citer un propos tenu par le romancier Daryl Gregory (dans la postface-interview de son excellent Nous allons tous très bien merci) : "L'horreur consiste en l'effroi. Mais le gore relâche cette tension de la manière la plus extrême. Le spectateur n'a plus à se demander sir quelque chose d'encore plus horrible va se passer : cela a lieu pile devant ses yeux. Dans le déferlement gore typique, il est intéressant de remarquer combien, à chaque scène violente, le film devient de moins en moins effrayant et de plus en plus ridicule. Pour n'importe quel fan, la principale question est : peuvent-ils faire encore plus gore ?"

C'est la raison pour laquelle Gregory définit son roman comme de l'anti-horreur (Nous allons tous très bien merci parle d'un groupe de personnes ayant survécu à des horreurs insensés car l'auteur voulait traiter de ce qui se passe pour les héros d'histoires horrifiques après le traumatisme vécu, ce qu'on ne voit jamais).

Les 3/4 de Late Night with the Devil s'inscrivent dans l'anti-horreur, à quelques éléments près (lorsque l'horreur se manifeste visuellement, par exemple avec la nausée violente qui saisit le médium Christou). Et comme le décor du film est original (une émission télé dont l'animateur veut racoler pour reconquérir le public qu'il a perdu), on a affaire à quelque chose de très étonnant, intriguant et accrocheur.

Mieux encore, le film débute par un documentaire revenant sur l'ascension de Jack Delroy, cet animateur à qui tout sourit puis qui perd tout aussi vite (sa femme, la bataille pour l'audimat). Il est suggéré qu'il a profité d'un réseau de puissants influenceurs pour décrocher sa place et qu'il a pour cela signé un pacte faustien avec un groupuscule mystérieux, the Grove. Très vite (même si les auteurs jugent utile de le confirmer ensuite, ce qui est superflu) le spectateur déduit que la mort de sa femme a été le prix à payer pour cette gloire.

Puis, passé ce prologue, on entre dans le vif du sujet avec le tournage de ce qui a été l'ultime numéro de "The Night Owls". Les frèrs Cairnes filment le show en couleurs et durant les coupures publicitaires les coulisses en noir et blanc, un procédé classique qui fonctionne toujours. Les numéros s'enchaînent et le malaise va grandissant dans le public et pour le spectateur, surtout lorsqu'intervient Carmichael Haig, un démystificateur qui lutte contre tous les charlatans du surnaturel, sceptique de service redoutablement efficace (joué magistralement par Ian Bliss). Le film va vite, tout en parvenant à établir une ambiance délétère (notamment entre Gus, le complice sur scène de Delroy, et Leo Fiske, le producteur sensationnaliste).

Dans ce crescendo maîtrisé, l'entrée en scène de la parapsychologue et de sa patiente installe le climax du film. La tension est alors à son comble entre Carmichael Haig qui flaire l'arnaque du siècle (et parie 500 000 $ qu'il la prouvera !) et le Dr. June Rose-Mitchell, qui défend la jeune Lily, rescapée d'une église satanique et hôtesse d'un démon. Je ne vais pas en dire plus pour ne pas spoiler, mais le film déraille au lieu de contenter de suivre la voie qu'il a tracée et qui aurait pu en faire une pépite du genre.

Disons simplement que tout ce qui a été si habilement suggéré jusque-là va aboutir à un dénouement trop démonstratif et inutilement gore. Précisément ce que dénonce Daryl Gregory quand il pointe le fait que l'horreur se vide de sa substance en sombrant dans la surenchère. Si les auteurs avaient usé d'une ellipse et enchaîné sur la toute dernière image du film, l'effet aurait été saisissant et plus ambigu. Au lieu de ça, donc, ils ont préféré épater la galerie, contredisant tout ce qu'ils avaient si bien écrit et mis en scène avant, surtout pour une histoire qui se passe dans les années 70 et convoque les fantômes de tueurs en série célèbres, des rites sataniques, bref la fin de l'âge de l'innocence pour l'Amérique.

On retiendra donc plutôt le dispositif original, la sobriété de la réalisation, et la qualité de l'interprétation, David Dastmalchian en tête, tout à fait bluffant en animateur à la dérive, dépassé par ce qu'il a produit. Laura Gordon est également excellente dans la peau de la parapsychologue et Ingrid Torelli est flippante à souhait dans le rôle de Lily.

Late Night with the Devil vous fera considérer autrement les talk shows en soirée de la télé US (avec Jimmy Fallon, Jimmy Kimmel, Stephen Colbert...). Et ne vouez pas aux gémonies ce film inabouti mais inventif.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire