mardi 23 avril 2024

LE POINT DE NON RETOUR (John Boorman, 1967)


Walker est laissé pour mort dans la prison désaffectée d'Alcatraz après un vol commis avec son partenaire Mal Reese qui était aussi l'amant de sa femme Lynne. Pourtant Walker survit à ses blessures par balles et rejoint la côte à la nage, résolu à se venger même s'il ignore comment il va s'y prendre.


Il est abordé par un nommé Yost qui veut démanteler l'Organisation et qui compte sur Walker pour ça, en échange de quoi il lui permettra de remonter la piste de Reese et de son butin. Grâce à cet argent, Reese a pu rembourser ses dettes auprès de cette empire criminel et en refaire partie.


Walker gagne Los Angeles et fait irruption chez Lynne en espérant y trouver Reese, mais celui-ci l'a quittée et elle vit depuis dans le remords. Elle finit par se suicider en absorbant des somnifères. Yost resurgit et oriente Walker en direction du concessionnaire automobile Stegman. Après l'avoir malmené, il lui soutire l'adresse de Chris, la soeur de Lynne, qui gère un club de jazz.


Lynne admire autant Walker pour sa détermination qu'elle méprise Reese pour sa lâcheté et accepte de l'aider à le piéger en acceptant un rendez-vous avec lui dans le penthouse où il se cache...


Quand on se penche sur Point Blank (en vo), c'est souvent pour le citer comme un exemple de film réécrit par son montage qui a gardé toute son originalité 57 ans après sa sortie, notamment pour son extraordinaire travail sur le son et la déconstruction du récit. Mais c'est une méprise.


Avant d'expliquer pourquoi, revenons sur la genèse de ce long métrage. A l'origine, il y a le premier roman de Richard Stark, un des pseudonymes de l'écrivain Donild Westlake dont il usait pour raconter les aventures d'un voleur impitoyable, Parker. Ce personnage, Stark n'a jamais accepté qu'on l'adapte sur grand écran, n'ayant jamais lu de script qui lui rende justice, et c'est pour ça qu'il a été rebaptisé Walker.


La seule exception qu'il accordera sera pour Darwyn Cooke qui transposera trois de ses livres en comics, dont The Hunter qui sert aussi de base au Point de Non Retour. Quand le script de Alexader Jacobs, David et Rafe Newhouse parvient à Lee Marvin, l'acteur, alors au sommet de sa gloire, obtient de choisir qui le mettra en images.

Il impose donc John Boorman qu'il a rencontré sur le tournage des Douze Salopards parce qu'en faisant une lecture du scénario avec lui, il comprend qu'ils sont sur la même longueur d'ondes. Boorman ne sera pas crédité comme co-auteur mais pourtant il remodèle le script, brouillant sa chronologie, supprimant tout ce qui est superflu à ses yeux, pour en tirer quelque chose de plus étrange, d'indéfinissable. C'est à la fois un polar et une histoire de fantôme en vérité puisqu'une des façons d'apprécier l'intrigue est d'imaginer qu'il s'agit d'un rêve que fait Walker agonisant dans la cellule d'Alcatraz où l'ont laissé pour mort sa femme et son complice (un peu comme pour Il était une fois en Amérique de Sergio Leone qui peut être vu comme un long trip sous opium du personnage de Noodles).

Boorman a aussi, exceptionnellement, le final cut, mais tout est déjà dans le scénario qu'il a remanié. On suit donc Walker, un voleur, qui se laisse convaincre par son vieil ami Mal Reese de voler de l'argent remis à des trafiquants d'armes dans l'enceinte désaffectée de la prison d'Alcatraz. Littéralement revenu d'entre les morts, il est obsédé par l'envie de se venger et de récupérer sa part du butin, traquant Reese puis harcelant les cadres de l'Organisation pour qu'il le paie.

Le film déploie cette quête absurde jusqu'au bout et le spectateur comprend que Walker est, comme le lui dit sa belle-soeur, "mort à Alcatraz cette nuit-là". La vengeance n'est même pas son moteur, ni même l'argent. Il erre comme un spectre dans Los Angeles, jouet du destin qui s'incarne dans le personnage du mystérieux Yost qui l'informe opportunément et dont on découvre à la toute fin qui il est vraiment - un superbe twist, dégainé avec nonchalance.

Boorman dirige Lee Marvin et humanise le personnage inspiré des romans de Richard Stark : dans les livres, Parker est une vraie ordure, machiste, implacable, alors que dans le film il se laisse surprendre à plusieurs reprises, semble complètement déboussolé. Mais le point commun entre l'original et la copie, c'est qu'il s'agit d'un individu que rien ne saurait arrêter, mu par une force qui paraît souvent le dépasser.

Marvin est plus que parfait dans le rôle : sa silhouette impressionnante, sa gueule incroyable (il a alors 43 ans mais ses tempes argentées le vieillissent plus), son charisme surnaturel impriment l'écran dans cette partition où il est souvent muet, impénétrable. Boorman racontait que lors de cette fameuse lecture du script original, c'est Marvin qui avait eu l'idée de laisser à ses partenaires des pans entiers de ses propres dialogues comme s'il se confessait naturellement en sa présence, hanté par son souvenir, ce qu'ils lui avaient fait subir, ce qu'ils voulaient lui infliger. 

Avec le recul, c'est toujours aussi saisissant, tout comme le fait qu'une star de son envergure ait fait entièrement confiance à un jeune cinéaste débutant comme Boorman, sentant bien que ce dernier apporterait quelque chose d'unique à ce qui n'aurait pu être qu'un polar de plus. Lui donner comme principale partenaire Angie Dickinson est une autre idée géniale : elle, tellement belle face à ce bloc impressionnant, laisse s'exprimer sa fragilité de femme dans ce monde de brutes et en même temps on lit dans son regard l'effet puissamment érogène que lui inspire Walker/Marvin. C'est Eros et Thanatos qui se rencontrent.

Le film s'achève sur une séquence mémorable qui renforce l'impression que tout ça est une affaire de fantômes, quand Walker reste silencieux et disparaît dans l'ombre. Le Point de Non Retour a été en réalité franchi depuis belle lurette mais nous sommes entraînés avec le héros dans une nuit définitive, sans fin. Frissons garantis pour ce chef d'oeuvre d'une modernité inaltérable.

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