mercredi 3 avril 2024

THE IMMORTAL THOR #8-9 (Al Ewing / Ibraim Roberson)


Où Thor a un entretien, musclé, avec sa mère Gaïa, en Norvège. Elle lui apprend comment la guerre entre les Titans a cessé avec la naissance de son premier fils et abouti à ce que les anciens dieux, comme Toranos se cachent jusqu'à ce qu'elles les libèrent récemment...


Commençons par la nouveauté de cet épisode : Martin Coccolo a eu besoin de souffler après avoir enchaîné sept épisodes d'affilée. On peut juger que ce n'est pas tant que ça mais aussi répondre que chaque artiste a son rythme et que, par les temps qui courent, sept épisodes de suite, ce n'est vraiment pas rien, surtout avec le niveau affiché par Coccolo.


Il est donc remplacé pour cette fois par Ibraim Roberson, et je dois dire que j'appréhendais un peu le résultat car je connais mal cet artiste. En vérifiant les archives de ce blog, la seule fois où j'ai pu apprécié son travail, c'était sur l'épisode 7 de Old Man Hwakeye où il suppléait Marco Checchetto. Et le résultat ne m'avait pas convaincu.


D'où ma surprise quand j'ai lu ces planches pour The Immortal Thor 8 où il est méconnaissable. Entre temps, son style a évolué, muri et n'a plus rien à voir avec ce que je connaissais. C'est d'une épatante qualité, avec une puissance ahurissante, qui correspond idéalement au contenu de ce numéro, qui convoque des scènes du passé très spectaculaires. Franchement, si Roberson doit rester le remplaçant de Coccolo chaque fois que ce dernier aura besoin de faire une pause, je signe tout de suite.


Depuis le début de ce nouvel arc narratif, après le premier qui mit en scène l'affrontement contre le terrifiant Toranos, Al Ewing a placé ses pions. Il existe d'anciens dieux qui menacent la Terre et Asgard (et l'ensemble des autres royaumes). Tornaos n'était en quelque sorte qu'un avant-goût. Mais où étaient passés ces anciens dieux ? Et pourquoi se manifestent-ils à nouveau maintenant ?

Les réponses à ces questions, le scénariste nous les fournit dans cet épisode dont on pouvait craindre qu'il soit basiquement et lourdement explicatif mais qui s'avère très épique en plus de clarifier les choses. On a aussi la confirmation que Ewing voit loin et surtout voit grand avec une intrigue sur le long terme, quelque chose qui prétend (et a toutes les chances de) rivaliser avec les histoires les plus grandioses de Kirby.

Visuellement, comme je l'ai dit plus haut, c'est tout à fait saisissant, à l'image de l'apparence effrayante de Gaïa, la mère de Thor. Quand elle explique à Thor ce qui est en train de se jouer et va continuer à de développer, on plonge dans une lointaine époque où les Titans s'affrontaient sans répit au mépris de la Terre, dont Gaïa est la gardienne, mais pour plaire au Démiurge, le créateur de toutes choses.

Thor n'est ni le seul, encore moins le premier fils de Gaïa, qui mit au monde Atum, dont la puissance mit fin au conflit des Titans (cela donne une idée de sa force), mais dont le double, Démogorgon, attend son heure dans l'ombre. L'émergence de ces deux créatures a motivé les anciens dieux à se cacher à Utgard comme le fit Utgard-Loki (rencontré dans le précédent épisode), dont la clé de la porte est la propriété de Gaïa. A partir de là, il n'est pas difficile de deviner qui a libéré Toranos récemment. Reste à comprendre pourquoi et je ne vais spoiler mais vous déduirez que ce qui se profile n'est pas très encourageant pour la Terre, ses habitants et Thor, qui en est le protecteur...

Ce qui est captivant, c'est que plus la série avance, plus elle se révèle et plus le lecteur prend conscience de son ampleur folle. C'est un procédé que maîtrise Al Ewing, où, à pas comptés, un ou plusieurs méchants complotent discrètement avant de lancer son assaut et mettre franchement en difficulté le(s) héros. Ainsi, si ce héros sort victorieux, son mérite et son prestige n'en seront que plus grands.

Pour réussir cet exercice narratif, il faut avoir des munitions et prendre le temps de les tirer, ce qui implique une progression dramatique parfois syncopée, où on accélère et décélère brusquement. Mais quand ça fonctionne, quand le lecteur est accroché, alors le spectacle est total, la jubilation éclatante. Et de ce point de vue, je trouve que The Immortal Thor est admirablement construit par un auteur qui sait où il va après des années où des auteurs semblaient surtout bâtir leurs runs par accumulation, par coups d'éclat, mais sans une direction aussi claire.

Pour moi, il ne fait donc guère de doute que The Immortal Thor ne va cesser de nous surprendre et en bien.

*

Après l'entretien qu'il a eu avec sa mère, Thor a compris que les anciens dieux étaient lâchés pour décider du sort de l'humanité. Il va donc demander des comptes à Dario Agger/le Minotaure, qui est à la tête de la compagnie Roxxon, responsable de bien des maux sur Midgard...


Al Ewing n'a pas peur de malmener Thor, mais il le fait avec  un objectif en tête, pas gratuitement : s'il sort vainqueur des épreuves qui se présentent à lui, il en sera grandi car il aura su surmonter de terribles difficultés. Et depuis le début de ce deuxième arc de la série, les choses ont pris une toute autre proportion.


Il ne s'agit pas simplement d'opposer Thor à des adversaires aussi, voir plus, puissants que lui et d'attendre de voir comment il va s'en sortir. Non : il s'agit de confectionner un piège sophistiqué, sur le long terme, pour l'obliger à déjouer, à jouer contre lui-même, contre sa nature. Et donc le lecteur va voir s'il a appris des enseignements prodigués récemment par Loki.


De ce point de vue, ce neuvième épisode est une démonstration de storytelling, puisque tout ou presque repose sur des illusions qui font perdre ses repères à Thor. Son caractère impulsif reprend le dessus car il est frustré de ne pas avoir l'avantage face à des ennemis qui sont plus malins, plus machiavéliques et sui sont aussi plus nombreux.


Mais Ewing y ajoute une couche méta-textuelle depuis qu'il a révélé que, dans l'univers 616 (peuplé donc par les personnages des comics Marvel), hé bien, justement, Marvel Comics est la propriété de Roxxon, donc de Dario Agger alias le Minotaure.  Thor a en effet concédé à Marvel le droit de raconter ses exploits au début de sa carrière sur Terre mais il n'a jamais pris la peine de vérifier la manière dont ils étaient relatés. Et aujourd'hui, donc, avec le Minotaure, la situation lui échappe complètement car Dario Agger s'amuse à raconter n'importe quoi, recréant le personnage de Thor - le Roxxon Thor donc.

On comprend aussi que le Minotaure s'est allié avec Amora l'Enchanteresse pour que la magie de cette dernière pimente cette affaire : en effet, la fiction réécrite par Roxxon affaiblit Thor quand il est sur Terre, lui fait perdre ses nerfs, le désoriente. C'est ce qui explique qu'il prend une telle raclée face au Minotaure et Skurge l'Exécuteur, deux adversaires qu'il a su pourtant par le passé dominer. Cette mise en abyme est vertigineuse et assez culottée de la part de Ewing qui compare Marvel à Roxxon, soit une compagnie sans scrupules, exploitant ses personnages de manière manipulatrice. Bien entendu, le scénariste ne fait pas de la série un pamphlet, mais tout de même, le procédé est osé.

Ibraim Roberson rempile pour cet épisode (avant le retour de Martin Coccolo le mois prochain) et encore une fois il livre de superbes planches, d'un niveau que je ne lui soupçonnais pas. Son trait est détaillé, avec une belle abondance de splash pages et de doubles pages somptueuses. La colorisation de Matt Wilson fait merveille comme toujours, particulièrement dans les scènes à l'intérieur du Roxxdome, cet abri censé protéger une future population de nantis quand la Terre sera dévastée par les excès commis par l'humanité : les personnages y évoluent dans un cadre suburbain, caricatural au possible mais inquiétant par son réalisme factice.

Et où tout ça nous mène ? Dans quinze jours, Al Ewing et Marvel repoussent les limites encore plus loin en sortant un one-shot intitulé Roxxon presents Thor, qui sera dessiné par Greg Land (pas mon artiste favori loin de là, mais un choix ingénieux pour illustrer une fiction dans la fiction) et qui dévoilera à quel point les vilains ont déformé l'histoire du dieu du tonnerre.

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