mardi 30 avril 2024

MARS EXPRESS (Jérémie Périn, 2023)


Années 2200. Aline Ruby, enquêtrice privée, et Carlos Rivera, réplique androïde de son partenaire dans l'armée mort au combat cinq ans auparavant, sont sur Terre pour capturer la hackeuse Roberta Williams, qui loue ses services pour "débloquer" des robots afin de leur rendre leur atonomie, ce qui constitue un délit grave depuis la dernière guerre où certains d'entre eux se sont retournés contre des humains. C'est d'ailleurs ainsi qu'est "mort" Carlos.
   

Mais, de retour sur Mars, Roberta est remise en liberté car son mandat d'arrêt a disparu de la banque de données de la police. Frustrée, Aline n'a guère le temps de ruminer cette avanie car on lui confie une nouvelle mission. Une jeune étudiante en cybernétique, June Chow, a disparu après avoir été accusée d'avoir elle aussi "débloqué" un robot, mais il s'en serait pris à elle avant de s'enfuir. L'affaire est suivie par l'inspecteur Simon Gordaux, un débutant qui pense à une fugue.


Mais en inspectant la chambre de June, Aline et Carlos y découvrent le cadavre de sa colocataire. Gordaux et Aline décident de se partager l'enquête : à lui la traque du robot, à elle la recherche de June. En interrogeant un des professeurs de l'étudiante, elle apprend que nombre d'élèves louent leurs cerveaux pour la compagnie privée Brainfarmers et d'autres, les filles, se prostituent afin de pouvoir payer leurs frais de scolarité élevés.


Aline et Carlos se rendent donc dans le club où les étudiantes monnaient leurs charmes et y trouvent June mais également la réplique androïde qu'elle avait conçue pour la remplacer en cours ou avec des clients. Les deux sont arrêtées quand des tueurs surgissent et obligent Aline et June à fuir, couvertes apr Carlos. Peine perdue : June est exécutée.
 

Tandis que la brigade scientifique arrive sur place, Aline reçoit un appel de Gordaux qui a retrouvé le robot, neutralisé. Et celui-ci n'a pas perdu son temps puisqu'il avait commencé la fabrication d'un vaisseau spatial...


Je vais être parfaitement franc : je ne suis plus très client des films d'animation. Je trouve que les films, notamment produits par Pixar, Dreamworks, Illumination Enertainment ou autres se ressemblent tous, avec ces designs de personnages caoutchouteux, lisses, au surjeu hystérique. Parfois, certes, c'est au service d'un bon scénario, mais je m'en suis lassé. Même Les Indestructibles 2 de Brad Bird m'a déçu (alors que le 1 était une merveille), idem pour Spider-Man : Accross the Spider-verse qui m'a donné la migraine (alors que là aussi Into the Spider-verse m'avait réjoui).


Sur le petit écran, c'est à peu pareil : les designs sont souvent affreux, ou pas à la hauteur des promesses annoncées. Seules les productions d'exception, en provenance de Netflix comme Arcane ou récemment Blue Eye Samuraï sortent du lot par leur inventivité narrative et leur beauté esthétique.


Donc, tout ça pour dire que je suis totalement passé à côté de Mars Express lors de sa sortie en salles en Novembre 2023, malgré des critiques dithyrambiques. Finalement, encouragé par des connaissances, j'ai pris sur moi de rattraper ce long métrage, qui plus est français. Et, ma foi, j'ai bien fait car voilà quelque chose qui mérite le détour.

Déjà parce que l'intrigue investit le domaine de la science-fiction mélangé au polar, deux genres qui ont bercé ma jeunesse de lecteur quand je passais de Isaac Asimov à Dashiell Hammett. Si j'ai ensuite considérablement ralenti ma fréquentation de la s.-f. en roman, je suis resté friand d'histoires policières, et quand Blade Runner 2049 est sorti, je l'ai adoré (presque plus, pour une fois, que le premier volet).

Visuellement, Mars Express se démarque donc nettement de tout ce que les majors américaines produisent en matière d'animation. Il ne doit rien non plus à la déferlante manga (qui me laisse froid). Le trait évoque volontiers la ligne claire franco-belge et les designs sont particulièrement sobres tout en soignant les décors, les véhicules et accessoires. On est là dans un univers qui a été superbement pensé, ouvragé, et ça se voit à l'écran. Tout est cohérent, solide, avec une vraie originalité.

J'ai particulièrement apprécié que la texture des images ne ressemblent pas à ce look plastifié, aseptisé des Pixar et compagnie. Les personnages appartiennent au style réaliste, mais pas photo-réaliste, avec une stylisation impeccable. La façon dont ils sont vêtus, coiffés, les accessoires dont ils se servent (armes, véhicules), le cadre dans lequel ils évoluent (des métropoles futuristes sans excès), c'est vraiment très bien dosé, conçu.

Parfois l'animation manque un peu de souplesse, de dynamisme, mais je pense qu'on peut mettre ça sur le compte d'un budget qui n'a rien à voir avec les fortunes dépensées Outre-Atlantique, avec des armadas d'artistes et de logiciels perfectionnés pour rendre le plus crédibles possible le moindre détail, dans ce curieux mélange de fantaisie et d'hyper-réalisme. Toutefois, quand l'action domine, Mars Express réserve de belles scènes, avec des angles de vue très dynamiques, qui rendent justice au script.

Le script, parlons-en : l'intrigue est touffue mais accessible, les auteurs (Jérémie Périn, le réalisateur, a co-écrit avec Laurent Sarfati) ne se perdent pas en digressions (comme pour, par exemple, expliquer comment la société humaine a colonisé Mars, ou la place qu'occupent les robots, ni même la guerre que mentionne Aline et Carlos dans laquelle ce dernier a trouvé la "mort" avant que son esprit ne soit transféré dans un androïde). Les protagonistes sont bien caractérisés, en particulier le duo Aline-Carlos, mais également la hackeuse Roberta. C'est un peu moins le cas pour Chris RoyJacker, ce magnat de la robotique, qui manque un peu d'épaisseur et de temps de présence à l'image. On a aussi un peu de mal avec l'inspecteur Gordaux qui hérite d'une affaire importante alors que c'est un "bleu" et que sa contribution est finalement limitée et peu utile au tandem de détectives.

Le dénouement ose quelque chose d'assez poignant et se permet une référence directe, visuellement, à la célèbre séquence de la porte des étoiles dans 2001 : L'Odyssée de L'espace de Stanley Kubrick. Mais loin d'être une citation frimeuse, elle a sa place et elle est bien amenée par Jérémie Périn.

Vocalement, Mars Express ne commet pas l'erreur de beaucoup de distributeurs français qui vont chercher des stars sans aucune compétence particulière pour le doublage mais qui sont sollicités pour espérer attirer leurs fans. Ici, le réalisateur et ses producteurs ont préféré s'appuyer sur des acteurs solides qui ne cherchent pas à voler la vedette au film, en l'occurrence Léa Drucker (Aline), Daniel Njo Lobé (Carlos), Matthieu Amalric (RoyJacker) et Sébastien Chassagne (Gordaux). Le résultat est impeccable.

Bref, si vous aussi vous êtes passé à côté, rattrapez-vous et voyez cet excellent Mars Express. Assurément un des meilleurs opus hexagonaux de l'an dernier.

THE TWO FACES OF JANUARY (Hossein Amini, 2013)


1962. Chester MacFarland et sa femme Colette son en vacances en Grèce. A l'Acropole, ils rencontrent Rydal Keener, jeune guide américain qui leur sert d'interprète dans un marché où Chester achète un bracelet à sa femme. Ils l'invitent à dîner le soir puis partagent un taxi pour rentrer. Après s'être fait leurs adieux, Rydal remarque que Colette a oublié son bracelet sur la banquette arrière du taxi et il part le lui ramener.


Cependant, Chester reçoit d'abord la visite d'un homme dans leur chambre et s'isole avec lui dans la salle de bain : il s'agit d'un détective privé engagé par des clients que Chester a floué financièrement par des placements douteux. Les deux hommes en viennent aux mains et le privé fait une chute et se cogne la tête contre le rebord de la baignoire. Il meurt sur le coup. Chester le déplace dans sa chambre en faisant croire à Colette qu'il s'est seulement blessé.


Rydal surprend Chester dans le couloir et s'entend dire que l'homme est ivre et a cherché à agresser Colette. Mais une fois dans sa chambre, le jeune guide comprend que c'est un mensonge en voyant des photos volés du couple. Chester lui offre de l'argent pour qu'il les aide, lui et Colette, à quitter l'hôtel discrètement. Ils filent par l'arrière sans récupérer leur passeport et se réfugient chez Rydal. Ce dernier emmène ensuite Chester chez un ami faussaire pour qu'il procure des faux papiers aux MacFarland. 


La livraison aura lieu à Heraklion en Crète où Rydal accompagne les MacFarland. Sur cette petite île, l'attirance entre Colette et Rydal attise la jalousie de Chester qui croit que le guide veut l'escroquer. Alors qu'ils prennent un bus pour gagner Heraklion, Colette prend peur, craignant d'avoir été reconnue par un passager et descend avant le terminus. Le trio se réfugie dans les ruines de Knossos pour la nuit qui va conduire Chester à commettre l'irréparable...


Alfred Hitchcok est un cinéaste qui a inspiré bien des cinéastes, sans que beaucoup aient pu rivaliser avec son art. C'est comme si le maître du suspense avait emporté ses secrets dans la tombe, laissant ses émules impuissant à reproduire ce mélange d'élégance et de tension qui faisait tout le seul de ses films. Brian de Palma a trouvé le moyen de marcher dans ses pas en soulignant ses effets de style jusqu'à l'outrance.


Mais Hossein Amini, en adaptant lui-même le roman de Patricia Highsmith, a sans doute réalisé ce qui se rapproche le plus de ce que réussissait Hitchcock dans ce méconnu The Two Faces of January, qui aurait très pu être signé par le cinéaste anglais avec Grace Kelly, Cary Grant et, disons, Farley Granger dans les rôles respectifs des MacFarland et de Rydal.


On suit donc ce trio étrange formé par un américain devenu guide touristique en Grèce et un couple de riche vacanciers après qu'un échange de regards à l'Acropole ait scellé leur destin commun. Rydal voit en Chester MacFarland un homme qui lui rappelle son père, récemment décédé, possédant la même classe mystérieuse. Il tombe aussi sous le charme de sa très belle épouse, Colette.

Mais Chester n'est pas celui qu'il paraît : c'est un escroc qui fuit des clients qu'il a escroqués en les convaincant de placer leur argent dans des affaires louches. Il profite des sommes qu'il a détournées pour mener la grande vie et voyager avec sa femme dont on ignore si elle sait vraiment ce qu'il a fait - elle le sait sans doute mais ferme les yeux, comptant sur l'assurance de son homme pour se sortir de toutes les situations : Chester n'a-t-il pas été un des soldats débarquant sur les plages de Normandie à la fin de la seconde guerre mondiale, brillant par son courage et son héroïsme ?

Rattrapé par ses délits, Chester tue accidentellement un détective et doit fuir avec Colette. Ils peuvent compter sur Rydal pour les aider, lui que son père, autoritaire, a forcé à apprendre plusieurs langues et à se débrouiller seul. Il connaît la région comme sa poche, a des amis précieux capables de fournir de faux papiers rapidement, et s'il n'apprécie pas spécialement Chester, il est prêt à tout pour Colette.

Le trio, retranché en Crète, va faire l'expérience d'une vie de fugitifs. Chaque fois qu'ils croisent un policier, la peur les étreint. Hossein Amini excelle à traduire ce climat oppressant sous le soleil écrasant de cette petite île qui semble égarer Chester, persuadé que Colette le trompe avec Rydal, que Rydal attend le moment opportun pour lui voler son argent contenu dans la valise dont il ne se sépare jamais.

Arrivé aux deux tiers de l'aventure, un drame se produit, d'autant plus terrible qu'il est accidentel et témoigne de l'infortune qui désormais colle à Chester. Pourtant, il pense toujours s'en sortir. Quand le dernier acte se joue, Amini convoque Le Troisième Homme de Carol Reed avec une poursuite dans les rues et ruelles d'Istanbul. Le plus fort, c'est que malgré le poids de ces références, le cinéaste n'est jamais écrasé et son film se déroule avec une remarquable fluidité, sans rougir de la comparaison. Ce qui est tout de même bluffant.

On passe donc un moment savoureux avec ce thriller, finement écrit et superbement mis en images, soutenu par des acteurs qui sont juste parfaits. Oscar Isaac a l'ambiguïté nécessaire pour qu'on ne sache jamais ce qu'il pense vraiment après la fébrilité affichée au début de l'histoire, quand il est mis devant le fait accompli. Viggo Mortensen est royal en filou parano, promenant sa classe incroyable et son charisme naturel. Enfin, Kirsten Dunst trouve là une partition qui lui permet de mettre en valeur son jeu au cordeau et sa beauté classique, n'étant jamais la troisième roue du carrosse ni un simple objet de convoitise entre deux hommes.

Voilà donc un film qui mérite d'être (re)découvert. Quant à son réalisateur, il a depuis, semble-t-il, abandonné le grand écran pour le petit (où il a écrit et dirigé des séries comme L'Aliéniste ou Obi-Wan Kenobi).   

lundi 29 avril 2024

THE SIX FINGERS #3 (Dan Watters / Sumit Kumar) - Avec The One Hand, 2 comics qui n'en font qu'un


L'agression d'Oddell Watts en prison fait la "une" des médias. Johannes Vales téléphone à l'hôpital où est admis le tueur en série et apprend que ses jours ne sont plus en danger. Il décide d'aller le voir mais il est suivi par Ada, la galériste, qui va être témoin d'une séquence horrible et troublante...
 

C'était déjà un peu le cas dans The One Hand #3 mais cette fois dans The Six Fingers #3, ça y est : les héros des deux séries dialoguent enfin... Mais pas tout à fait face à face ni dans la même pièce. Dan Watters ne se contente pas de prolonger ce qu'écrit Ram V, il poursuit le développement de son propre titre tout en restant cohérent avec ce qui l'unit au projet de son collègue.


Je me répète mais c'est tout de même fascinant à lire : c'est comme si vous vous regardiez dans un miroir et que votre reflet communiquait avec vous (bon, si ça vous arrive, pensez quand même à consulter car ça ressemble dangereusement à une histoire de Stephen King et ce n'est pas bon signe). Chacune des deux séries a sa propre identité, narrative et visuelle, et pourtant elle correspond avec celle de Ram V et Lawrence Campbell.


Là, Dan Watters pousse les curseurs à fond : Johannes Vales a appris ce qui est arrivé à Oddell Watts et veut aller lui parler à l'hôpital où il a été admis. Vales, on le voit, a complètement perdu les pédales : il ne pense plus du tout à sa thèse, il reste cloîtré chez lui à harceler la standardiste de l'hosto, il arrête de se nourrir, sort dans la rue torse nu. Flippant.


L'échange qu'il a avec Ada, la galériste qui a monté l'expo (depuis interdite) inspirée par le Tueur à une main, souligne encore davantage le glissement vers le folie pur de Vales, qui se fait menaçant, virulent, et ne cache même plus la difformité de sa main droite. Ce qui arrive ensuite n'est donc pas surprenant mais demeure bien éprouvant.

Si le style du dessin de Sumit Kumar n'a pas du tout le même aspect que celui de Lawrence Campbell sur The One Hand, on a quand même droit à une scène de démembrement et de charcutage absolument atroce et donc il faut quand même avoir le coeur bien accroché. Pourtant, le plus captivant reste ce qui suit.

Et là, même si c'est difficile, mieux vaut ne pas trop en dire sous peine de spoiler sévèrement. Malgré tout, on saisit parfaitement le sens des glyphes écrits par les tueurs et on mesure leur portée quasiment hallucinatoire, mais surtout fantastique. Une phrase prononcée par Oddell Watts titillera les lecteurs : "la main droite ignore ce que fait la main gauche", et on peut l'interpréter en autre comme une définition de la relation entre Johannes Vales et Ari Nassar, qui ne sont pas simplement un psychopathe contaminé par le Mal commis par de précédents serial killers et un flic hanté par ces affaires, mais bien deux faces de la même pièce.

Kumar et Watters investissent cette dimension surnaturelle dans une séquence où on suit Johannes dans des sortes de passages inter-dimensionnels, dont on ignore s'ils sont réels ou fantasmés, mais qui ajoute à l'envoûtement de l'histoire. Ce qui est sûr, c'est qu'entre les investigations troubles de Nassar autour des androïdes et ces portails bizarres qui s'ouvrent pour Vales, les deux séries empruntent des chemins inattendus, imprévisibles.

Tout cela aboutit à quelque chose de très étrange, captivant, déroutant. Et c'est en somme un exploit qu'à quatre épisodes de la fin (toutes séries confondues), on ne sache toujours pas vraiment comment ça peut se terminer (alors qu'au départ cela ressemblait à une traque policière classique). The Six Fingers tout comme The One Hand est décidément addictif - et j'ose espérer qu'en vo et en vf les deux séries seront réunies dans un seul et même volume tant elles sont indissociables.

INSIDE LLEWYN DAVIS (Joel & Ethan Coen, 2013)


1961. Llewyn Davis, chanteur folk sans le sou, dont le premier disque en solo a fait un bide, se produit sur la scène du "Gaslight Cafe". Après son passage, il sort du club par l'entrée des artistes et aboutit dans une ruelle où un homme le prend à parti et le frappe.


Llewyn se réveille chez les Gronstein, des amis qui lui offrent le gîte et le couvert quand il ne squatte le canapé de connaissances. Ses hôtes s'étant absentés, il s'en va en leur laissant un mot de remerciement mais leur chat en profite pour filer par la porte d'entrée ouverte. Il le rattrape et l'emmène chez Jim et Jean Barley où compte passer la nuit suivante. Mais Jean l'informe qu'elle est enceinte, peut-être de lui. Llewyn tente de la réconforter en assurant qu'il lui paiera l'avortement.


Il rend ensuite visite à sa soeur à qui il espère soutirer un peu d'argent mais au lieu de ça elle lui remet un carton plein d'affaires lui appartenant. Il n'en a que faire et lui dit de les jeter. Elle lui conseille de s'engager à nouveau dans la marine marchande pour gagner sa vie. Il rejoint ensuite un studio d'enregistrement à l'invitation de Jim Barley pour enregistrer une chanson en trio avec Al Cody, pour laquelle il accepte 200 $ à la place de royalties.


Après un détour chez le médecin où il apprend que la dernière jeune femme qu'il a emmené là a finalement renoncé à mettre un terme à sa grossesse et qu'il ne lui doit donc rien pour Jean, Llewyn retrouve ce qu'il croit être le chat des Grostein et le leur ramène. Il dîne avec eux et leurs amis et leur chante, à contrecoeur, une chanson mais quand Mme Grostein fait les choeurs, il s'emporte. Elle remarque alors que le chat n'est pas le leur et il repart avec.


Echouant chez Al Cody, il accepte de le remplacer pour un déplacement à Chicago en compagnie du poète Johnny Five et du jazzman Roland Turner dans l'espoir de décrocher une audition avec le producteur Bud Grossman...
 

13 ans après O'Brother, les frères Coen complétaient quelque sorte un diptyque musical avec Inside Llewyn Davis. Récompensé par le Grand Prix du Festival de Cannes, c'est un de leurs chefs d'oeuvre, et un des films d'eux que je préfère, véritable lettre d'amour au folk et véritable numéro d'équilibristes sur le sort d'un wannabe.


Pourtant, quand ils débutent le tournage, Joel et Ethan Coen n'ont quasiment pas de scénario, juste quelques scènes dialogués, une vague trame et l'envie d'explorer cette période charnière, au tout début des années 60, avant que Bob Dylan n'émerge sur le devant de la scène. Selon les propres dires des frangins, "nous n'avions aucune intrigue. Alors nous avons glissé le chat dans le script...".

Comme O'Brother, le référence principale de Inside Llewyn Davis est L'Odyssée d'Homère ou sa réinterprétation moderne avec le périple d'un homme qui cherche à se retrouver et rentrer chez lui - sauf qu'ici, Llewyn ne sait plus où il habite et personne ne l'attend. Mais si O'Brother était une comédie burlesque convoquant des figures du poème d'Homère, Inside Llewyn Davis, de par son écriture plus libre, est plus mélancolique et musarde volontiers.

Le héros est un chanteur folk sans le sou, son premier album solo ne se vend pas, son impresario le mène en bateau, il squatte le canapé de ses amis, et traîne un blues tenace. On apprendra plus tard qu'il formait un duo avec Mike Timlin, musicien et chanteur plus doué que lui mais qui, désespéré de ne pas voir leur carrière décoller, s'est donné la mort en se jetant du George Washington Bridge. Face au producteur Bud Grossman, après une audition improvisée et ratée, Llewyn reçoit comme conseil de reformer son duo. Avant cela, sa soeur, constatant l'échec de sa reconversion en solo, tentera de le convaincre de s'engager à nouveau dans la marine marchande (comme leur père qui y fit toute sa carrière).

En route pour Chicago avec un poète particulièrement taciturne et un jazzman héroïnomane et condescendant, Llewyn se fait traiter de pédale parce qu'il joue de la folk. Jean Barley le bat froid en lui reprochant de ne pas avoir enfiler deux capotes lorsqu'ils ont couché ensemble. Le patron du "Gaslight Cafe" lui avoue qu'il laisse Jean chanter sur sa scène parce qu'il a couché avec elle... Tout n'est qu'humiliation pour Llewyn qui encaisse sans broncher parce qu'au fond il est déjà au fond du trou et n'y croit plus.

Mais il y a le chat. Les Coen ont eu une idée improbable et géniale avec ce minou dont Llewyn doit s'occuper, qu'il traîne partout, qu'il perd, récupère (ou presque), abandonne, retrouve. L'animal est le dernier être qui l'empêche de sombrer complètement et il s'y attache d'une manière presque délirante, ce qui produit des effets comiques inattendus. Le sommet étant atteint quand les maîtres du chat se rendent compte que ce n'est pas le leur que leur a ramené Llewyn !

Parfois, reconnaissons-le, Llewyn est franchement pathétique, voire antipathique. Pourtant on ne peut lui en vouloir longtemps car avec toutes les emmerdes qui lui tombent dessus, toutes les galères qu'il traverse, on compatit pour lui. Et si, certes, sa musique, ses chansons, sont affreusement déprimantes, impossibles à vendre, il a quand même du talent, une vraie sensibilité. On n'oublie jamais non plus pourquoi il en est là.

Le film est vraiment, mais vraiment splendide visuellement : la photographie de Bruno Delbonnel est absolument incroyable, entre sépia et noir et blanc, ce qui donne à chaque image une patine vintage plus vraie que nature. La mise en scène est d'une fluidité remarquable. 

Le casting est royal : Oscar Isaac décrochait là son premier grand rôle, il sera Llewyn Davis pour l'éternité, c'est lui qui chante (comme tous les acteurs dans le film) et joue de la guitare avec talent. Justin Timberlake est également parfait en cocu naïf. Adam Driver n'a que deux scènes mais celle de l'enregistrement de "Please Mr. Kennedy" est hilarante. John Goodman et Garrett Hedlund forment le tandem le plus bizarre qui soit. F. Murray Abraham a la grande classe cruelle. Et puis il y a Carey Mulligan, divinement odieuse, mais quand même absolument charmante : de toute façon, Carey Mulligan est tout le temps parfaite, elle a la grâce.

Bien entendu, quand vous avez vu Inside Llewyn Davis, il faut vous procurer ensuite la bande originale du film, supervisée par T-Bone Burnett : si vous aimez la folk, c'est obligatoire.

J'aime ce film d'amour. Et je ne connais personne à qui j'ai conseillé de le voir qui ne l'a pas aimé.

dimanche 28 avril 2024

G.O.D.S. #7 (Jonathan Hickman / Valerio Schiti)


Mais que manigance Dimitri depuis qu'il est aux côtés de Wyn l'avatar du Pouvoir-en-Place ? Il dépose des mouchards partout où l'accompagne, mais à quelles fins ? La réponse à tout ça trouve son origine en 1963 au cosmodrome de Leninsk au Kazakhstan où les parents de Dimitri partent pour une mission spatiale secrète dont ils ne reviendront pas...


Alors que le huitième et dernier épisode de G.O.D.S. (du moins pour l'instant...) sortira finalement en Juin (sans doute avec une pagination augmentée), on a maintenant un certain recul sur la construction de cette série. Dans un premier temps, Jonathan Hickman a posé les bases de son intrigue, puis dans un second temps, il a consacré à chacun des protagonistes un numéro dédié.


Ainsi donc après Mia, Aiko et avant Wyn, cette fois c'est au tour de Dimitri, le garçon confié à Wyn par l'Ordre-naturel-des-choses, de nous être présenté plus en détail. On a compris que Hickman, avec G.O.D.S., s'était en quelque sorte amusé à livrer sa version des New Gods de Jack Kirby, avec un jeune scientifique remis à un avatar de la magie, et une jeune magicienne livrée aux représentants de la science (comme donc Orion, fils de Darkseid élevé par le Haut-Père de New Genesis, et Scott Free, fils du Haut-Père élevé par le maître d'Apokolips).


On a aussi appris que cet échange condamnait ces deux jeunes gens à ne plus pouvoir réintégrer leur "famille" : Mia ne sera jamais la partenaire de Wyn, Dimitri ne collaborera plus jamais avec Aiko. Mais si le recrutement de Mia s'est déroulé en direct, celui de Dimitri a eu lieu bien avant, sans qu'on y assiste et donc on a déduit qu'il était aux côtés de Wyn depuis un certain temps déjà.


D'une nature discrète et malicieuse, il forme une paire savoureuse avec Wyn sur le modèle de l'ancien et du "bleu". On devine une vraie complicité entre les deux hommes même si tout, en vérité, les oppose (l'âge, l'appartenance à un camp opposé à l'autre, l'attitude, etc.). Hickman s'en est servi pour produire des séquences souvent drôles, inhabituelles chez lui, mais qui ont donné beaucoup d'humanité à la série, lui évitant de perdre le lecteur dans du high concept.

Cet épisode centré sur Dimitri ressemble par bien des aspects, je trouve, à un hommage à Warren Ellis et Planetary, son chef d'oeuvre. La tenue blanche du garçon renvoie au costume blanc d'Elijah Snow, ses compétences en électronique rappellent celles du Batteur, et ses origines, telles que relatées ici, évoquent la science-fiction telle que Ellis et Hickman l'adorent, mélange d'Histoire détournée et de mythologie revisitée.

Je ne vais pas vous en dire trop pour ne pas vous gâcher la surprise, mais tout cela aboutit à un dénouement absolument poignant. Hickman à qui on a souvent reproché de ne pas caractériser suffisamment ses héros et de livrer des histoires trop distanciées, trop froides, parvient à émouvoir, de manière très simple et intense, avec le passé de Dimitri, animé par une quête tragique - encore plus que le sort de Mia quand elle a compris qu'elle était désormais bannie de sa communauté.

On accuse aussi souvent, je l'ai lu encore récemment en visitant un forum, Hickman de donner dans la (je cite, vous allez voir, c'est très classe) "branlette intellectuelle". Je ne sais pas trop ce que ça signifie, ou plutôt je crois trop bien le savoir, c'est-à-dire que les comics, même pour les fans qui s'autorisent à en parler comme des professeurs et donc à insulter les auteurs (tout en blâmant ceux qui le font - hé, c'est pas beau, ce culot), en fait, faut pas qu'ils soient trop intelligent parce que sinon donc, c'est de la "branlette intellectuelle", c'est prétentieux.

Bon, j'ai pas envie de m'énerver et de vous soûler avec ça, mais quand même, j'en ai franchement marre de lire des insanités pareilles : quand ce ne sont pas les dessinateurs qui passent pour des feignasses parce que, ô mon dieu, ils ne font pas vingt pages par mois, maintenant ce sont les scénaristes qui se font traiter comme des arrogants parce qu'ils ont l'ambition de raconter des histoires qui sollicitent plus d'un neurone. Pardon ? Encore une fois : tu n'aimes pas le travail de quelqu'un (auteur, artiste, même critique), tu arrêtes de le lire et tu te dispenses surtout d'être injurieux. Un peu de respect.

Un qui impose le respect (enfin j'espère), c'est Valerio Schiti qui, une fois encore, encore une fois, produit des planches somptueuses. Je sais, je me répète et je ne suis pas du tout objectif parce que j'adore son taf depuis des années maintenant, mais ce mec est inspirant. Il devrait inspirer tous ses pairs par son exigence, sa régularité, le soin apporté à sa tâche. Il inspire le critique parce que quand on lit un comic-book dessiné par Schiti, franchement, comme dit le poète, c'est que de l'amour.

Saisir comme il le fait l'émotion terrible d'un gamin comme Dimitri après nous avoir balancés des planches de ouf dans le sanctum santcorum de Dr. Strange, sur les toits de New York, dans une autre réalité, moi, je dis : chapeau l'artiste. Jouer aussi bien sur deux tableaux et lier tout ça en une narration graphique homogène, d'une qualité constante depuis sept mois, c'est vraiment prodigieux. J'ai trop hâte d'avoir le recueil entre les mains car il contiendra des bonus (characters designs, etc) : vivement début Août. J'ai déjà précommandé !

Donc, pas d'épisode en Mai, et le finish en Juin. Mais tout, plus que jamais, laisse à penser que ce ne sera pas la fin définitive et que ces huit épisodes ne formeront que la première partie d'une saga que Hickman veut mener à bien avec le même artiste, Schiti, et pour lequel il a obtenu de Marvel qu'il bénéficie d'un break.

LOVE LIES BLEEDING (Rose Glass, 2024)


1989. Jackie couche avec JJ qui al présente ensuite à son beau-père pour qu'elle décroche une place de serveuse dans le stand de tir qu'il dirige. Le soir venu, Jackie pousse la porte d'une salle de sport tenue par Lou. Une fois les clients partis, celle-ci lui propose des stéroïdes pour améliorer ses performances de culturiste avant un concours qu'elle disputera à Las Vegas. Après lui avoir injecté une dose, elle l'embrasse et l'emmène chez elle où elles couchent ensemble.


Le lendemain matin, au petit-déjeuner, Lou invite Jackie à s'installer chez elle en attendant son départ pour Vegas. Mais lorsque Lou apprend que Jackie travaille au stand de tir, c'est-à-dire chez son père avec lequel elle est en froid depuis plusieurs années, un malaise s'installe. Il ne dissipe pas le soir venu quand les deux femmes dînent avec JJ et sa femme Beth, la soeur aînée de Lou, qui subit des violences conjugales. Lou menace JJ qui lui révèle avoir couché avec Jackie.


Revenues chez Lou, elles se disputent puis se réconcilient au lit. Au matin, un coup de fil réveille Lou : Beth a été hospitalisée après avoir été de nouveau frappée par JJ. Elle va à son chevet où elle retrouve son père qui entend régler ce problème lui-même. En voyant le désarroi de Lou, Jackie s'absente en prenant le volant de sa voiture. Elle se rend chez JJ qu'elle surprend et tabasse à mort. Lorsque Lou rentre chez elle en taxi, elle remarque sa voiture devant la maison de sa soeur et trouve à l'intérieur Jackie en état de choc puis le cadavre de JJ.


Ensemble, elles déplacent le corps dans le coffre de la voiture de JJ puis quittent la ville. Daisy, l'ex de Lou, les aperçoit. Lou a une idée pour faire disparaître le cadavre tout en faisant en sorte qu'on ne lie pas le crime à elle ou à Jackie. Mais c'est sans compter avec des flics corrompus, deux agents du FBI qui enquêtent sur le père de Lou, la jalousie de Daisy et l'incapacité de Jackie à se contenir...


Love Lies Bleeding est le deuxième film de Rose Glass, après Saint Maud sorti en 2021. Ce long métrage avait attiré l'attention de Kristen Stewart qui avait fait savoir à la cinéaste son envie de travailler avec elle sur une histoire originale. Entre temps, l'actrice s'est mariée avec la scénariste et productrice Dylan Meyer, officialisant leur homosexualité (même si ce n'était plus un secret depuis longtemps).


Toutefois, cela motive Stewart à s'affirmer en s'engageant dans des oeuvres où sa sexualité n'est plus cachée. Un élément déterminant pour apprécier Love Lies Bleeding qui s'inscrit dans la veine du thriller lesbien, quelques mois après la sortie de Drive-Away Dolls d'Ethan Coen. Sauf qu'ici on n'évolue pas dans un registre comique et léger.


Le film co-écrit par Rose Glass et Weronika Tofilska est un curieux objet hybride qui mêle romance gay, polar, drame psy, et ose même sur la fin ajouter un zeste de fantastique quasi-super-héroïque. Pourtant, malgré tous ces ingrédients, ça fonctionne et le spectateur, qui adhèrera à ce drôle de mix, sera conquis par les surprises que lui réservent l'intrigue.

L'action se situant à la fin des années 80 nous replonge à l'époque où tous les mecs arboraient la coupe mulet, les filles des brushings, et les vêtements des couleurs souvent flashy. Il semble que cela ait été retenu surtout pour inscrire le récit à un moment où le culte du corps était très présent, notamment avec la starification au cinéma de comédiens comme Sylvester Stallone et Arnold Schwarzenegger, ce dernier ayant été d'abord un champion de culturisme comme ambitionne de l'être le personnage de Jackie.

Bien que Rose Glass soit bisexuelle et ses deux actrices principales gays, le film se dispense intelligemment de tout militantisme. Tout juste est-il évoqué le fait que Jackie a quitté sa famille et sa région parce qu'elle était victime des préjugés de sa communauté (en plus de son tempérament volcanique). Quant à Lou, elle assume son homosexualité mais sort d'une relation bancale avec Daisy, dont on devine la toxicomanie (ce qui explique son caractère extrême et sa jalousie).

Le scénario se découpe en trois actes nets : d'abord la rencontre et la romance entre Lou et Jackie, puis l'agression de Beth et ses conséquences dramatiques, et enfin un dénouement en forme de règlement de comptes familial. Ces trois blocs narratifs sont denses car chaque personnage bénéficie d'une évolution riche et imprévisible : ce soin apporté à la caractérisation autant qu'à l'intrigue remplit bien les 100' du film et empêche le spectateur de s'ennuyer.

C'est donc une belle réussite, superbement filmé, et magnifiquement interprété. Dans les seconds rôles, on trouve Dave Franco (le frère de James) parfait en mari ignoble, Jenna Malone poignante en femme battue mais incapable de dénoncer son époux, et surtout Ed Harris, affublé d'une perruque assez incroyable mais qui réussit à vous foutre les pétoches malgré tout.

Surtout, Love Lies Bleeding repose sur un duo d'actrices phénoménal : Kristen Stewart est parfois horripilante mais quand elle s'empare d'un rôle avec l'énergie qu'elle affiche ici, elle est tout simplement magistrale, vibrante de colère rentrée. Face à elle, on découvre Katy O'Brian, qui en plus de s'être entraînée pour être sculptée comme une vraie culturiste, a une présence cinégénique prodigieuse - franchement, si Marvel l'avait embauchée elle pour jouer Jennifer Walters / She-Hulk (en supposant que le studio aurait aussi fait l'effort d'avoir un vrai scénario), ce serait déjà une star. L'alchimie entre Stewart et O'Brian est juste fascinante et leur duo va rejoindre au panthéon des héroïnes cultes Thelma et Louise.

Violente, surprenante, habitée, cette romance queer sortira en France le 12 Juin prochain. Ne la manquez pas !

samedi 27 avril 2024

IF YOU FIND THIS, I'M ALREADY DEAD #3 (Matt Kindt / Dan McDaid)


Robin découvre que le colonel Brand, un des officiers militaires ayant appartenu au premier corps expéditionnaire sur Terminus, s'y est établi et, après y avoir été torturé, en a pris le contrôle avec les Chasseurs. Il a conçu un soldat ultime pour asseoir son pouvoir et ses préparer à l'arrivée de nouveaux soldats en provenance de la Terre et veut faire de Robin sa reine...
  

Mes aïeux, quel final ! Trois épisodes et c'est déjà fini, mais Matt Kindt a exploité à la perfection le format de sa mini-série à la pagination augmentée. L'aventure de Robin, cette reporter envoyée sur Terminus avec quelques soldats, s'est très vite retrouvée livrée à elle-même et doit maintenant composer avec une effrayante révélation.


Matt Kindt a idéalement su rythmer ses péripéties et nous entraîner à l suit de son héroïne dans un trip assez insensé, sur cette planète étrange et hostile. Il a su surtout créer de fausses pistes pour arriver à ce dénouement spectaculaire et renversant. Voilà un auteur qui sait ménager ses effets.


En ayant recours à un seul et unique flashback, il met en perspective ce périple et explique qui est le véritable maître de ce monde étrange. Brand est un personnage vraiment cinglé mais aussi traumatisé par son arrivée sur Terminus et ce militaire explorateur évoque immanquablement le colonel Kurtz dans Apocalypse Now, à la tête non pas d'une tribu reculé mais d'une planète qu'il a soumis à ses délires impérialistes.


En lieu et place de Willard dans le film de Coppola, on a donc Robin qui refuse d'abord d'accomplir la mission que les indigènes asservis lui ont confiée parce qu'elle est journaliste et en tant que tel elle est là pour témoigner, raconter, observer - pas pour prendre une vie. Mais a-t-elle le choix face à Brand qui veut en faire sa reine comme Kurtz voulait faire de Willard son partenaire, son complice ?


La manière dont Kindt règle ce problème dramatique est épique et revient sur le concept très organique de Terminus, une planète vivante littéralement et qui abrite dans ses entrailles des dieux anciens, lovecraftiens, se réveillant pour contrer un danger menaçant l'existence même du monde auquel ils sont liés. C'est très original et spectaculaire, même si en vérité l'affrontement est somme toute assez bref. C'est aussi une manière de duel entre la technologie développée par Brand et le vivant brut, primordial, des dieux de Terminus.

Dan McDaid donne à tout cela une matière palpitante, vibrante. Le découpage privilégie les cases aux dimensions généreuses, avec des splash pages et une double page vraiment grandioses. Le lecteur ne peut qu'être ébloui et terrifié à la fois par la puissance des entités qui se manifestent.

Mais l'artiste n'oublie jamais que l'intrigue repose sur deux personnages humains et opposés, philosophiquement et physiquement : Robin est devenue au fil du récit une survivante et elle se bat comme une guerrière, Brand lui est un soldat expérimenté mais débordé par sa folie. Tout cela aussi McDaid le traduit intensément et le lecteur peut apprécier pleinement ce que ressentent les deux antagonistes, prendre parti facilement tout en savourant la complexité de la situation.

If you find this, I'm already dead s'inscrit dans ce que les comics indépendants américains n'ont désormais plus peur d'oser : des formats plus longs, une narration dense, des univers fouillés, des personnages contrastés. Dark Horse, avec un projet pareil, n'est pas différent de ce que produit DSTLRY (cf; Somna) ou de ce que Jonathan Hickman a plusieurs fois proposé en indés (avec Black Monday Murders) ou chez Marvel (avec HoX/PoX, son run sur X-Men, G.O.D.S.).

C'est passionnant et surtout ça doit inspirer d'autres créateurs pour renouveler les comics.

vendredi 26 avril 2024

LE REGNE ANIMAL (Thomas Cailley, 2023)


Dans un futur proche, un virus se propage partout dans monde et provoque la transformation progressive de certains individus en animaux anthropomorphiques. Les chercheurs sont désemparés face à cette maladie qui peut toucher n'importe qui, quel que soit son âge ou son sexe. Chaque pays tente de gérer cette crise à sa manière et en France, c'est l'armée qu'on envoie pour capturer les "créatures" ou les "bestioles" comme on les appelle.
  

Emil et son père François, cuisinier, déménagent dans le Sud de la France pour suivre Lana, sa mère, atteinte par cette métamorphose. L'adolescent vit très mal la situation car elle est internée dans un centre de soins spécialisé et il ne peut plus communiquer avec elle. Logés dans un mobil'home dans un camping, le père et son fils apprennent que le fourgon qui convoyait Lana et d'autres patients a un accident et que plusieurs d'entre eux se sont enfuis. Julia, une gendarme, tente de les rassurer mais François est résolu à mener ses propres recherches et force Emile à l'accompagner.


Dans la forêt environnante, ils tombent une nuit sur deux créatures, un homme oiseau et une fillette caméléon, mais ne signalent pas leur présence aux autorités. Au lycée où il est admis, Emile se rapproche de Nina, une camarade de classe. Mais il découvre aussi qu'il présente les premiers symptômes de la maladie et le cache à son père. Il s'aventure dans la forêt, seul, et renoue le contact avec l'homme oiseau qu'il encourage dans ses tentatives pour voler.


François reçoit le renfort de Julia pour chercher Lana dans la forêt la nuit. Il retrouve le vélo de son fils et de retour au mobil'home l'interroge à ce sujet. Emile lui avoue son état et son père décide alors de l'aider à ne pas être capturé tout en ignorant combien de temps encore il pourra dissimuler sa transformation...


Présenté l'an dernier dans la section "Un certain regard" au Festival de Cannes, le deuxième long métrage de Thomas Cailley, neuf ans après Les Combattants, a fait immédiatement sensation en investissant le genre fantastique, si délaissé par le cinéma hexagonal. Le cinéaste a pu disposer d'un budget confortable grâce à la présence en tête d'affiche de deux acteurs populaires.


Cailley n'a pas eu l'idée du Règne Animal (un titre un peu maladroit tant il fait plutôt penser à un de ces innombrables documentaires sur la faune diffusé sur le service public) : c'est Pauline Munier, étudiante à la Fémis, qui le lui a soumis lors d'un atelier d'écriture et ensuite il lui a proposé de le développer avec elle. Le résultat est invraisemblablement original.
 

Comme je le disais plus haut, le cinéma français n'envisage le cinéma de genre qu'à travers la comédie et le polar. Les tentatives pour explorer d'autres registres effraient les chaînes de télé, principales sources de financement des films qui réclament des produits formatés pour un public familial en prime time avec des têtes d'affiche. Autant dire que la prime à l'originalité n'est pas distribuée facilement.

Qu'un long métrage comme Le Règne Animal ait réussi à être produit tient donc du miracle. Mais ça n'a pas empêché le public d'aller le voir en salles et de lui réserver un beau succès, ni d'être nommé une douzaine de fois aux derniers Césars (même s'il n'a remporté que des statuettes dans les catégories techniques - faut pas déconner quand même et puis les professionnels de la profession n'avaient d'yeux que pour Anatomie d'une chute de Justine Triet).

L'histoire suit donc un père et son fils dans une France en proie à un virus mystérieux qui, comme partout ailleurs dans le monde, transforme n'importe qui en créatures mi-humaines, mi-animales. Intelligemment, le scénario évite de tenter d'expliquer le phénomène, c'est parfaitement inutile et surtout ça préserve de justifications pseudo-scientifiques maladroites. La mère de famille est atteinte et déplacée dans un centre de soins qui ressemble beaucoup à une sorte de camp de concentration. François, son mari, tente de garder le contact puis la recherche lorsqu'elle s'échappe.

Thomas Cailley capture la beauté sauvage de la nature et interroge avec Pauline Munier les questions relatives à un tel sujet : la différence, l'instinct contre la raison, la peur contre la tolérance, la civilisation... On voit que les habitants du coin s'organisent en milice et que l'armée est chargée de capturer le créatures. L'ambiance est oppressante. Mais dès qu'on s'éloigne de cette humanité qui oublie toute notion de cohabitation, on est saisi par la paix qu'abrite la forêt environnante et l'entraide entre les créatures qui s'y réfugient.

Le point de bascule survient, de manière certes convenue mais néanmoins efficace, quand le fils, Emile, présente à son tour des symptômes. Il les cache à son père puis son secret ne peut plus être gardé et François décide alors d'épargner à sa progéniture le même sort que sa femme. En parallèle, Emile nourrit des sentiments pour une jeune fille dans sa classe (sentiments réciproques) et François est aidée dans ses recherches par Julia, une gendarme frustrée de ne pouvoir plus activement participer aux opérations confiées à l'armée mais surtout mue par une envie de ne pas persécuter les créatures.

Le film souffre d'être un peu trop long (2h. 10) à mon goût, mais son ambition mérite qu'on soit indulgent. Par ailleurs la mise en scène est superbe, la photo très léchée, les effets spéciaux vraiment sidérants. Il y a surtout une poésie qui habite l'histoire en même temps qu'une cruauté poignante. Difficile de ne pas être touché par ce que traversent ce père et son fils, mais aussi parce qu'on voit de la vie des créatures qui perdent petit à petit toute leur humanité (langage, apparence, sociabilité...).

Romain Duris est formidable dans le rôle de François, passant du désarroi le plus total à la compassion et à un attitude protectrice bouleversante. Adèle Exarchopoulos hérite d'une partition moins aboutie mais à laquelle elle donne une interprétation vibrante et sobre. Le jeune Paul Kircher est assez épatant dans la peau d'Emile même si je dois avouer qu'au début son jeu peu expressif m'a un peu agacé.

Le Règne Animal n'est pas parfait mais c'est un de ces films qu'on a envie de soutenir, de partager. Il possède des fulgurantes esthétiques et une singularité narrative qui le distinguent et l'honorent.