lundi 29 avril 2024

INSIDE LLEWYN DAVIS (Joel & Ethan Coen, 2013)


1961. Llewyn Davis, chanteur folk sans le sou, dont le premier disque en solo a fait un bide, se produit sur la scène du "Gaslight Cafe". Après son passage, il sort du club par l'entrée des artistes et aboutit dans une ruelle où un homme le prend à parti et le frappe.


Llewyn se réveille chez les Gronstein, des amis qui lui offrent le gîte et le couvert quand il ne squatte le canapé de connaissances. Ses hôtes s'étant absentés, il s'en va en leur laissant un mot de remerciement mais leur chat en profite pour filer par la porte d'entrée ouverte. Il le rattrape et l'emmène chez Jim et Jean Barley où compte passer la nuit suivante. Mais Jean l'informe qu'elle est enceinte, peut-être de lui. Llewyn tente de la réconforter en assurant qu'il lui paiera l'avortement.


Il rend ensuite visite à sa soeur à qui il espère soutirer un peu d'argent mais au lieu de ça elle lui remet un carton plein d'affaires lui appartenant. Il n'en a que faire et lui dit de les jeter. Elle lui conseille de s'engager à nouveau dans la marine marchande pour gagner sa vie. Il rejoint ensuite un studio d'enregistrement à l'invitation de Jim Barley pour enregistrer une chanson en trio avec Al Cody, pour laquelle il accepte 200 $ à la place de royalties.


Après un détour chez le médecin où il apprend que la dernière jeune femme qu'il a emmené là a finalement renoncé à mettre un terme à sa grossesse et qu'il ne lui doit donc rien pour Jean, Llewyn retrouve ce qu'il croit être le chat des Grostein et le leur ramène. Il dîne avec eux et leurs amis et leur chante, à contrecoeur, une chanson mais quand Mme Grostein fait les choeurs, il s'emporte. Elle remarque alors que le chat n'est pas le leur et il repart avec.


Echouant chez Al Cody, il accepte de le remplacer pour un déplacement à Chicago en compagnie du poète Johnny Five et du jazzman Roland Turner dans l'espoir de décrocher une audition avec le producteur Bud Grossman...
 

13 ans après O'Brother, les frères Coen complétaient quelque sorte un diptyque musical avec Inside Llewyn Davis. Récompensé par le Grand Prix du Festival de Cannes, c'est un de leurs chefs d'oeuvre, et un des films d'eux que je préfère, véritable lettre d'amour au folk et véritable numéro d'équilibristes sur le sort d'un wannabe.


Pourtant, quand ils débutent le tournage, Joel et Ethan Coen n'ont quasiment pas de scénario, juste quelques scènes dialogués, une vague trame et l'envie d'explorer cette période charnière, au tout début des années 60, avant que Bob Dylan n'émerge sur le devant de la scène. Selon les propres dires des frangins, "nous n'avions aucune intrigue. Alors nous avons glissé le chat dans le script...".

Comme O'Brother, le référence principale de Inside Llewyn Davis est L'Odyssée d'Homère ou sa réinterprétation moderne avec le périple d'un homme qui cherche à se retrouver et rentrer chez lui - sauf qu'ici, Llewyn ne sait plus où il habite et personne ne l'attend. Mais si O'Brother était une comédie burlesque convoquant des figures du poème d'Homère, Inside Llewyn Davis, de par son écriture plus libre, est plus mélancolique et musarde volontiers.

Le héros est un chanteur folk sans le sou, son premier album solo ne se vend pas, son impresario le mène en bateau, il squatte le canapé de ses amis, et traîne un blues tenace. On apprendra plus tard qu'il formait un duo avec Mike Timlin, musicien et chanteur plus doué que lui mais qui, désespéré de ne pas voir leur carrière décoller, s'est donné la mort en se jetant du George Washington Bridge. Face au producteur Bud Grossman, après une audition improvisée et ratée, Llewyn reçoit comme conseil de reformer son duo. Avant cela, sa soeur, constatant l'échec de sa reconversion en solo, tentera de le convaincre de s'engager à nouveau dans la marine marchande (comme leur père qui y fit toute sa carrière).

En route pour Chicago avec un poète particulièrement taciturne et un jazzman héroïnomane et condescendant, Llewyn se fait traiter de pédale parce qu'il joue de la folk. Jean Barley le bat froid en lui reprochant de ne pas avoir enfiler deux capotes lorsqu'ils ont couché ensemble. Le patron du "Gaslight Cafe" lui avoue qu'il laisse Jean chanter sur sa scène parce qu'il a couché avec elle... Tout n'est qu'humiliation pour Llewyn qui encaisse sans broncher parce qu'au fond il est déjà au fond du trou et n'y croit plus.

Mais il y a le chat. Les Coen ont eu une idée improbable et géniale avec ce minou dont Llewyn doit s'occuper, qu'il traîne partout, qu'il perd, récupère (ou presque), abandonne, retrouve. L'animal est le dernier être qui l'empêche de sombrer complètement et il s'y attache d'une manière presque délirante, ce qui produit des effets comiques inattendus. Le sommet étant atteint quand les maîtres du chat se rendent compte que ce n'est pas le leur que leur a ramené Llewyn !

Parfois, reconnaissons-le, Llewyn est franchement pathétique, voire antipathique. Pourtant on ne peut lui en vouloir longtemps car avec toutes les emmerdes qui lui tombent dessus, toutes les galères qu'il traverse, on compatit pour lui. Et si, certes, sa musique, ses chansons, sont affreusement déprimantes, impossibles à vendre, il a quand même du talent, une vraie sensibilité. On n'oublie jamais non plus pourquoi il en est là.

Le film est vraiment, mais vraiment splendide visuellement : la photographie de Bruno Delbonnel est absolument incroyable, entre sépia et noir et blanc, ce qui donne à chaque image une patine vintage plus vraie que nature. La mise en scène est d'une fluidité remarquable. 

Le casting est royal : Oscar Isaac décrochait là son premier grand rôle, il sera Llewyn Davis pour l'éternité, c'est lui qui chante (comme tous les acteurs dans le film) et joue de la guitare avec talent. Justin Timberlake est également parfait en cocu naïf. Adam Driver n'a que deux scènes mais celle de l'enregistrement de "Please Mr. Kennedy" est hilarante. John Goodman et Garrett Hedlund forment le tandem le plus bizarre qui soit. F. Murray Abraham a la grande classe cruelle. Et puis il y a Carey Mulligan, divinement odieuse, mais quand même absolument charmante : de toute façon, Carey Mulligan est tout le temps parfaite, elle a la grâce.

Bien entendu, quand vous avez vu Inside Llewyn Davis, il faut vous procurer ensuite la bande originale du film, supervisée par T-Bone Burnett : si vous aimez la folk, c'est obligatoire.

J'aime ce film d'amour. Et je ne connais personne à qui j'ai conseillé de le voir qui ne l'a pas aimé.

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