jeudi 25 avril 2024

SEULE LA MORT PEUT M'ARRÊTER (Mike Hodges, 2003)


Davey Graham est un petit dealer qui, invité à une soirée, vient approvisionner une jeune femme, Stella. Il repart sans s'attarder ni remarquer que le compagnon de sa cliente passe un appel sur son téléphone portable pour prévenir quelqu'un de ses mouvements. Une fois dehors, il est suivi puis emmené de force par deux hommes vers un troisième, Boad, dans un garage. Boad le viole. De retour chez lui à l'aube, Davey se fait couler un bain et y entre sans se déshabiller, encore sous le choc.



C'est son ami Mikser qui le trouve mort, égorgé, quelques heures plus tard, puis qui va prévenir sa mère, Helen, qui tient un restaurant. Il lui demande comment joindre le frère ainé de Davey, Will, qui a quitté Londres depuis trois ans, mais elle l'ignore car il ne lui écrit plus. Will est en fait devenu un bûcheron et il vit dans sa camionnette. Sans papiers, il est congédié et prend le ferry pour rentrer en Angleterre. Il croit voir Davey au terminal et cette hallucination le trouble assez pour qu'il tente de le joindre tout de suite puis au cours de son trajet pour Londres.
 

Quand il arrive enfin à la capitale, Mikser le met au courant. Son retour ne passe pas inaperçu bien longtemps car Frank Turner, le chef de la pègre qui l'a remplacé, craint pour sa vie et engage un tueur pour l'éliminer. Will veut savoir pourquoi son petit frère a mis fin à ses jours, soupçonnant qu'on a cherché à l'atteindre à travers lui...
  

I'll sleep when I'll be dead ("Je dormirai quand je serai mort") est le dernier film réalisé par Mike Hodges, alors âgé de 71 ans. Le cinéaste est mort en 2022 et il est troublant de constater à quel point son ultime long métrage ressemble à son tout premier, le classique La Loi du Milieu (Get Carter, 1971). La boucle était en quelque sorte bouclée.


Seule la mort peut m'arrêter est une oeuvre crépusculaire, au rythme lent, qui aura sans doute gagné à être moins long que ses 105', mais qui assume surtout l'influence de Jean-Pierre Melville. C'est aussi une oeuvre typiquement britannique, très noire, désespérée, sans concessions, qui refuse tout compromis.


Ne vous attendez donc pas à des échanges de coups de feu, des règlements de comptes à répétition : il n'y a qu'une seule détonation dans tout le film, à la toute fin ! Et beaucoup de fausses pistes entre temps : par exemple, le scénario écrit par Trevor Preston nous fait croire à une guerre de chefs de la pègre avec le retour de Will Graham redouté par son remplaçant, Frank Turner : elle n'aura jamais lieu.


Le film a quelque chose de sec, dépouillé, à l'os, qui est bluffant. Ce n'est en aucun cas un polar divertissant : dès le début, on est dans le dur. Un jeune dealer, plus frimeur, flambeur que profiteur, se fait violer sans vraie raison par un type qui a l'âge d'être son père, voire son grand-père. Traumatisé, il se suicide dans son bain en se tranchant la gorge. La violence de ces deux scènes est effroyable, moins pour ce qu'elle montre que pour ce qu'elle provoque chez le spectateur, le dégoût et la tristesse.

Puis on suit un bon moment Will Graham qui n'a vraiment rien d'un gangster retiré et flamboyant : reconverti en bûcheron, barbu, le cheveu gras, indifférent au monde, dormant dans sa camionnette, il ignore du drame qui a emporté son jeune frère. C'est un moment surnaturel qui l'en informe quand i croit le voir dans un terminal de ferry. On sent bien alors que, dans cette épure, se glisse un élément discrètement fantastique, assez saugrenu en vérité.

Puis le film retombe sur ses pattes : le retour à Londres de Will, la confirmation du décès de Davey son cadet, la découverte de l'épreuve qu'il a subi, les investigations pour savoir qui a commis cette atrocité, et donc les à-côtés (l'angoisse de Turner, le souhait des anciens complices de Will de le voir reprendre son trône, etc.). Les dialogues son réduits au maximum, Will est quasiment muet la plupart du temps. Le polar fait place à une histoire de fantômes.

Mike Hodges filme ça sans fioritures, souvent en lumière naturelle. Londres telle qu'il la montre n'a rien de la capitale anglaise, il ne grave pas sur la pellicule des endroits familiers, mais plutôt des ruelles sombres et humides, souvent la nuit. Les personnages sont presque désincarnés, les proches de la victime dévastés par le deuil ou rongés par l'inquiétude que tout ça finisse par une nouvelle mort. Il ne faut pas regarder ce film un jour de déprime. Mais sinon la radicalité de la proposition est tout simplement étonnante si on n'a pas en tête qu'il s'agit du dernier film d'un septuagénaire.

Qui mieux que Clive Owen pour camper ce Will Graham qui promène son allure limite clocharde dans cette nuit sans fin ? L'acteur en impose par son charisme naturel et n'a pas besoin de plus pour que son personnage impressionne durablement. Jonathan Rhys-Meyer a cette belle gueule d'ange détruit. Charlotte Rampling est complètement spectrale en mère endeuillée. Et Malcolm McDowell joue une ordure totale sans se forcer.

Sacré polar, très sombre. Et sacré dernier film d'un des cinéastes anglais les plus imprévisibles qui soit.

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