vendredi 26 avril 2024

LE REGNE ANIMAL (Thomas Cailley, 2023)


Dans un futur proche, un virus se propage partout dans monde et provoque la transformation progressive de certains individus en animaux anthropomorphiques. Les chercheurs sont désemparés face à cette maladie qui peut toucher n'importe qui, quel que soit son âge ou son sexe. Chaque pays tente de gérer cette crise à sa manière et en France, c'est l'armée qu'on envoie pour capturer les "créatures" ou les "bestioles" comme on les appelle.
  

Emil et son père François, cuisinier, déménagent dans le Sud de la France pour suivre Lana, sa mère, atteinte par cette métamorphose. L'adolescent vit très mal la situation car elle est internée dans un centre de soins spécialisé et il ne peut plus communiquer avec elle. Logés dans un mobil'home dans un camping, le père et son fils apprennent que le fourgon qui convoyait Lana et d'autres patients a un accident et que plusieurs d'entre eux se sont enfuis. Julia, une gendarme, tente de les rassurer mais François est résolu à mener ses propres recherches et force Emile à l'accompagner.


Dans la forêt environnante, ils tombent une nuit sur deux créatures, un homme oiseau et une fillette caméléon, mais ne signalent pas leur présence aux autorités. Au lycée où il est admis, Emile se rapproche de Nina, une camarade de classe. Mais il découvre aussi qu'il présente les premiers symptômes de la maladie et le cache à son père. Il s'aventure dans la forêt, seul, et renoue le contact avec l'homme oiseau qu'il encourage dans ses tentatives pour voler.


François reçoit le renfort de Julia pour chercher Lana dans la forêt la nuit. Il retrouve le vélo de son fils et de retour au mobil'home l'interroge à ce sujet. Emile lui avoue son état et son père décide alors de l'aider à ne pas être capturé tout en ignorant combien de temps encore il pourra dissimuler sa transformation...


Présenté l'an dernier dans la section "Un certain regard" au Festival de Cannes, le deuxième long métrage de Thomas Cailley, neuf ans après Les Combattants, a fait immédiatement sensation en investissant le genre fantastique, si délaissé par le cinéma hexagonal. Le cinéaste a pu disposer d'un budget confortable grâce à la présence en tête d'affiche de deux acteurs populaires.


Cailley n'a pas eu l'idée du Règne Animal (un titre un peu maladroit tant il fait plutôt penser à un de ces innombrables documentaires sur la faune diffusé sur le service public) : c'est Pauline Munier, étudiante à la Fémis, qui le lui a soumis lors d'un atelier d'écriture et ensuite il lui a proposé de le développer avec elle. Le résultat est invraisemblablement original.
 

Comme je le disais plus haut, le cinéma français n'envisage le cinéma de genre qu'à travers la comédie et le polar. Les tentatives pour explorer d'autres registres effraient les chaînes de télé, principales sources de financement des films qui réclament des produits formatés pour un public familial en prime time avec des têtes d'affiche. Autant dire que la prime à l'originalité n'est pas distribuée facilement.

Qu'un long métrage comme Le Règne Animal ait réussi à être produit tient donc du miracle. Mais ça n'a pas empêché le public d'aller le voir en salles et de lui réserver un beau succès, ni d'être nommé une douzaine de fois aux derniers Césars (même s'il n'a remporté que des statuettes dans les catégories techniques - faut pas déconner quand même et puis les professionnels de la profession n'avaient d'yeux que pour Anatomie d'une chute de Justine Triet).

L'histoire suit donc un père et son fils dans une France en proie à un virus mystérieux qui, comme partout ailleurs dans le monde, transforme n'importe qui en créatures mi-humaines, mi-animales. Intelligemment, le scénario évite de tenter d'expliquer le phénomène, c'est parfaitement inutile et surtout ça préserve de justifications pseudo-scientifiques maladroites. La mère de famille est atteinte et déplacée dans un centre de soins qui ressemble beaucoup à une sorte de camp de concentration. François, son mari, tente de garder le contact puis la recherche lorsqu'elle s'échappe.

Thomas Cailley capture la beauté sauvage de la nature et interroge avec Pauline Munier les questions relatives à un tel sujet : la différence, l'instinct contre la raison, la peur contre la tolérance, la civilisation... On voit que les habitants du coin s'organisent en milice et que l'armée est chargée de capturer le créatures. L'ambiance est oppressante. Mais dès qu'on s'éloigne de cette humanité qui oublie toute notion de cohabitation, on est saisi par la paix qu'abrite la forêt environnante et l'entraide entre les créatures qui s'y réfugient.

Le point de bascule survient, de manière certes convenue mais néanmoins efficace, quand le fils, Emile, présente à son tour des symptômes. Il les cache à son père puis son secret ne peut plus être gardé et François décide alors d'épargner à sa progéniture le même sort que sa femme. En parallèle, Emile nourrit des sentiments pour une jeune fille dans sa classe (sentiments réciproques) et François est aidée dans ses recherches par Julia, une gendarme frustrée de ne pouvoir plus activement participer aux opérations confiées à l'armée mais surtout mue par une envie de ne pas persécuter les créatures.

Le film souffre d'être un peu trop long (2h. 10) à mon goût, mais son ambition mérite qu'on soit indulgent. Par ailleurs la mise en scène est superbe, la photo très léchée, les effets spéciaux vraiment sidérants. Il y a surtout une poésie qui habite l'histoire en même temps qu'une cruauté poignante. Difficile de ne pas être touché par ce que traversent ce père et son fils, mais aussi parce qu'on voit de la vie des créatures qui perdent petit à petit toute leur humanité (langage, apparence, sociabilité...).

Romain Duris est formidable dans le rôle de François, passant du désarroi le plus total à la compassion et à un attitude protectrice bouleversante. Adèle Exarchopoulos hérite d'une partition moins aboutie mais à laquelle elle donne une interprétation vibrante et sobre. Le jeune Paul Kircher est assez épatant dans la peau d'Emile même si je dois avouer qu'au début son jeu peu expressif m'a un peu agacé.

Le Règne Animal n'est pas parfait mais c'est un de ces films qu'on a envie de soutenir, de partager. Il possède des fulgurantes esthétiques et une singularité narrative qui le distinguent et l'honorent.

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