mercredi 10 avril 2024

SANG POUR SANG (Joel Coen, 1985)


Ray, un barman, et Abby, la femme de son patron Marty, sont amants. Ils passent la nuit dans un motel. Loren Visser, un détective privé, les photographie à leur insu et livre les clichés à Marty. Celui-ci le paie pour ses services et le congédie puis téléphone à l'aube au motel, demandant à ce qu'on lui passe des amants et interrogeant Ray, qui décroche, pour savoir s'il a pris du bon temps.


Abby passe boucler ses bagages, parmi lesquelles un petit revolver à la crosse en nacre que lui avait offert Marty. Elle va loger chez Ray qui insiste pour aller réclamer sa paie à Marty, malgré les préventions de sa maîtresse. Marty le met en garde contre elle en lui expliquant qu'elle n'hésitera pas à se débarrasser de lui.


Marty rappelle Visser et lui offre 10 000 $ pour qu'il tue les deux amants. Mais le détective préfère escroquer son client en lui présentant, plus tard, des photos maquillés montrant le couple mort par balles. Marty le paie comme convenu mais Visser l'abat et part, en oubliant de reprendre son briquet en argent sur le bureau.


Ray retourne voir Marty pour lui redemander de lui payer ce qu'il lui doit et recevoir sa démission. Il découvre alors son cadavre et nettoie la scène de crime puis va enterrer le corps dans un champ. Lorsqu'il rentre chez lui au petit matin, il accuse Abby du meurtre mais elle nie. Voyant qu'il ne la croit pas, elle préfère partir et loue un appartement en attendant d'y voir plus clair.


Mais Visser, craignant que son crime en soit découvert, entreprend de liquider Abby et Ray...
  

Regardez cette photo juste là, ci-dessus : c'est cette image qui a inspiré à Joel et Ethan Coen l'intrigue de Blood Simple. En 1985, les deux frangins sont des inconnus qui rêvent de produire leur premier long métrage mais ils ne connaissent personne dans le milieu et confient à leur ami Barry Sonnenfeld, qui deviendra leur chef opérateur, le soin de tourner un court métrage à partir de ce mince point de départ.


Ce bout d'essai sera leur carte de visite et convaincra un producteur, David Bacaner, d'investir 1,5 M$, mais cela lui prendra un an pour réunir la somme. A l'origine, c'est Bruce Campbell, l'acteur fétiche de leur ami Sam Raimi, qui jouait dans ce trailer.

J'ai vu pour la première fois Sang pour sang il y a longtemps, dans la foulée de Arizona Junior qui m'avait époustouflé. Je me jurai alors de ne jamais zapper un long métrage de Joel Coen dont j'admirai la façon de revisiter les genres qu'il explorait. Ici, c'est donc le film noir dont il s'empare avec un argument classique mais où le style de la narration fait toute la différence.

Le fait que le scénario ait été écrit à l'envers, en partant de la fin, est en soi fascinant et ajoute au ton fataliste du récit. Tout démarre de façon très cliché : un couple adultère, un privé véreux, un mari jaloux, un contrat lancé sur la tête des amants, et c'est parti pour 90' d'un thriller redoutable. Située au Texas, l'histoire honore de grands auteurs de polars comme Jim Thompson ou David Goodis mais sans passéisme.

Pour un premier film, c'est un coup de maître : la tension permanente qui traverse l'intrigue est magistrale, les personnages ont beau être caractérisés à la hache, ils n'en sont pas moins charismatiques. On peut regretter que les Coen n'aient pas disposés d'un casting plus prestigieux pour servir leur script mais chacun fait le job.

Surtout le diable est, selon la formule consacrée, dans les détails : un revolver à la crosse en nacre et seulement trois balles dans le barillet, un briquer en argent, suffisent à enclencher un terrifiant engrenage qui va obliger les protagonistes à vendre chèrement leur peau. D'un côté, il y a Abby, femme malheureuse dans son mariage qui s'accroche à son amant obsédé par sa dernière paie, et de l'autre, il y a Visser, ce privé ripou qui se transforme en tueur à gages et pour qu'on ne le relie pas à ses crimes décide de liquider tous ceux susceptibles de le compromettre. Ce n'est même pas un spoiler que de dire qu'à la fin, ils s'affronteront en duel.

Tout le cinéma des Coen est déjà là : des (anti) héros ordinaires pris dans le piège de situations qui les dépassent et qui doivent puiser dans leurs ressources pour s'en sortir, au terme de péripéties tordues. Mais Sang pour sang se distingue par son absence total d'humour. Par la suite, dans leur filmographie,; rares seront les fois où les Coen se montreront aussi implacables (on peut penser à No Country for the Old Men), avec une mise en scène aussi sèche, dénuée de fantaisie. Le contraste est à cet égard saisissant avec Arizona Junior, complètement à l'opposé en termes d'écriture, de réalisation et de jeu - signe que les frangins font chaque film en réaction au précédent.

Si la carrière de John Getz n'a pas été éclatante, Dan Hedaya est un peu plus connu (il a retourné sous la direction de Sonnenfeld, mais aussi de Brian de Palma, Gus Van Sant, Danny Boyle, David Lynch et même Jean-Pierre Jeunet). M. Emmet Walsh est un second rôle qui a roulé sa bosse pendant 60 ans (il est mort en Mars dernier) et sa composition ici est mémorable (comme elle le fut dans d'innombrables longs métrages, notamment réalisés par Arthur Penn). Enfin Frances McDormand est l'épouse de Joel Coen qui l'a filmé dans pratiquement tous ses longs métrages : à 28 ans, elle décrochait là son premier grand rôle et déjà elle s'y affirmait par un jeu subtil, sobre.

Pratiquement quarante ans après sa sortie, Sang pour sang n'a pas pris une ride et demeure un classique.

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