vendredi 5 avril 2024

POISON IVY, TOME 3 : PUTREFACTION PROGRAMMEE (G. Willow Wilson / Marcio Takara et Luana Vecchio)


De retour à Gotham, Poison Ivy s'est installée avec Harley Quinn et Janet Mitchell. Mais elle sait que Batman et ses alliés sont après elle. Elle cherche alors un endroit où elle pourra travailler tranquillement à l'antidote contre les spores qu'elle a propagées.


Elle se réfugie donc dans le Slaughter Swamp en pensant y être tranquille. Sauf que c'est aussi là que vit Killer Croc. Il lui explique s'être retranché là car Peter Undine, un promoteur immobilier, financé par Lex Luthor a lancé la construction d'un complexe dans l'ancien quartier où il vivait.


Ivy passe un marché avec Croc : elle aura le droit de résider dans le Slaughter Swamp si elle fait fuir Undine et ses ouvriers. Mais une fois dans l'immeuble en chantier, elle découvre que le bâtiment présente des curiosités végétales au point qu'elle-même ne peut en sortir.


Qui a pu créer un endroit pareil ? Et comment ? Ivy mène l'enquête à ses risques et périls tandis que de leur côté, Janet collecte des renseignements sur Peter Undine, veillée par Harley Quinn dont elle se rapproche intimement...


L'affaire de l'immeuble (apparemment) réglé, Ivy découvre que les gens qu'elle a contaminés avec ses spores se mettent à peupler ses rêves. Elle se pose alors la question de savoir ce qu'ils deviennent une fois morts, transformés en véritables zombies végétaux.


Et pour éviter que Gotham ne soit bientôt envahie par ces zombies, elle doit trouver un moyen de produire en masse son antidote. Pour cela, elle se tourne vers un de ses ennemis jurés. Tout ça en souffrant de douleurs récurrentes et de plus en plus intenses aux côtes...
 

Sans faire de bruit, Poison Ivy est en train de devenir la meilleure série régulière de DC Comics. Ce troisième tome collecte les épisodes 13 à 18 et les deux numéros attachés à l'event Knights Terror (qui ont été publiés entre les #13 et 14 en Juillet-Août 2023), ce qui constitue un programme copieux. 

On entre donc dans la deuxième année de parution de la série. Un bel exploit pour ce qui ne devait initialement durer que six épisodes puis douze avant que DC ne donne le feu vert pour une publication illimitée. Bien évidemment, la première question qu'on se pose en ouvrant ce recueil, c'est : est-ce que G. Willow Wilson, la scénariste, a encore quelque chose d'intéressant à raconter ?

La réponse est : oui. Et ce qui est réjouissant, c'est qu'il ne s'agit pas de meubler ou de prolonger artificiellement une intrigue. Non, au contraire, elle développe ce qu'elle a posé dans les douze premiers épisodes et trouve des moyens toujours aussi singuliers de poursuivre l'aventure de Pamela Isley.

Dans la mesure où Poison Ivy n'a jamais eu de série régulière auparavant, Wilson n'a pas à composer avec une continuité établie par d'autres auteurs avant elle. Elle a certes hérité d'une "héroïne" qu'elle n'a pas créée et qui est apparu dans nombre de séries, souvent du côté des vilains. Mais elle a aussi contribué comme personne à changer notre regard sur Ivy en lui donnant un premier objectif terroriste puis en justifiant qu'elle se ravise.

Maintenant, le vrai challenge, pour Wilson comme pour Ivy, c'est d'exploiter ce retournement de situation, ce changement de paradigme. Il est assez facile de décrire comment un héros peut déraper du côté obscur, ça l'est beaucoup moins de raconter comment une vilaine s'attache à se racheter, particulièrement quand elle veut réparer ce qu'elle a commis. Et ici, l'enjeu est considérable puisque Poison Ivy a cherché à éliminer la race humaine au moyen de spores très agressifs qu'elle a ensuite fait circuler à travers tous les Etats-Unis.

A la fin du tome 2, on a vu qu'elle avait mis au point un antidote. Désormais, il lui faut le reproduire et de façon massive, mais aussi discrètement. Car Ivy est revenue à son point de départ, Gotham, et elle sait que ça n'est pas passé inaperçu. Batman et sa "famille" l'attendent au tournant. Dans un premier temps, donc, elle doit se trouver une planque, moins pour leur échapper que pour pouvoir travailler tranquille à son antidote. Cela la conduit au Slaughter Swamp.

En convoquant ce lieu, Wilson utilise une adresse chargée historiquement puisque c'est aussi là que réside désormais Killer Croc mais aussi, depuis toujours, Solomon Grundy. Elle va établir une relation complexe entre Croc et Ivy, basée sur la complicité que peuvent entretenir deux adversaires de Batman mais aussi liée à ce fameux antidote (Croc se révèle immunisé contre les spores et peut donc jouer un rôle déterminant dans les essais de Ivy pour les éliminer, mais la scénariste s'amuse sur une phobie, très drôle, de Croc). 

Comme Cliff Chiang dans son magnifique Catwoman : Lonely City, Wilson s'attache à ne pas représenter Croc comme un monstre, malgré son physique, mais comme un allié solide et intelligent. En revanche, quand Grundy apparaît, il est dans son état le plus inquiétant, répétant ses incantations fameuses ("Born on monday, Christend on Tuesday, Married on Wednesday, Took ill on Thursday, Grew worse on Friday, Died ont Saturday, Buried on Sunday", soit : "né un lundi / baptisé un mardi / marié un mercredi / malade un jeudi / agonisant un vendredi / mort un samedi / enterré un dimanche" d'après une comptine de 1842), difficile à raisonner, déchaînant sa violence à la moindre contrariété.

Pendant ce temps, Wilson ne perd pas de vue Janet Mitchell, qui a fait un bout de route avec Ivy dans les tomes précédents, et Harley Quinn. Elle choisit de rapprocher les deux amantes de Ivy, créant un triangle amoureux (mais sans que Ivy ne le sache) qu'il sera intéressant de surveiller dans le futur...

Elle imagine aussi un méchant redoutable dans l'arc sur l'immeuble promu par Peter Undine et là, la série retrouve ses accents horrifiques, très graphiques mais aussi dotés d'une étrange poésie. L'épisode avec "Chuck", une des victimes de Ivy, est une leçon de storytelling, montrant de façon subtile et cruelle les conséquences du plan initial de Pamela en même temps qu'elle prépare à une future menace d'ampleur pour Gotham. La fin du dernier épisode de ce volume voit aussi resurgir de façon particulièrement viscérale un vieil ennemi du passé de Ivy, qu'elle pensait avoir supprimé : là encore, la scénariste fait preuve d'une inventivité et d'une audace impressionnante, qui fait penser à ce que conçut Alan Moore quand il écrivit Swamp Thing (même si, évidemment, je ne comparerai pas les deux oeuvres).

Visuellement, ces six épisodes sont magnifiques. Marcio Takara est à l'oeuvre sur trois d'entre eux intégralement (du #14 au 16) et son travail est remarquable, à la fois élégant et horrifique. Pour cet artiste qui a trop longtemps été cantonné au rôle de doublure, de suppléant, la série est une consécration, d'autant qu'il a à ses côtés un coloriste de génie en la personne de Arif Prianto.

L'épisode qui ouvre l'album (le #13) voit se succéder quatre artistes dans des styles très divers : Takara d'abord, puis Guillem March (très bon), Kelley Jones (plutôt sobre, ce qui est un compliment de ma part car je ne suis vraiment pas fan de ce qu'il fait) et A.L. Kaplan (un peu en deçà mais efficace).

Quant aux deux derniers chapitres, ils sont illustrés par l'excellente Luana Vecchio, une artiste italienne très productive, qui est aussi scénariste de ses propres comics en indépendant (chez Image). Son trait fin et rond, très expressif, fait merveille dans les échanges entre les personnages mais claque aussi quand l'action prend le pas (avec pétage de gueule de zombies bien sanguinolent).
   
Bref, un troisième tome magistral, qui prouve que les auteurs de Poison Ivy en ont encore sous le pied. Vivement recommandé (à noter que ce tome 3 sortira fin Avril chez Urban Comics, deux mois avant le trade paperback américain).

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- Knights Terror : Poison Ivy #1-2 (G. Willow Wilson / Ataghun Ilhan) - Victime elle aussi du vilain Insominia et de sa gemme du cauchemar, Ivy est projeté dans un quartier pavillonnaire où elle vit avec Harley et a pour voisins Batman, Catwoman, le Pingouin. Seule Janet Mitchell a conscience que tout cela est un mauvais rêve mais on cherche à l'empêcher de prévenir Ivy...


Un rapide mot sur ces tie-in à l'event Knights Terror paru aux Etats-Unis durant l'été 2023. G. Willow Wilson a dû composer avec l'intrigue imaginée par Joshua Williamson en imaginant quel serait le cauchemar de Poison Ivy sous l'emprise d'Insomnia.

Elle en tire une histoire en deux parties qui voit Pamela Isley prisonnière d'un quartier suburbain dans lequel elle vit aux côtés de Harley Quinn mais aussi de Batman, Catwoman, le Pingouin. En vérité, la scénariste déplace le centre de cette histoire vers Janet Mitchell qui est la seule consciente qu'il s'agit d'un mauvais rêve et cherche donc à en alerter Ivy.

C'est prodigieusement laid visuellement et sans grand intérêt il faut bien le dire. Knights Terror échouait lamentablement à faire peur comme il l'ambitionnait et à mis au pas pratiquement toutes les séries DC pendant deux mois pour rien. Urban Comics a tenu à intégrer ces deux épisodes à l'album pour que les complétistes en profitent mais les fans de Poison Ivy auront surtout l'impression que ce sont deux chapitres surnuméraires, sans aucun impact sur la série.

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