jeudi 11 juillet 2024

NOCTURNAL ANIMALS (Tom Ford, 2016)


Susan Morrow tient une galerie d'art contemporain à Los Angeles. Après le vernissage de sa nouvelle exposition, elle rentre dans sa luxueuse villa où elle ouvre un courrier contenant le manuscrit que vient de lui envoyer son ex-mari, Edward Sheffield : une histoire intitulée Nocturnal Animals, en référence au surnom qu'il lui donnait, et qui lui est dédiée.  Son époux, Hutton absent pour voyage d'affaires à New York, et ne trouvant pas le sommeil, elle en commence la lecture.


L'histoire raconte comment Tony Hastings, parti avec sa femme Laura et leur fille India dans un coin perdu du Texas pour le week-end, a un accident avec une voiture à l'intérieur de laquelle se trouvent trois hommes - Ray, Turk et Lou. Forcé de s'arrêter car il a un pneu crevé, Tony assiste à l'enlèvement de sa femme et sa fille par Ray et Turk tandis que Lou l'oblige à prendre le volant de leur véhicule et à rouler dans le désert où il l'abandonne. A l'aube, Tony trouve enfin une maison habitée d'où il téléphone à la police.


L'inspecteur Roberto Andes est chargé de l'affaire et ils retournent sur les lieux. Ils découvrent rapidement dans une cabane les corps sans vie de Laura et India, dont l'autopsie révèle qu'elles ont été violées. Rongé par la culpabilité, Tony rentre chez lui. Mais un an plus tard, il reçoit un appel de Andes qui l'informe de l'arrestation de Lou et de la mort de Turk. Il repart au Texas identifier formellement Lou. Puis il accompagne Andes pour arrêter Ray. Mais celui-ci est relâché, faute de preuves. Andes explique à Tony qu'il est atteint d'un cancer en phase terminale et il lui demande s'il est prêt à tout pour obtenir réparation...
 

Tom Ford, avant d'être un cinéaste, est un créateur de monde. Il a travaillé pour la maison Gucci où il a popularisé le style porno chic, avant d'être nommé directeur artistique de la marque Yves Saint-Laurent de 1999 à 2005. En 2002, il joue son propre rôle dans la comédie Zoolander puis en 2006, il exauce son rêve en passant derrière la caméra et signer A Single Man.


La critique lui réserve un bon accueil, mais accaparé par le lancement de sa propre ligne de vêtements et faisant face à des commentaires virulents sur son manque de renouvellement, il met sept ans avant de mettre en scène son second (et dernier à ce jour) long métrage : Nocturnal Animals. Il le présente à la Mostra de Venise et reçoit le Grand Prix du Jury.


La première fois que je l'avais vu, j'avais été impressionné. Le film a -t-il bien vieilli ? Oui et non. Car en vérité, cette adaptation du roman Tony and Susan de Austin Wright a les défauts de ses qualités : c'est une oeuvre très formelle, visuellement superbe, très maîtrisée, mais dont une partie est nettement plus réussie que l'autre, au point qu'on peut se demander si Ford n'aurait pas dû s'en tenir à un film peut-être plus modeste, plus court aussi, et qui aurait été plus puissant.


Je vais être plus clair : comme l'indique le résumé plus haut, toute la narration est une mise en abyme. Susan lit le manuscrit de son ancien mari et la noirceur du récit la happe, la sidère, la renvoie à leur vie conjugale, tout en étant une fiction. Mais comme disait le romancier et scénariste Pascal Jardin, souvent un bon roman, c'est "dire la vérité et changer les noms".

Autrefois donc, Andrew Sheffield et Susan Borrow ont été heureux, même si leur mariage était désapprouvé par les parents de cette dernière, des conservateurs racistes, sexistes, hautains, qui jugeaient le prétendant trop "faible". La mère de Susan l'avait prévenue : un jour, leur couple se disloquerait parce qu'elle se rendrait compte de son erreur, parce qu'elle est pragmatique et lui romantique, et il ne supporterait pas cela.

Susan n'a pas cru sa mère et pourtant c'est ce qui s'est passé. Les premiers essais romanesques d'Andrew lui ont déplu et cela a rejailli sur leur amour. Elle a fini par le tromper avec un autre homme puis le quitter en commettant un geste impardonnable (avorter en cachette de leur enfant à naître). Dans le roman qu'il a écrit, Edward prend clairement sa revanche (sa femme et leur fille sont violées et tuées) tout sollicitant l'avis de Susan, qui, cette fois, est vraiment impressionnée (autant par le style que par l'intensité du récit).

Mais, en fin de compte, si dans la fiction, Edward/Tony traverse un vrai calvaire, dans la réalité c'est Susan qui voit sa vie partir en morceaux, comme si la fiction agissait tel un révélateur : son deuxième mari la trompe, il est souvent absent, sa galerie d'art contemporain lui rappelle son propre échec en tant qu'artiste (alors que Edward est devenu un écrivain accompli), incapable d'affronter ses démons pour créer.

Le problème, donc, c'est que le film boîte, il est bancal. Toute la partie fiction, roman, est extraordinaire : Tom Ford réussit à mettre en scène un vrai film noir, avec des personnages qui sont des doubles durement éprouvés, cherchant réparation et se perdant dans un projet de vengeance. Si Noctural Animals s'était contenté de raconter cette histoire, on n'aurait pas été loin d'un petit chef d'oeuvre.

Par contre, toute la partie "réelle", avec Susan, au passé et surtout au présent, est lourdement stylisée, aussi vulgairement fardée que l'héroïne, devenue une caricature de bourgeoise comme celles qu'habillait Tom Ford. La majeure partie des scènes consiste à filmer Susan dans son lit, visiblement sidérée par sa lecture, hantée par ce qu'elle a vécu. Au début, on se prend à croire (à espérer !) qu'il lui soit arrivé avec Tony une mésaventure aussi traumatisante que celle de Laura Hastings. Mais en fait, son histoire est banale, cliché. Elle ne suscite aucune empathie de la part du spectateur.

C'est très dommage aussi pour Amy Adams, sensationnelle comédienne par ailleurs, réduite ici à jouer des scènes accablantes de platitude entre romance passée et névrose au présent, dans des décors désincarnés jusqu'à la caricature. On ne comprend pas bien pourquoi non plus Ford ne lui fait pas jouer les rôle de Laura Hastings car ça aurait généré un trouble plus profond que d'attribuer cette partition à Isla Fisher, dont le talent n'est pas en cause et qui ressemble par ailleurs étonnamment à Adams.

C'est d'autant plus incompréhensible que Jack Gyllenhaal, lui, interprète Edward et Tony, l'auteur et son double, et il est ici à son meilleur, bien dirigé (ce qui est nécessaire quand on connaît sa réputation d'acteur ingérable). Michael Shannon compose un flic mourant en surjouant mais avec quand même un charisme fou. Aaron Taylor-Johnson est également époustouflant en vraie crevure. Armie Hammer hérite d'un rôle à peine écrit (ou alors sévèrement tronqué au montage), à tel point que s'il n'était pas là, ce serait pareil.

Nocturnal Animals n'est pas du tout un mauvais film. Plutôt un objet qui aurait gagné à être plus concis, ramassé, et sélectif. En l'état, c'est au 3/4 excellent, et le 1/4 restant est inutilement chichiteux. Mais si Tom Ford repasse un jour derrière la caméra, ce sera intéressant d'observer ce qu'il proposera.

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