samedi 20 avril 2024

HELEN OF WYNDHORN #2 (Tom King / Bilquis Evely)


Après ce qu'elle a vu dans la propriété de son grand-père, Helen exige de celui-ci qu'il s'en explique, mais Barnabas reste muet. Lilith commence à instruire la jeune fille et constate qu'elle est cultivée mais distraite. Surtout, elle souffre de l'absence de son père. La gouvernante tente alors de convaincre Barnabas de parler à sa petite-fille...


Peut-être jugerez-vous cela mièvre mais je trouve qu'il y a quelque chose de romantique à attendre chaque nouvel épisode d'une série qu'on adore. C'est comme un rendez-vous amoureux avec une belle fille : on est impatient, on compte les jours depuis la dernière fois où on l'a vue, on espère que la prochaine rencontre se passera aussi bien que la précédente...


Je ne suis plus un perdreau de l'année et j'ai vécu plus de désillusions amoureux que littéraires. Je crois que c'est Jules Renard qui disait que quand il pensait à tous les livres qui l'attendaient, il avait la certitude d'être heureux. Et c'est aussi on cas : le bonheur que je n'ai pas trouvé avec les filles qui me plaisaient, je l'ai avec les livres qui m'attendent.


La vie d'un lecteur est traversée par des auteurs qui l'égayent, l'émeuvent, l'instruisent, le divertissent. En somme qui le construisent intellectuellement. C'est pour cela que je n'ai jamais distingué mes préférences romanesques et bédétesques : j'ai grandi, appris, été ému, diverti, réjoui par Chris Claremont et Isaac Asimov, Frank Miller et David Goodis, Alan Moore et Paul Auster, Tom King et Jonathan Coe, Jonathan Hickman et Ian McEwan, etc.


Peuplé par leurs histoires, je me suis souvent demandé s'il n'existait pas un passage secret, plus subtil entre un lecteur et un auteur, comme un sas où les deux personnes partageaient si fort des goûts que cela établissait une sorte de communication presque mystique. Un peu comme deux personnes qui feraient le même rêve sans se connaître.

Or, dans une scène de Helen of Wyndhorn #2, un dialogue entre Helen et sa gouvernante Lilith reprend cette réflexion. Helen évoque son père et ce qu'il écrivait, ce qu'elle lisait en cachette de ce qu'il avait couché sur le papier. Ensuite, quand le sommeil la gagnait, elle rêvait aux histoires qu'il créait, et elle se demandait alors si entre son père et elle n'existait pas justement une sorte de conduit où ils partageaient leurs goûts pour les mêmes récits, le même besoin de s'évader par le biais de la fiction. Mieux même : s'il n'écrivait pas pour elle en ayant accès à ses rêves.

Cette appréciation de la fiction et de la réalité, du fantasme et de la vérité est au coeur de cet épisode et fait de cette mini-série quelque chose de différent de ce à quoi on pouvait initialement s'attendre. Il est ici question, comme souvent chez Tom King, de la perte, du deuil et de la façon dont chacun compose avec cela. Mais quand le fantasme, la fiction deviennent réels, quand la fantaisie de l'imaginaire s'incarnent dans notre dimension, alors comment cela procède-t-il sur notre deuil ?

Nous faisons la connaissance de Barnabas, le grand-père de Helen, mais King en fait le portrait en creux. L'homme est souvent absent mais également souvent évoqué, il devient lui aussi le sujet de fantasmes. Quand il est montré et prend une part active dans la narration, il apparaît sous un jour peu sympathique, rustre, taciturne, ombrageux, colérique. Mais à un moment, le vernis craque et révèle un homme que la perte de son fils a meurtri profondément, au point que sur son visage buriné perle une larme. La pudeur avec laquelle cela est décrit est déchirante.

Témoin et narratrice devant ces deux êtres (le grand-père Barnabas et sa petite-fille Helen), Lilith est tiraillée entre son envie de faire le lien entre eux eux et de rester à sa place pour ne pas la perdre. La fin de l'épisode emprunte une troisième voie, à la fois inattendue et prévisible, qui engage le récit vers une initiation pleine d'incertitudes, de dangers potentiels.

Aux thèmes convoqués, à l'écriture fine, répondent les dessins d'orfèvre de Bilquis Evely. Cette artiste, comme beaucoup de ceux qui ont servi les scripts de King, ne jouent pas dans la même cour que le commun des mortels. Chaque planche est foisonnante, riche de mille détails, d'un trait d'une précision somptueuse.

On ne lit pas les planches de Evely, on y plonge tellement elles sont profondes  : tout un monde est à créer et elle le fait avec une imagination aussi prodigieuse que raffinée. Le fait qu'elle travaille comme je l'ai déjà dit "à l'ancienne", c'est-à-dire en crayonnant puis en en encrant à la plume et aux pinceaux, donne un produit organique, on sent les heures de travail nécessaire pour chaque plan large, la réflexion à chaque découpage, le soin à chaque composition. Et on admire ce qu'on voit.

On l'admire d'autant plus qu'avec les couleurs magnifiques de Matheus Lopes, ce dessin, précieux, est encore amélioré si c'est possible. Est-on encore seulement dans de la bande dessinée ? Ou un langage visuel différent, pour ne pas dire supérieur ? En tout cas, on n'éprouve que ce frisson vertigineux que devant les plus grands et Bilquis Evely en fait partie.

C'est enchanteur et irrésistible. C'est merveilleux. Comme un rendez-vous amoureux. Rendez-vous dans un moins, chère Helen of Wyndhorn, j'ai hâte.

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