lundi 15 avril 2024

SANCTUARY (Zachary Wigon, 2022)


Alors que Hal commande un repas au room service dans la luxueuse suite de l'hôtel où il séjourne, Rebecca arrive pour l'interviewer au sujet de la succession de son père, récemment décédé, à la tête de cette chaîne de palaces. Ses questions deviennent très vite de plus en plu personnelles et même humiliantes sexuellement pour Hal.


En fait Rebecca joue un rôle pour lequel elle a été payée par Hal lui-même afin d'assouvir ses fantasmes d'homme soumis à une femme dominatrice. Elle le force à nettoyer la salle de bain en sous-vêtements puis lui permet d'atteindre l'orgasme en se masturbant. La mise en scène se termine et ils dînent ensemble dans la suite.


Hal remercie Rebecca pour la qualité de sa prestation puis lui explique que c'est la dernière fois qu'il fait appel à elle car avec les responsabilités qui l'attendent, ce sera impossible pour lui de la revoir sans craindre d'être découvert. Il lui offre en cadeau une montre de luxe. Clairement vexée, elle prend ce cadeau et s'en va.
 

Mais, alors qu'elle attend l'ascenseur, elle remarque sur le mur une photo de la famille de Hal et a une révélation. Elle retourne dans la suite et menace son client de tout révéler s'il ne répond pas à ses exigences. La nuit promet d'être longue pour lui comme pour elle...


Je ne savais pas trop à quoi m'attendre en commençant à regarder Sanctuary (également exploité sous le titre Soumission), j'avais seulement envie de voir un film avec Margaret Qualley après l'avoir adorée récemment dans Drive-Away Dolls et Pauvres Créatures. Mais rien n'aurait pu me préparer à ce long métrage.


En réalité, il s'agit plus de théâtre filmé que d'un film de cinéma : toute l'action se déroule en temps réel (hormis une ellipse à la toute fin), dans un seul endroit (la suite d'un hôtel de luxe), avec seulement deux personnages (aucun second rôle, aucun figurant). Mais ce face-à-face très intense fait oublier tout cela et vous embarque pour une joute mémorable durant 95'.


Nous faisons donc la connaissance de Hal, héritier du patron d'une chaîne d'hôtels de luxe, à la veille d'être introduit par sa mère auprès du conseil d'administration. Il reçoit dans sa suite une séduisante jeune femme blonde qui est là pour le questionner afin de rassurer le "board" de l'entreprise sur ses compétences et ses qualités humaines. Mais l'interrogatoire prend un tour insolite car Hal doit répondre à des éléments de plus en plus intimes.
 

Soudain il s'emporte en rappelant à l'ordre son interlocutrice sur les termes exactes des questions qu'elle doit lui poser. On comprend alors que tout ceci est une mise en scène destinée à assouvir les fantasmes de Hal face à Rebecca, qui est une maîtresse dominatrice payée pour cela. Le moins qu'on puisse dire, c'est que : 1/ on n'avait rien vu venir de tel et 2/ que Hal a vraiment de drôles de plaisirs. En témoigne ce qui suit quand elle l'oblige à nettoyer avec du papier toilette sa salle de bain seulement en sous-vêtements. La séquence s'étire jusqu'au malaise quand elle lui permet de se masturber puis l'arrête pour qu'il jouisse devant elle mais sans se toucher.

Tout cela se passe hors-champ, on n'est pas dans un film érotique, ou porno. Il n'y aura d'ailleurs pas de nudité ni de scène de sexe explicite par la suite. Zachary Wigon cadre toujours au plus près pour d'abord saisir les émotions sur les visages, la tension des corps, sa mise en scène n'est pas voyeuriste ou démonstratrice mais suggère très habilement. On est certes proche du théâtre mais avec les avantages qu'autorise le cinéma, en pouvant se rapprocher des acteurs au plus près.

Le scénario écrit par Micah Bloomberg repose entièrement sur les rapports de force entre les deux protagonistes : au début, il s'agit d'un client et d'une dominatrice, puis la situation bascule après qu'elle ait été humiliée et veuille prendre sa revanche. Rebecca fait croire à Hal qu'elle détient une vidéo de leurs séances et et menace de la rendre publique si Hal ne la rétribue pas mieux. Elle exige une somme faramineuse correspondant à la moitié de ce qu'il touchera comme PDG pendant sa première année d'exercice !

Ce chantage panique Hal qui se met alors à détruire sa suite pour y  trouver une caméra qu'aurait utilisée Rebecca. Bluffe-t-elle ? En dire plus serait criminel, mais la nuit est longue et cet affrontement sera riche en rebondissements, en retournements de situation. Hal n'a pas dit son dernier mot, Rebecca est une joueuse redoutable et à la fin... Non, je ne vais rien vous spoiler mais la fin est franchement étonnante. 

En vérité, Sanctuary (qui est le mot-clé pour interrompre la séance si Hal juge que ça va trop loin) peut aussi se lire comme une comédie romantique particulièrement tordue et à cet égard on pense à La Secrétaire (Steven Shainberg, 2002, avec Maggie Gyllenhaal et James Spader), autre romance bizarre et savoureuse. Le coup de force ici réside dans l'intensité constante, le spectateur est cloué sur place et attend de voir où et comment ça va finir. 

Evidemment, pour jouer une telle partition, il ne faut pas se tromper de casting. Christopher Abbott est incroyable en type fébrile, sur le gril, qui doute de son héritage, de ses compétences, mais qui en même temps estime en avoir assez bavé, écrasé dans l'ombre d'un père charismatique. Il veut saisir sa chance tout en admettant que c'est justement par chance et non par mérite qu'il accède à cette position.

Surtout le film vaut par la composition extraordinaire, et je pèse mes mots, de Margaret Qualley. La richesse, l'ampleur, la subtilité de son jeu sont confondantes. Elle est proprement fascinante, dès la première scène elle nous embarque dans une mystification vertigineuse et ça n'arrête plus ensuite. Elle frise la folie furieuse, elle feint la peur, elle trouble d'un regard, s'amuse, fait flipper... Ajoutez-y ce charme fou et vous mesurerez à quel point elle est impressionnante.

Sanctuary est un pépite, imprévisible, électrique, grisante, portée par deux acteurs au sommet de leur art.

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