jeudi 16 mai 2024

DOOM #1 (Jonathan Hickman / Sanford Greene)


Valeria Richards récupère son oncle, Dr. Fatalis, dans l'espace, quasiment mort après une bataille féroce qui l'a opposé à Galactus. Elle le remet sur pied en revenant sur les événements des deux dernières années durant lesquelles le dévoreur de mondes semble avoir perdu la raison.


Las d'attendre la fin de l'univers pour en voir naître un nouveau qui, peut-être, le libérerait de sa faim inextinguible, Galactus a détruit tous les mondes habités qui se trouvait sur sa route. Reed Richards a organisé une riposte sur Terre - sans succès. Puis les héros cosmiques ont résisté - en vain. Fatalis réussira-t-il là où tous ont échoué ?


C'est vraiment un curieux objet que ce one-shot, co-écrit par Jonathan Hickman et Sanford Greene, qui a également dessiné la cinquantaine de pages du récit. Cela aurait pu s'appelait "la dernière histoire de Dr. Fatalis", si John Byrne n'avait pas déjà tenté de raconter "la dernière histoire de Galactus" (projet hélas ! inachevé, paru à l'époque dans Epic Illustrated, il y a juste 40 ans).


Mais pour Hickman, Dr. Fatalis ou Dr. Doom en vo, c'est peut-être son personnage favori. Il l'a utilisé dans son run sur Fantastic Four et surtout placé au centre de son event Secret Wars de 2015, investi de pouvoirs divins. Le scénariste perçait alors magnifiquement la personnalité de ce vilain emblématique, némésis des FF, dictateur de la Latvérie, mais aussi oncle de Valeria Richards, la fille de son rival Reed Rchards et de Sue Storm.


On le sait, Hickman est à son aise avec ce genre de personnages, ambigu et puissant, trouble et charismatique, et le registre cosmique lui va comme un gant (en témoigne G.O.D.S. actuellement, qui rafraîchit le panthéon de l'univers Marvel). Et donc Doom fait directement écho à ce passage de Secret Wars de 1984 dans lequel Fatalis réussissait à absorber les pouvoirs du Beyonder, dominant Galactus et tous les super-héros et vilains, tout comme dans Secret Wars de 2015.


Ce maxi épisode est grandiose visuellement : on y dénombre quantité de pleines pages ébouriffantes qui traduisent parfaitement le souffle épique de l'histoire, avec une succession de moments se déroulant sur deux années via un flashback, au cours desquelles Galactus entreprend de détruire toute vie dans l'univers pour en accélérer la fin et la renaissance, sans doute dans l'espoir d'être lui-même reformé mais délivré de sa faim dévorante.

De Sanford Greene jusqu'à présent, je ne connaissais que son run sur Power Man & Iron Fist (écrit par David F. Walker en 2016) et Bitter Root (toujours avec D.F. Walker et aussi Chuck Brown, chez Image Comics à partir de 2018). Son style est très tonique et ses personnages ont des apparences semi-réalistes, avec une expressivité, des physionomies et une gestuelle disproportionnées. Tout ça convient très bien ici puisque le récit possède une extravagance, une outrance en adéquation avec son dessin. Tout est over the top, les destructions sont cataclysmiques, les forces en présence colossales, les combats too much. Et Greene s'est également investi dans la construction de l'écriture de l'épisode, fait assez rare pour un auteur comme Jonathan Hickman.

Mais justement où veut en venir ce Doom ? Visiblement, c'est hors continuité. Tout ce qui est raconté là n'a aucune incidence sur ce qui se joue(ra) dans l'univers Marvel des comics, ce n'est même pas le prologue d'un futur event, ou comme pourrait l'être les numéros Timeless que sort annuellement Marvel pour teaser ce qui va se passer dans ses séries les plus populaires. C'est pour cela que ça m'a d'abord fait penser à la collection The End/La Fin, ces mini séries où des auteurs s'amusaient à imaginer la dernière aventure des héros phares de la maison des idées.

Le souci, en quelque sorte, c'est que, sans trop spoiler, la fin reste ici très ouverte, Hickman laisse le lecteur sur une note qui ressemble davantage encore à ce que serait un épisode inachevé. Et là, donc, on rejoint beaucoup plus The Last Galactus Story de Byrne (même si Byrne avait ensuite publié sur son blog le synopsis intégral de sa mini-série et donc son dénouement). Mais on ne peut penser que Hickman a livré ce numéro sans avoir de fin à Marvel : l'éditeur passe tout au scénariste et donc ne l'aurait pas empêché de conclure.

Donc, pour résumer, ce n'est ni un tome façon The End/La Fin, ni une histoire inachevée. C'est un épisode sans dénouement. Ou plutôt un épisode dont le lecteur est libre d'imaginer l'issue. Un procédé qui peut être très frustrant ou très audacieux, voire les deux à la fois. Pour ma part, je ne sais pas quel sentiment l'emporte. J'ai été pris au dépourvu. Je n'attendais rien de spécial de tout ça mais j'ai été surpris, à la fois en bien (parce que ça se lit tout seul, c'est très spectaculaire) et en moins bien (parce que, à la dernière page, je me suis dit : "déjà ?").

Enfin, il faut préciser que si c'est consistant en soi, ce numéro comporte en plus de l'épisode proprement dit une bonne dizaine de pages de sketches par Sanford Greene, qui a pris soin de croquer tous les personnages figurant dans cette histoire, même quand ils ne font qu'une apparition, souvent noyés dans une multitude d'autres héros et vilains. Un travail incroyable, qui témoigne là encore de l'engagement de l'artiste dans ce projet hors normes.

Disons donc que Doom #1 (ce #1 signifie-t-il d'ailleurs que ce ne serait pas un one-shot, qu'il pourrait y avoir une suite ? J'en doute, mais sait-on jamais si les ventes sont au rendez-vous et que Hickman et Greene sont motivés) est une expérience. Et comme le mois prochain s'achève G.O.D.S., peut-être est-ce ce genre de projets dans lequel veut s'investir Hickman, des récits imprévisibles aux côtés d'artistes capables de soutenir ses idées toujours inattendues ?

BATMAN / DYLAN DOG #3 (Roberto Recchioni / Gigi Cavenago et Werther Dell'Edera)


Le Joker est rentré à Gotham en emmenant avec lui le tueur en série fraîchement ressuscité Christopher Killex. Les deux criminels ne s'entendent pas sur une collaboration et Killex abandonne le Joker pour se refaire la main dans les bas-fonds de la ville. Cependant Dylan Dog arrive à son tour à Gotham, reçu par le commissaire Jim Gordon.


Averti, Batman les rejoint chez le médecin-légiste qui procède à l'autopsie des premières victimes de Killex. Mais un détail cloche pour Dylan Dog : c'est comme si Killex repartait de zéro, revenu d'entre les morts il aurait oublié son "art". Auparavant Batman a capturé le Joker qu'il a reconduit à l'asile d'Arkham et qui demande à parler uniquement à Dylan Dog.


Mais le temps presse car Killex sème la mort. Et puis, une fois appréhendé, que faudra-t-il faire de lui, car Dylan Dog l'assure à Batman : l'asile d'Arkham ne suffira pas...


Cette mini-série s'achève de manière magistrale. Et en vérité on voudrait que ça ait duré plus longtemps. Ou mieux : que DC offre à Roberto Recchioni l'opportunité d'écrire de nouvelles aventures de Batman, avec ou sans Dylan Dog, tant l'auteur italien a maîtrisé son sujet.


Car, oui, c'est un comble, mais la meilleure histoire de Batman que j'ai lu depuis un bail vient d'être imaginée et rédigée par un italien. Non seulement Recchioni a réussi à combiner les univers de Dylan Dog et de Batman, à faire co-exister les deux héros de manière cohérente et divertissante, mais surtout il a prouvé qu'il avait mieux compris que beaucoup de scénaristes américains le dark knight en l'intégrant à une intrigue palpitante et originale.


Pour ce troisième et dernier acte, on retourne donc à Gotham où le Joker a entraîné le serial killer Christopher Killex, tout juste ressuscité, avec le projet d'en faire son partenaire pour créer le chaos dans Gotham. Sauf que le Joker a ignoré que Killex n'était pas un anarchiste : il est même tout le contraire, pour lui le meurtre est un art qui s'épanouit dans la discipline, l'ordre. La collaboration entre les deux meurtriers tourne donc court.

Mais ce n'est pas la seule chose qui cloche avec Killex et sur ce deuxième point, Recchioni fait la preuve de son génie narratif : en effet, comment revient à la vie un homme qui en a été privé et dont l'âme a séjourné en enfer ? Hé bien, il est à présent comme un individu ayant tout à réapprendre. Et dans le cas d'un tueur en série, cela suppose de réapprendre à tuer, à recouvrer ses moyens, à re-maîtriser son art.

Les victimes de Killex sont vite retrouvées et Batman et Dylan Dog doivent donc se presser de l'arrêter. Mais par où commencer ? Car Batman a beau être le plus grand détective du monde, il ne connait pas Killex. Quant à Dylan Dog, il est en territoire étranger à Gotham. Leur salut viendra donc... Du Joker. Recchionni s'inspire, là, du Silence des Agneaux, substituant le Joker à Hannibal Lecter et Killex à Buffalo Bill. Un tueur en série fournissant des indices pour coincer un autre tueur en série.

La dernière partie de l'épisode est sensationnelle, moins pour le dénouement proprement dit (on sait que Batman et Dylan Dog vont coincer Killex) que pour la résolution du problème que pose Killex. Un tel individu dans l'asile d'Arkham ou en prison ne solutionne rien. Le tuer est exclus (code moral des héros oblige). Alors comment Batman et Dylan Dog vont boucler le dossier... Je vous laisse le découvrir (le recueil en vo sortira en Juillet, et je pense quelques mois plus tard chez Urban Comics), mais Recchioni trouve une issue remarquablement intelligente, à la fois logique et inventive.

Visuellement, cette mini-série aura été un grand moment et Gigi Cavenago et Werther Dell'Edera ne faillissent pas pour ce dernier numéro. J'ai sélectionné pour illustrer cette critique majoritairement des splash pages car elles témoignent du brio des deux artistes pour composer des images fabuleusement concises et spectaculaires. Mais la narration graphique est magistrale de bout en bout.

Ce qui frappe là encore, c'est la facilité avec laquelle les dessinateurs se sont appropriés les personnages, les décors, et ont abouti à un mix parfaitement crédible, habile. Au début, on pouvait douter qu'associer Batman et son costume super-héroïque et Dylan Dog, détective en civil, puisse fonctionner. Plus de 200 pages après, non seulement, ça marche, mais surtout le contraste esthétique participe pleinement au charme unique de cette production. 

Encore une fois, les décors, les jeux d'ombres et de lumière, sont admirables, d'une technicité époustouflantes. Tous les italiens n'ont pas ce niveau de dessin, mais là, on est vraiment dans le haut du panier, sans parler du travail des coloristes (Giovanna Niro et Laura Ciondoloni).

Bref, il faudra surveiller l'album qui collectera ces trois maxi-épisodes car Batman / Dylan Dog figure déjà en bonne place parmi les meilleurs comics de 2024, et, à ce titre, doit figurer dans toute bonne bibliothèque.

mercredi 15 mai 2024

DES AGENTS TRES SPECIAUX - CODE : U.N.C.L.E. (Guy Ritchie, 2015)


1963. L'agent de la C.I.A Napoleon Solo est envoyé à Berlin Est pour exfiltrer Gaby Teller, fille du savant Udo Teller. La mission accomplie, son supérieur l'informe qu'il va devoir faire équipe avec l'agent du K.G.B. Illy Kuryakin afin de retrouver Udo Teller enlevé par Victoria et Alexander Vinciguerra pour qu'il mette au point une ogive nucléaire afin de la vendre au plus offrant.
 

Solo, Kuryakin et Gabu se rendent à Londres. Gaby fait passer Illy pour son fiancé auprès de son oncle Rudi, proche des Vinciguerra, tandis que Napoleon aborde Victoria en prétendant être un antiquaire susceptible de lui fournir des oeuvres d'art pour sa collection privée. La nuit venue, Solo et Kuryakin infiltrent un entrepôt où serait stocké de l'uranium pour l'ogive nucléaire mais celui-ci a été déplacé et ils sont surpris par les gardes du site.


Le lendemain, Gaby est invitée chez les Vinciguerra. Kuryakin la surveille de loin. Solo, lui, revoit Victoria qui l'a démasqué et le drogue puis le livre à Rudi Teller, qui a un passé de tortionnaire dans les camps de la mort. Gaby trahit les deux agents secrets afin de pouvoir revoir son père et Alexander la conduit sur l'île où il travaille. Kuryakin sauve Solo avant que Weaverly, officier du MI6, les aborde afin de poursuivre la mission sous ses ordres avec l'accord de leurs supérieurs respectifs...


Comme j'ai écrit sur The Ministry of Ungentlemanly Warfare en citant The Man from U.N.C.L.E. comme mon film favori jusque-là ce Guy Ritchie, je me suis dit : revoyons-le, pour savoir s'il est toujours aussi bon que dans mes souvenirs. 


Je ne vais pas faire durer le suspense : c'est un film qui vieillit bien. Comme beaucoup de projets similaires, cette adaptation de la série jouée par Robert Vaughn et David McCallum dans les années 60 a connu bien des péripéties avant de voir le jour. Il faut dire qu'il existe un précédent resté dans les mémoires et qui incite à le prudence chez les producteurs : je veux parler du film Chapeau Melon et Bottes de Cuir, un navet absolu doublé d'un bide noir.


Quentin Tarantino aurait exprimé le premier son désir de s'attaquer à Des Agents très Spéciaux, mais c'est une information à prendre avec des pincettes vu le nombre de projets qu'on a prêtés au cinéaste et sur lesquels il n'a dans les faits jamais travaillé réellement (un peu comme son film Star Trek qui relevait du fantasme ou de son envie relative à Casino Royale datant d'avant la relance de James Bond avec Daniel Craig).


C'est donc finalement Guy Ritchie et Lionel Wigram qui ont signé le script définitif. Ritchie était un fan de la série original mais désirait lui donner un peu plus de pep's tout en la situant dans le contexte originel de la guerre froide entre l'U.R.S.S. et les Etats-Unis : c'est ainsi qu'il a souligné la tension entre Napoleon Solo et Illy Kuryakin qui passent tout le film à se regarder en chien de faïence, forcés de collaborer mais prêts à tuer l'autre in fine.

L'autre ajout important consiste dans la caractérisation des deux agents : Solo a un passé de soldat et de trafiquant d'oeuvres d'art récupérées chez des nazis dans l'immédiat après deuxième guerre mondiale puis de monte-en-l'air recherché par plusieurs forces de police dans le monde. Une fois arrêté, il a accepté de rentrer au service de la CIA pour éviter une peine de prison. De son côté, Kuryakin est décrit comme le fils d'un dirigeant soviétique envoyé au goulag et formé pour devenir une véritable machine à tuer, animé par des pulsions psychotiques dès qu'on lui rappelle ce qu'il est advenu de son père ou qu'on se moque de son pays. Le flegme permanent de Solo fait face à l'impassibilité bouillonnante de Kuryakin, et en définitive, le film est une sorte d'origin story, une sorte d'épisode zéro king-size de la série télé.

L'intrigue tourne autour d'un riche couple d'anciens sympathisants nazis qui ont kidnappé un savant pour qu'il leur conçoive une ogive nucléaire. Quand Solo et Kuryakin sont obligés de coopérer, ils chaperonnent la fille d'Udo Teller, ce scientifique kidnappé, afin de saboter l'ogive et appréhender les Vinciguerra. 

Tout est donc fait, et bien fait surtout, pour que, malgré les péripéties multiples qui ponctuent le récit, on ne soit jamais perdu, noyé sous un flot d'informations concernant les protagonistes. C'est aussi ce qui fait la qualité de The Ministry of Ungentlemanly Warfare où, dans un contexte historique chargé, avec des personnages en nombre, on n'est jamais largué, mais emporté par l'action.

On se dit alors que Ritchie, cinéaste par ailleurs discret, qui ne se répand pas dans la presse en déclarations fracassantes sur ce que doit être le cinéma de divertissement (contrairement à Quentin Tarantino, Matthew Vaughn, etc.), ne mérite vraiment pas les échecs commerciaux qu'il subit. Ses films sont élégants (ici, toute la reconstitution pop des années 60 est un régal), efficaces, assumant leur côté populaire et rétro. Mais alors pourquoi le grand public les boude fréquemment ? Des Agents très spéciaux était visiblement fait pour devenir une franchise (le superbe générique de fin tease une mission à Istanbul) et tous les fans du film l'ont longtemps espéré, mais sans être un four (son budget a été amorti, mais le studio a vraisemblablement jugé que les recettes générées étaient décevantes) ça n'a pas suffi.

Il y a parfois des échecs injustes, et même incompréhensibles, pas forcément de gros flops, mais des films qui, inexplicablement, ont tout pour plaire et pourtant qui ne font pas salle comble. Ce fut le cas de The Nice Guys, actuellement de The Fall Guy, et donc Des Agents très spéciaux. C'est comme si, d'un côté, les spectateurs étaient nostalgiques de ce genre de divertissement et, en même temps, quand on le leur livre sur un plateau d'argent, hé bien, ils ne se déplacent pas...

Dommage vraiment. Mais souvent les DVD ou les plateformes de streaming sont là pour donner une seconde vie à ces longs métrages qui acquièrent alors un statut culte. Henry Cavill est extraordinaire en Napoleon Solo imperturbable et tombeur face à Alicia Vikander en fille de savant aussi doué que son père. Hugh Grant est excellent en officier suffisant. Elizabeth Debicki est impériale en femme fatale hyper classe. Le film rappelle aussi qui fut Armie Hammer, taillé pour devenir une star, surtout après Call me by your name, mais qui s'est retrouvé dans une affaire rocambolesque et sordide (un échange de textos où une femme l'accuse de penchants cannibales puis de viol, ce qui lui coûtera de nombreux rôles, un procès aboutissant à un non-lieu mais sa mise au ban par le tout Hollywood).

Il y a donc bien des raisons de regretter le sort réservé à ce bijou, brillamment écrit, réalisé et joué. Et autant de raisons de le (re)voir pour le réhabiliter.

mardi 14 mai 2024

THE MINISTRY OF UNGENTLEMANLY WARFARE (Guy Ritchie, 2024)

 

Fin 1941. Au plus fort de la seconde guerre mondiale, le Royaume-Uni refuse de capituler face aux assauts de l'Allemagne nazie dans sa conquête de l'Europe et malgré les bombardements réguliers de la Luftwaffe sur Londres. Le brigadier Colin Gubbins avec le soutien du premier ministre Winston Churchill met au point l'opération Postmaster, une mission de sabotage secrète et non officielle destinée à perturber le réapprovisionnement des sous-marins allemands au large de l'île Fernando Po contrôlée par l'ennemi. 



Deux agents du SOE (Secret Operations Executive), Marjorie Stewart et Ricardo Heron, partent en éclaireurs à Fernando Po tandis que Gus March-Phillips est contacté par Gubbins pour former un commando chargé de détruire La Duchessa, navire de ravitaillement italien et ses deux remorqueurs. Gus embarque à bord du chalutier La Demoiselle d'Honneur avec Anders Lassen, George Hayes, et Freddy Alvarez. Ils doivent organiser l'évasion de Geoffrey Appleyard, agent du renseignement capturé par les nazis et détenu dans les Canaries.


Pendant ce temps, Marjorie et Rocardo utilisent le club de ce dernier comme couverture pour enrôler des renforts locaux dont les trafics sont perturbés par l'occupant. Marjorie, elle, doit séduire le commandant SS Heinrich Luhr duquel elle apprend que la coque de La Duchessa a été récemment renforcée pour être insubmersible en vue de son départ trois jours plus tôt que prévu.


Prévenus par radio, Gus et sa bande n'ont d'autre choix pour gagner Fernando Po que d'emprunter que voie maritime de l'Afrique de l'Ouest où les navires britanniques et les sous-marins allemands croisent. Ce qui signifie, s'ils sont interceptés, soit la prison, soit la mort...


Projet longuement mûri par Guy Ritchie, The Ministry of Ungentlemanly Warfare est inspiré de faits réels. D'ailleurs, à la toute fin du film, on voit défiler les photos des protagonistes avec la mention des récompenses que leur ont valu leurs actes héroïques durant la guerre. Mais, disons-le, le génie du cinéaste est d'avoir su transcender cette page méconnue d'Histoire pour en faire un divertissement jubilatoire.


Je dois dire que la filmographie de Ritchie ne me passionne guère, mais il a quand même signé un de mes films préférés de ces dernières années, Des Agents très spéciaux - Code : U.N.C.L.E. (2015), adapté de la série culte des années 60, et le diptyque Sherlock Holmes. Cependant, si ses scénarios ne m'attirent guère généralement, je lui reconnais un vrai talent pour la mise en scène.


Malheureusement, malgré toutes ses qualités, The Ministry... a essuyé un échec cinglant au box office américain (le public des Etats-Unis boude souvent ces temps-ci ce genre de divertissements popcorn). C'est injuste et difficilement incompréhensible tant le résultat final a tout pour plaire. La faute à une bande-annonce mal fichue ?

Il ne faut pas surestimer l'impact d'un trailer, mais c'est quand même ce qui est censé attirer les foules dans les salles. Or, dans ce cas, qu'y voyait-on ? Un Henry Cavill barbu mitraillant des nazis en tirant la langue comme un cinglé, des explosions, un montage hyper haché, l'impression que tout ça était une grosse farce, une parodie de film de guerre.

Or The Ministry... est tellement meilleur que ça. Plus qu'un film de guerre, le projet ressemble à un western avec ses sept mercenaires (l'équipage de cinq hommes de Gus MarchèPhillips et le duo Marjorie Stewart - Ricardo Heron) qui doivent accomplir une mission qui a tout l'air d'être impossible, dans un décor exotique et embrassant les clichés du genre sans complexes mais avec une efficacité redoutable.

Evidemment, la traversée du chalutier dans un couloir maritime au large de l'Afrique de l'Ouest n'est pas forcément le morceau le plus palpitant (comme le fait remarquer un personnage à bord : "c'est un voilier, pas un hors-bord !"), mais Guy Ritchie a suffisamment de munitions pour que sa narration parallèle entre ce périple océanique en eaux troubles et les préparatifs de l'arrivée de ce commando à Fernando Po suffise à compenser ce qui, autrement, aurait été une progression laborieuse.

Les scènes d'action s'enchaînent sans non plus engloutir le propos. Ritchie et ses scénaristes prennent soin de bien contextualiser le récit et de rappeler à intervalles réguliers que Winston Churchill en approuvant cette initiative clandestine, menée par des hommes roués au combat mais indociles, risque sa place de premier ministre à cause de haut gradés militaires qui préféreraient capituler face aux nazis plutôt que laisser le Royaume-Uni sous les bombes. Aux côtés du brigadier Gubbins, on voit aussi un jeune fonctionnaire du nom de Ian Fleming qui s'inspirera ensuite de Gus March-Phillips pour caractériser James Bond.

Le dernier tiers du film est le plus spectaculaire, les rebondissements s'enchaînent, les difficultés augmentent, les héros doivent improviser. Guy Ritchie emballe ça avec une énergie communicative qui fait souhaiter au spectateur que le commando réussisse et que les nazis se fassent dézinguer (ce qui est toujours réjouissant). Et on se dit alors que The Ministry... réussit là où Argylle se vautrait lamentablement : ici, le film tient ses promesses, ne joue pas au plus malin avec celui qui le regarde, amuse et fait vibrer, fait sourire de manière complice.

Et de constater que le point commun entre Argylle et The Ministry..., c'est donc Henry Cavill : l'ex-Superman de Zack Snyder est excellent dans ce rôle de tête brûlé, moins grimaçant que dans la bande-annonce. A se demander ce qui retient les producteurs de James Bond de lui filer le matricule 007... A ses côtés, il y a l'impressionnant Alan Ritchson (vu dans les séries Titans et surtout Jack Reacher), colosse pince-sans-rire irrésistible. Eiza Gonzalez enfile les robes de la femme fatale avec un naturel affolant mais surtout avec une interprétation oscillant sans cesse entre premier et second degré très bien vue. L'ensemble de la distribution est parfait, avec mention à Cary Elwes (dans le costume de Gubbins) et Rory Kinnear (méconnaissable en Churchill) sans oublier Til Schweiger (en SS vraiment flippant).

Voilà un divertissement quatre étoiles, qui, je l'espère, sortira en salles en France (à ce jour, aucune date de sortie n'a été communiquée). Mais, même s'il est récupéré par une plateforme de streaming, il a tout ce qu'il faut pour cartonner.

lundi 13 mai 2024

DAREDEVIL & ELEKTRA, VOLUME 3 : THE RED FIST SAGA, PART 3 (Chip Zdarsky / Marco Checchetto et Rafael de Latorre)


Le poing a été brisé. Mais la Main a été défaite. Daredevil, sauvé de la destruction de l'île de Makanrushi par le Dr. Samson et Bullet, est à présent hébergé à New York par Cole North qui vient de présenter sa démission à la police. Elektra est en prison, Foggy et Stick sont morts, les super-vilains échappés du Myrmidon y sont à nouveau incarcérés. 


Secoué par North, Daredevil prend sur lui de réparer ce qu'il a provoqué. Pour cela, il le sait, il doit affronter les Stromwyn, qui ont financé la Main mais craignent désormais que les Avengers ne les dérangent. Daredevil offre donc d'être leur espion dans la communauté super-héroïque contre la libération de Elektra. Il obtient cela puis s'en prend à Quinn Stromwyn devant sa soeur Una afin qu'elle fasse aussi libérer les super-vilains.


Il ne reste plus à Daredevil qu'à réaliser la prophétie du grimoire du Poing en allant défier directement la Bête, ce monstre infernal que la Main vénère et dans l'enfer duquel se trouvent ses mis disparus. Quitte à ce que ce soit un voyage sans retour...


Les épisodes 11 à 14 de Daredevil & Elektra sont les derniers de cette série mais aussi les derniers écrits par Chip Zdarsky qui achève donc là un run long de quatre ans. Il est toujours périlleux de conclure son passage sur un titre, surtout après un bail aussi conséquent et des intrigues audacieuses. En même temps, comme j'ai déjà eu l'occasion de le signaler, il existe une curieuse tradition chez les auteurs de Daredevil...


... Qui consiste à quitter la série en laissant à son successeur une situation compliquée. C'est particulièrement vrai depuis une vingtaine d'années quand Brian Michael Bendis transmit le flambeau à Ed Brubaker après avoir jeté Daredevil en prison. Brubaker, à son tour, passa le relais à Andy Diggle avec DD à la tête de la Main. Puis Mark Waid dut gérer les conséquences de Shadowland après que Daredevil ait été possédé. 

Charles Soule dut trouver une astuce pour justifier que Daredevil ait à nouveau une double identité secrète. Et Chip Zdarsky récupéra le personnage après un accident qui failli lui coûter la vie. Je ne vais pas vous dévoiler comment Zdarsky abandonne DD à Saladin Ahmed car la série en vo n'a repris que depuis quelques mois et j'ignore à quand Panini la traduira (si elle sera traduite). Tout ce que je peux vous dire, c'est que cette reprise est absolument grotesque, d'une nullité crasse, et voit défiler un nombre absurde d'artistes moyens puisque Marvel avait misé sur Aaron Kuder, qui n'a jamais été capable d'enchaîner trois épisodes. C'est triste, mais je crois qu'on n'a pas vu l'homme sans peur entre de si mauvaises mains depuis un bail...

Revenons donc à la fin du run de Chip Zdarsky. Le tome précédent de Daredevil & Elektra s'achevait sur une note très noire et on pouvait légitimement se demander comment le scénariste allait rebondir. Mais ce dernier a de la ressource et surtout le souci de boucler ses intrigues, d'aller au bout de ses idées. Le Poing et la Main, c'est terminé. Elektra et les super-vilains recrutés pour cette guerre entre les deux sectes croupissent en prison. Cole North démissionne de la police. Foggy et Stick sont morts. 

Logiquement, Daredevil est brisé. Mais North l'oblige à réagir et à réparer. Les quatre épisodes à venir sont placés sous le signe de cette réparation, mais comme avec DD rien n'est simple, rien n'est paisible, il y aura des sacrifices, terribles. Pour résumer : le héros va comprendre que le Poing était un mensonge comme la Main, il n'a pas été inspiré par Dieu, il s'est trompé. Il doit expier cette faute et ramener littéralement les morts de l'enfer.

Cela va passer par un affrontement direct avec les Stromwyn, puis Elektra, avec le retour, bref mais décisif de Blindspot (une création de Charles Soule, qui prouve encore une fois à quel point Zdarsky aura été l'auteur qui aura eu le plus à coeur de réhabiliter le travail de son prédécesseur, mais aussi de synthétiser celui des scénaristes les plus marquants dans son propre panthéon, avec Kirsten McDuffie introduite par Mark Waid, Typhoid Mary par Ann Nocenti, Wilson Fisk tel que réinventé par Frank Miller).

C'est bien entendu délicat d'analyser ces épisodes sans spoiler. Mais disons que la réussite de Zdarsky repose sur le fait qu'il poursuit son récit dans la direction qu'il a souhaitée : quelque chose de baroque, de fou, de furieux, d'épique, de mystique. Par exemple, il est plus question de foi que de religion à proprement parler : son Daredevil est toujours ce catholique mu par le besoin d'expier ses fautes, d'éprouver ses échecs, d'être guidé par l'amour de Dieu. Mais alors qu'au tout début de son run, on voyait en flashback le jeune Matt Murdock fréquenter l'église, plein de colère contre ce Dieu qui lui avait ôté la vue, puis enlevé son père, à la fin de son parcours il n'a plus besoin de communiquer avec un intermédiaire du Seigneur : il est littéralement illuminé, agi par une force mystique, douloureuse, mais motrice.

En revenant sur ses pas, comme le montre une très belle scène dans l'épisode 11, on mesure avec lui les déceptions qui le hantent, les chagrins qui le déchirent. La géographie de New York, de Hell's Kitchen épouse sa propre géographie intime : il passe devant le magasin où il a tué Leo Carraro, la librairie tenue par Mindy Libris, son appartement (où il a vécu avec son père Jack, Karen Page, son père, Milla Donovan, Kirsten McDuffie, Foggy Nelson, son "frère" Mike, et bien sûr Elektra). Il va à nouveau quitter New York avec la certitude encore plus prononcée qu'il n'y reviendra pas car là où il va, on n'en revient normalement pas.

Tout cela trouve un écho dans le 14ème épisode où divers personnages se souviennent de Matt Murdock, croient le voir. Désormais c'est lui qui hante les autres. Un dialogue bref mais superbe entre Foggy et Reed Richards réfléchit sur l'impossible retour en même temps que la permanence de l'essence d'un individu. C'est sans doute un des dénouements les plus définitifs qui soit avec celui de la fin du run de Waid, de ceux où on imagine qu'il a pu traverser l'esprit de certains chez Marvel que DD cesse d'exister, ici avec quelqu'un qui reprend son pseudonyme et sa mission de protecteur de Hell's Kitchen.

Je ne dirai pas que cela me ravirait car je suis attaché au personnage de Matt Murdock. Mais j'ai vu au cours des dernières années des tentatives de remplacer l'alter ego d'un héros être réussies et aboutir à des réalisations presque aussi passionnantes que les personnages classiques (Bucky en Captain America, Jane Foster en Thor notamment). Je ne souhaite pas la mort de Matt Murdock, mais je serai pas affligé si, par exemple, Elektra devait rester Daredevil. D'ailleurs, Zdarsky le justifie via la voix off de Matt dans une scène magnifique : en endossant son rôle, Elektra s'est améliorée, s'est rachetée, elle est meilleure que lui à bien des égards.

Rafael de Latorre tire sa révérence sur le titre en dessinant l'épisode 11 : il s'en acquitte avec maîtrise. Visiblement pourtant, ça n'a pas suffi à convaincre Marvel de lui faire signer un contrat d'exclusivité (que l'éditeur offre à des artistes moins doués) puisqu'il a fait ses valises dans la foulée pour aller chez DC où il fait équipe avec Tom King sur la série Le Pingouin.

Puis Marco Checchetto enchaîne les trois derniers numéros. Comme il l'a dit lui-même, cette expérience sur Daredevil a été la plus aboutie de sa carrière. Il ne manque pas sa sortie, on le sent très motivé et inspiré et ses planches dégagent cette puissance qu'a le travail d'un dessinateur désireux de prouver qu'il laissera sa marque sur un titre. Le découpage est superbe, les compositions amples, généreuses, plusieurs scènes sont absolument à couper le souffle. Magistral. Ce qui manque à ce grand artiste ? La capacité à produire plus d'épisodes d'affilée : avec ça, il égalerait son compatriote Valerio Schiti.

J'ai relu ces épisodes avec plaisir, appréciant des éléments que je n'avais pas mesuré à leur juste valeur précédemment. J'ai essayé de les partager avec vous sans trop déflorer le contenu pour ceux qui n'aurait pas tout lu de ce run. Au plaisir.

dimanche 12 mai 2024

DAREDEVIL & ELEKTRA, VOLUME 2 : THE RED FIST SAGA, PART 2 (Chip Zdarsky / Marco Checchetto, Rafael de Latorre et Manuel Garcia)

 

Après avoir organisé l'évasion d'une quinzaine de super-vilains détenus dans la prison du Myrmidon, Daredevil et Elektra les entraînent sur l'île de Makanrushi avec le renfort de Stick mais aussi de Cole North, Foggy Nelson et quelques ninjas. Le Dr. Leonard Samson assure le suivi psychologique de ces recrues. Puis Elektra part pour Paris où se tient le G7 afin de se renseigner sur les chefs d'Etats à la solde de la Main.



A cette occasion, elle va se rendre compte que les actions menées avec Daredevil ont été remarqués par les Avengers mais surtout que le Président américain est corrompu. De son côté, Bullet, enrôlé par Daredevil, veut s'assurer que son fils Lance va bien avant de s'investir dans la guerre qui s'annonce. La Main le capture et l'asservit. La confrontation avec l'armée aux ordres du Punisher est aussi immenete qu'inévitable, même si les troupes du Poing sont loin d'être prêtes.


L'issue de cette bataille va avoir des conséquences terribles pour les deux camps tandis que les Avengers se préparent à intervenir pour stopper Daredevil...
 

Préparez-vous à un tour dans le grand huit de Chip Zdarsky. Je vous avais prévenus : la saga du Poing rouge, c'est quelque chose qu'on n'a pour ainsi dire jamais lu en suivant les aventures de Daredevil. En fait, sans être méchant, c'est ce qu'aurait pu (dû ?) être Shadowland, l'event d'Andy Diggle lorsque celui-ci écrivit la série après le run de Ed Brubaker et Michael Lark.


Revenons à cette époque : c'était en 2010. Un an auparavant, Andy Diggle prend le relais de Ed Brubaker sur Daredevil et, comme le veut une sorte de tradition sur ce titre, le dernier scénariste laisse le héros dans une situation impossible que son successeur devra résoudre (Brubaker avait ainsi hérité de DD quand Bendis l'avait envoyé en prison). Brubaker, lui, en a fait le leader de la Main qui a testé plusieurs candidats (Iron Fist, Tarantula, White Tiger, Wilson Fisk). Le héros se sacrifie et part au Japon avec l'intention de réformer l'organisation.


Sauf que, évidemment, rien ne va se passer comme prévu : Daredevil devient possédé, littéralement, et rentre à new York pour s'emparer de Hell's Kitchen puis de New York avec une armée de ninjas. Marvel voit le potentiel de la situation et donne son feu vert à Diggle pour en tirer un event, Shadowland. Plusieurs street-level heroes (Iron Fist, un noveau Power Man, Moon Knight, les filles du dragon, Spider-Man...) vont s'en mêler pour raisonner Daredevil et les Thunderbolts (alors menés par Luke Cage) y prendront également part.

Hélas ! le résultat est médiocre : c'est mal dessiné (par Billy Tan), l'intrigue est grotesque, le dénouement navrant (DD s'enfuit de New York, dévasté comme lui, pour échapper à une arrestation justifiée - Mark Waid y fera allusion au début de son run mais sans s'y attarder puisque chez Marvel, même quand les héros déconnent, ils échappent à leurs responsabilités.).

Zdarsky, ici, reprend un peu le même topo : Daredevil est désormais le leader du Poing, la tribu rivale de la Main. Il ne repart cependant pas faire le zouave à New York mais ses agissements vont alerter les Avengers et Spider-Man qui décident de le stopper. Avant cela, on aura droit à un combat véritablement dingue entre l'armée du Poing et celle de la Main.

Le scénariste, on le voit bien, a construit The Red Fist Saga en trois actes : le premier, c'est le départ à la guerre, l'embarquement, le recrutement de l'armée ; le deuxième (dans les cinq épisodes de ce tome 2), c'est guerre et châtiment ; et le troisième... Hé bien, pour le troisième, vous le saurez avec la critique que je publierai. Mais il y a clairement trois étapes, trois paliers, avec un crescendo et un diminuendo, quasiment musicaux, où on suit d'abord Daredevil et Elektra, puis DD et Elektra et leurs soldats, puis DD tout seul.

Cela a donc le mérite de la clarté, ce qui n'enlève rien au spectacle, à son intensité, à sa folie. Ce qui surprend en fait, c'est que Zdarsky passe d'un Daredevil qu'on connaît tout, le justicier urbain de Hell's Kitchen, qui s'occupe des problèmes de son quartier, à un Daredevil lancée dans une mission presque mystique pour sauver le monde. Cette différence d'échelle étonne, désarçonne même parce qu'on n'a pas l'habitude de le voir s'engager à ce niveau. Mais en même temps, c'est justifié par ce qui a précédé : Zdarsky a emmené DD au bord du précipice, son alter ego est mort aux yeux du monde, Elektra l'a convaincu. Le conflit dans lequel il s'investit est terminal et il ne peut qu'être réglé de manière globale, définitive. Ce n'est plus le Caïd, Bullseye, c'est la Main qu'il faut éliminer.

Pour autant, Zdarsky n'esquive pas des questions qui fâchent : par exemple, via la relation complexe qui s'établit entre Bullet et Daredevil, quand le premier fait remarquer au second les limites de son initiative. Il a rassemblé des super-vilains en leur racontant que l'île où il les emmenait était le lieu de la seconde chance. Mais ce n'est qu'à moitié vrai : cette île reste une prison, sans barreaux, mais sans plus d'avenir pour les fugitifs qui savent très bien qu'ils ne pourront pas se réintégrer à la société puisqu'ils sont toujours recherchés et que le traitement du Dr. Samson n'a rien d'un remède contre leurs démons. Daredevil n'est pas le sauveur qu'il prétend, c'est un gardien, et surtout il a obtenu que ces vilains le suivent en échange de leur effort de guerre contre la Main, un effort qui pourrait leur coûter la vie.

Encore plus terrible est le duel entre Daredevil et le Punisher : ces deux-là se sont souvent affrontés, mais cette fois, ils sont tous deux à la tête d'une véritable secte armée, qui en fait des possédés, des illuminés. Frank Castle et Matt Murdock sont tous deux tombés dans l'abîme, ils sont devenus fous, tyranniques, la mort les attend. Dans le cas du Punisher, quand intervient la bataille entre le Poing et la Main, Marvel a confié le destin du anti-héros à Jason Aaron, Jesus Saiz et Paul Azaceta à la suite de nombreuses polémiques qui ont fait du personnage un vrai boulet pour l'éditeur parce que des militants de l'extrême-droite américaine arborent son emblème, ce qui est évidemment très embarrassant.

Aaron décide d'assumer franchement cette partie du Punisher en en faisant donc le chef de la Main pour une saga qui veut à la fois prouver qu'il y a encore de la place pour Frank Castle dans l'univers Marvel mais aussi pour s'assurer que l'éditeur le traite sans complaisance. Aaron finira son histoire d'une manière à la fois habile et un peu lâche, se débarrassant de Castle mais pas du Punisher (dont le nom et le mission seront confiés à un autre personnage).

Pour l'heure, dans les pages de Daredevil & Elektra, ce climax se situe à l'épisode 8 qui, comme les 7 et 10, est dessiné par Marco Checchetto. L'artiste se donne à fond pour produire des pages mémorables et le lecteur se régale. C'est vraiment épique, il y a même un dragon ! Vous ne verrez jamais plus l'Homme aux échasses de la même façon après cette bataille aussi. Les adversaires se rendent coup pour coup avec une brutalité à l'honnêteté étonnante. Et on se dit que si Marvel avait un Black Label comme DC, Daredevil & Elektra y aurait eu naturellement sa place.

Checchetto se montre aussi inspiré dans le dernier épisode de l'album où apparaissent Spider-Man et les Avengers. Je ne veux pas trop en dire, mais le dessinateur suit le script, exemplaire, de son scénariste avec une énergie peu commune. Il y a dans ces pages un souffle dramatique ébouriffant.

Rafael de Latorre assure les dessins sur les n° 6 et 7 : c'est évidemment moins flamboyant que Checchetto et parfois on voit bien qu'il a encore des progrès à faire pour découper plus efficacement une scène ici, une autre là. C'est notamment flagrant lors de l'escapade parisienne de Elektra quand elle doit composer avec l'intervention de Iron Man : un passage qui aurait pu être tellement plus puissant mais qui manque de plans mieux composés, d'un découpage moins sommaire. Toutefois, De Latorre a du potentiel. C'est juste que, là, Checchetto se taille la part du lion et écrase tout.

Manuel Garcia est appelé en renfort pour dessiner l'épisode 9, le calme après la tempête, mais aussi un lot de scènes-choc, notamment pour Foggy et Stick, qui annonce la débâcle à venir. Garcia a ce drôle de style où il est capable d'images saisissantes et d'autres où il semble avoir dessiné ça par-dessus la jambe, sans se forcer. C'est donc inégal, mais c'est la seule fois que ça se produira dans toute cette saga.

On peut légitimement se demander comment Zdarsky et compagnie vont rebondir après ce qui semble être le point culminant de cette histoire. Pourtant, croyez-moi quand je vous dis qu'ils en ont encore sous le pied et que le troisième et dernier tome, les quatre derniers épisodes, sont au moins aussi bien. A suivre donc...

THE ONE HAND #4 (Ram V / Lawrence Campbell) - Avec The Six Fingers, 2 comics qui n'en font q'un


Jamais Ari Nassar et Johannes Vale n'ont été aussi proches. Mais le second vient d'assassiner sauvagement Oddell Watts et le premier est accusé du meurtre. Obligé de se cacher, Nasar est déterminé à laver son nom en même temps qu'à arrêter Vale...


Le mois prochain, c'en sera fini de The One Hand comme de The Six Fingers, et on peut s'attendre à un double dénouement vertigineux comme ces deux séries l'auront été. Ram V a complètement renversé la table dans ce pénultième épisode puisque son héros, le flic Ari Nassar, devient un fugitif recherché et qui est soupçonné d'être le tueur en série qu'il a toujours traqué.


Ce twist, cruel, est une convention de la série noire, celle de la figure du faux coupable, de l'innocent accusé à tort. A moins que le scénariste (et son collègue Dan Watters) ne nous réserve encore une ultime surprise. Et si, après tout, le policier était réellement un tueur en série, atteint d'une sorte de trouble dissociatif de la personnalité ?
 

C'est une hypothèse crédible tant The One Hand (et The Six Fingers) interroge la notion d'identité. Cela fait penser à la série télé The Mentalist sur laquelle certains fans avaient théorisé que Patrick Jane était John Le Rouge, l'assassin de sa femme - théorie  on retenue par les scénaristes, c'est bien dommage car cela aurait donné une autre dimension à cette production.


En revanche, il me paraît censé de penser que Ram V a dû lire Paul Auster car ses réflexions sur le langage s'en inspirent ouvertement. Dans une scène au coeur de cet épisode, Nassar retrouve Elizabeth, l'androïde qui fut autrefois Nemone la cyber-prostituée qu'il fréquentait et qui a été reconditionnée.

D'abord, vous remarquerez que Nemone est un palindrome, un mot qu'on peut lire dans les deux sens (comme Laval). Or cette symétrie est centrale dans l'intrigue des deux séries : le flic, le tueur, l'humain, l'androïde. Et il y a cette formule employée par Elizabeth quand elle évoque un langage qu'on reconnaît mais qu'on ne comprend pas, référence explicite aux glyphes tracés par le tueur et aujourd'hui repris par Johannes Vale qui, justement, identifie ces signes comme un langage familier mais qu'il cherche à décrypter.

Johannes Vale est un étudiant archéologue, souvenez-vous, c'est-à-dire qu'il se destine à étudier les civilisations préhistoriques avant l'apparition de l'écriture, d'où son intérêt obsessionnel pour les glyphes du tueur. Ari Nassar est un inspecteur de police, qui lui investigue sur les criminels, c'est lui aussi une sorte d'archéologue donc qui cherche dans les indices laissés sur une scène de crime ce qui le ménera au criminel, et il a un comportement aussi obsessionnel que Vale.

Si on creuse encore un peu profond et qu'on se penche sur Nemone/Elizabeth, on se rend compte qu'elle a commencé à mal fonctionner quand elle a aussi été obsédé par des événements inquiétants, comme les crashs d'avion qu'elle pensait provoqués, comme l'imaginerait un complotiste. Comme elle était un modèle ancien, dépassé, elle a dû être recyclée, reconditionnée, car elle ne pouvait plus être réparée. Elle a changé d'identité, de fonction, tout en semblant conserver des souvenirs fragmentaires de son ancienne existence. Et cela aussi semble l'obséder, comme quand elle reconnaît à demi-mots son attachement à Nassar mais aussi son attirance pour Vale qu'elle n'a pourtant jamais vu mais vers lequel une force étrange la guide.

Ces trois personnages convergent inéluctablement les uns vers les autres. Mac, le collègue et ami de Nassar, lui apprend qu'au moment du meurtre de Watts, les caméras de surveillance de l'hôpital situées à proximité de la scène ont cessé providentiellement de fonctionner. Mais ce n'est pas tout : ensuite d'autres caméras dans des rues et quartiers alentours ont cessé d'enregistrer et cela forme un itinéraire qui conduit chez... Johannes Vale (même si quand Nassar s'y rend, il ne l'y trouve pas : c'est Ada, la galériste qui y est et qui va fournir au détective une dernière piste évidente).

Ce fascinant jeu de pistes est superbement mis en images par Lawrence Campbell dont les à-plats noirs mangent d'importantes portions de chaque plan, comme si les ténèbres engloutissaient toujours davantage Ari Nassar. La seule scène vraiment éclairée, lumineuse, est, ce n'est pas un hasard, celle où Nassar dialogue avec Elizabeth/ Nemone, à la table d'un café sur une terrasse ensoleillée. Lumière est faite sur une partie importante, cruciale du mystère alors.

Dans ce ténèbres angoissantes, oppressantes, ce qui n'est pas englouti revêt alors un rôle déterminant : ce sont les verres des lunettes de Nassar (donc ses yeux, donc ce qu'il voit, ce qui va le guider), l'éclat métallique d'un pistolet automatique, le raie de lumière par une porte ouverte d'un appartement plongé dans le noir, le feu d'un brasero, l'écran d'un ordinateur. Les seules manifestations lumineuses dans ce monde nocturne.

On ne peut toujours pas anticiper l'issue de cette histoire à double fond mais c'est ce qui la rend encore plus excitante. Et qui en fera un des projets phares de 2024.

samedi 11 mai 2024

DAREDEVIL & ELEKTRA , VOLUME 1: THE RED FIST SAGA, PART 1 (Chip Zdarsky / Marco Checchetto & Rafael de Latorre)

Attention ! Ce qui suit contient des spoilers concernant Devil's Reign.


Matt Murdock est mort - ou du moins c'est ce que lui veut faire croire. Seuls quelques amis de Daredevil sont dans la confidence que c'est en vérité Mike Murdock qui a été tué par Wilson Fisk (introuvable depuis) et enterré. Daredevil veut profiter de cette situation pour quitter New York sans qu'on s'inquiété de la disparition de son alter ego.


Elektra de son côté a rejoint Stick à Makanrushi, une île située au large du Japon et de la Russie (qui prétend qu'elle lui appartient). C'est là qu'ils veulent établir une base pour préparer la guerre qui va opposer le Poing à la Main pour le sort du monde. A New York, pendant ce temps-là, Daredevil s'apprête à faire ses adieux à Kirsten McDuffie lorsque surgit sur sa route Robert "Goldy" Goldman...


Goldy a étudié le Droit avec Murdock et Foggy Nelson et il est investi de pouvoirs quasi-divins dont il aurait usé pour manipuler Matt toute sa vie afin d'en faire le héros qu'il est devenu et celui qu'il doit se préparer à être. Après l'avoir éprouvé mentalement en lui faisant croire à la mort de Kirsten McDuffie, il se rend finalement à la police.


Avant de rejoindre Elektra et Stick, Daredevil croise Aka, qui a été formée aux côtés d'Elektra au sein de la Main et qui lui révèle qui en est désormais le chef : Frank Castle/ le Punisher ! Face à cet ennemi redoutable, Daredevil et Elektra doivent traverser un rite de passage destiné à les unir puis recruter des soldats...


Quand Chip Zdarsky se lance dans Daredevil & Elektra, il a déjà écrit 45 épisodes en comptant son run sur Daredevil, l'event Devil's Reign et les 3 épisodes de la mini-série Elektra : Woman without Fear (publiée en même temps que Devil's Reign). Il aurait pu en rester là, sauf qu'il avait encore une histoire en réserve, dont il avait semé les graines auparavant.


En effet, dans son run sur DD, à quelques reprises, discrètement, est évoqué le Poing, une organisation rivale de la Main mais vaincue par cette dernière. Or, selon Elektra, la Main s'apprête, avec l'appui d'alliés puissants, à prendre le contrôle des grandes puissances gouvernementales dans le monde. Elle cherche donc à convaincre Daredevil de s'engager dans une guerre en ressuscitant le Poing.

Sauf qu'au moment où elle s'y prend, Daredevil est au plus mal : il s'est livré aux autorités et est incarcéré en attendant son procès pour le meurtre de Leo Carraro. De plus, il pense que Elektra le manipule et il lui fait d'autant moins confiance qu'elle est un assassin professionnel quand lui-même cherche à expier un crime qu'il a commis. Puis pris dans la tourmente de Devil's Reign, le sujet n'est plus à l'ordre du jour, même si, entre temps, Elektra lui a prouvé qu'elle méritait une seconde chance en ayant endossé le costume, le nom et la mission de Daredevil en protégeant Hell's Kitchen en l'absence de Murdock.

On en arrive donc à Daredevil & Elektra, sorte de deuxième run, ou deuxième acte du run de Zdarsky. A l'issue de Devil's Reign, tout le monde croit Matt Murdock mort, tué par Wilson Fisk - en vérité, ce dernier a tué Mike Murdock, le "jumeau" de Matt. Pour Daredevil, c'est un "fresh start" providentiel : i va quitter New York après avoir accepté de relancer le Poing aux côtés de Elektra contre la Main.

Zdarsky commence par deux épisodes déroutants où Daredevil croise Robert "Godly" Goldman, assistant du procureur, qui s'était chargé de sa mise en accusation dans l'affaire Leo Carraro. Mais les deux hommes se connaissent depuis longtemps puisqu'ils ont étudié le Droit ensemble, aux côtés de Foggy Nelson, à l'époque où Matt Murdock n'était pas encore Daredevil et qu'il sortait avec Elektra Natchios, avant la mort du père de celle-ci.

Goldman est investi de pouvoirs quasi-divins, il connaît la double identité de Daredevil et surtout il prétend avoir manipulé les événements qui en ont fait le héros qu'il est et celui qu'il doit devenir. Pour le prouver, il l'éprouve avec la mort supposée de Kirsten McDuffie puis se rend à la police. Zdarsky va ressortir Goldy plus tard en entretenant le doute sur ce qu'il raconte, face à un Daredevil qui ne sait plus quoi en penser. C'est perturbant, surtout pour un héros comme lui qui, fervent catholique, s'est toujours considéré comme l'instrument de Dieu. Et pour le lecteur aussi qui se demande franchement si c'est du lard ou du cochon.

Puis le récit emprunte l'itinéraire qui va être celui des épisodes suivants jusqu'à la fin de La Saga du Poing Rouge. Et là Zdarsky tente quelque chose de très original et très baroque à la fois, certainement une des histoires les plus bizarres depuis celle écrite par Ann Nocenti et mise en images par John Romita Jr quand Daredevil, après l'event Inferno, quitte New York, parcourt l'Amérique profonde, fait équipe avec Karnak et Gorgone des Inhumains jusqu'à descendre littéralement en Enfer.

Si vous n'avez pas aimé ceci, alors autant vous prévenir tout de suite, The Red Fist Saga risque de vous laisser complètement perplexe. C'est peut-être encore plus barjo et épique. Mais, pour moi, c'est ce que Zdarsky a fait de mieux avec Daredevil. Non pas que ce qui a précédé soit mauvais : il y a eu des passages formidables, et d'autres franchement médiocres (en fait tout ce qui a conclu le premier acte, avec Bullseye). Mais là, il se lâche, il lâche les chevaux : le succès de ses précédents épisodes lui a valu des critiques dithyrambiques, de très bonnes ventes, Devil's Reign a été une agréable surprise pour un event, donc Marvel lui a laissé carte blanche. Et il la joue à fond.

En vérité, c'est souvent quand Daredevil (la série comme le personnage) sort des sentiers battus, par la volonté de ses auteurs, que c'est pour le meilleur. Et là, on est servi : c'est mystique, déjanté, épique, spectaculaire, imprévisible, et pas consensuel pour un sou. Mais si j'ai adoré, je comprends aussi que d'autres aient détesté ou n'aient pas compris. Il faut être prêt, ouvert. Dès le début.

Ces cinq premiers épisodes regorgent de moments incroyables, dès les premières pages dont une, découpée en un "gaufrier" de neuf cases, avec seulement la tête de DD, barbu, dans la pénombre, qui est une sorte de teaser pour tout ce qui va suivre. Le deuxième numéro correspond au 650ème épisode de la série, tous volumes confondus, et comme le premier, il a une pagination plus fournie mais aussi des guests au dessin - et du beau monde : Alex Maleev, Paul Azaceta, Chris Samnee (pour le meilleur. Pour le pire : John Romita Jr., Klaus Janson, Phil Noto et Mike Hawthorne...).

Marco Checchetto dessine l'intégralité du premier épisode et les scènes au présent du deuxième, puis revient pour le n°5. Ses planches sont magnifiques, d'une intensité et d'une énergie folles. Qui plus, après avoir épuisé plusieurs coloristes (Sunny Gho, Nolan Woodward, Marco Meniz...), cette fois il peut compter sur l'épatant Matthew Wilson pour valoriser son trait avec des nuances sublimes. Il signe de scènes mémorables, notamment celles dans la prison du Myrmidon ou le face-à-face entre DD et Godly.

Rafael de Latorre dessine les épisodes 3 et 4 et les flashbacks de l'épisode 2 plus l'épilogue du 1. Je ne connaissais pas cet artiste avant, mais il s'impose avec une autorité impressionnante. C'est le meilleur remplaçant qu'ait eu Checchetto, avec lequel il partage une certaine rudesse, un côté anguleux dans le trait, même s'il est moins détaillé au niveau des décors. Mais avec ces deux dessinateurs à la barre, le résultat est vraiment balèze.

C'est donc un démarrage en boulet de canon pour une saga très atypique et déconcertante, mais stimulante et dynamique. A suivre donc...