mardi 30 juillet 2024

NOVEMBER, TOME 1 : LA FILLE SUR LE TOIT (Matt Fraction / Elsa Charretier)



Dee est une junkie handicapée qui adore les mots croisés. Alors qu'elle tente de résoudre une grille dans un bar, elle est abordée par un homme qui se présente comme étant M. Mann. Il lui propose 500 $ par jour si elle résout une grille dans le journal qui dissimule un code et qu'elle transmet ensuite par radio dans une cabane équipée sur le toit de son immeuble.


Ailleurs en ville, Emma Rose rentre de faire ses courses. Son sac de provisions se déchire et elle ramasse ce qu'elle a acheté lorsque quelque chose attire son attention dans la ruelle voisine. Elle s'approche et voit un revolver dans une flaque d'eau. Affolée, elle appelle la police pour le signaler. Très vite, trois flics arrivent sur place et l'assomment puis la kidnappent. L'un d'eux récupère son arme de service...


Kowalski est une femme noire qui tient le standard dans un poste de police. Elle doit composer avec un agent en uniforme qui, de mauvaise humeur, s'en prend à elle verbalement. Soudain, une alerte retentit, des explosions ont eu lieu en ville, tous les agents en service sont mobilisés et Kowalski doit assurer leur liaison radio. Lorsque la situation revient au calme, elle prend l'appel d'une jeune femme qui a trouvé une arme dans une ruelle...


Comme l'a expliqué le scénariste Matt Fraction, le conception de November a été longue et compliquée, justement à cause de sa pagination. Au départ, il envisageait de la publier chez Image Comics comme un mensuel avec des chapitres un peu plus longs que d'habitude. Mais en rédigeant un premier jet du script, il a vu que ça ne fonctionnait pas.


Grâce au soutien du rédacteur en chef Eric Stephenson et aux succès rencontrés par les graphic novels de Ed Brubaker et Sean Phillips (comme My Heroes have always been junkies ou Pulp), Fraction décide alors de procéder différemment et compose son histoire en en modifiant le format. Mais les ennuis n'étaient pas terminés pour autant.


En effet, en concevant le découpage avec la dessinatrice française Elsa Charretier, Fraction s'est ensuite aperçu que son histoire et sa narration éclatée imposaient une rigueur absolue pour que tout tienne debout. Même s'il s'affranchissait des codes des comics traditionnels, il lui fallait quand même suivre des règles précises afin que lui puisse déployer son intrigue et que sa partenaire puisse l'illustrer sans faire de faute.


Tout ça pour dire qu'en vérité November ne doit rien au hasard et ce projet est en fait à l'image du personnage de Dee dont la passion pour la résolution des problèmes logiques renvoie à l'appréhension des auteurs pour bâtir un récit cohérent malgré son style déstructuré. November est un puzzle dans lequel le lecteur est mis à contribution : il faut être concentré mais une fois qu'on l'est, alors toutes les pièces se disposent naturellement et aboutissent à un divertissement jubilatoire.


Quoique jubilatoire n'est peut-être pas l'adjectif le plus adéquat. Si on parle du plaisir qu'on ressent à comprendre les tenants et les aboutissants de l'intrigue, comment chaque partie, chaque personnage sont liés aux autres, alors oui, c'est effectivement jubilatoire comme le sont les jeux auxquels on trouve la solution et qui vous font sentir plus intelligent.

Par contre, le fond de l'histoire n'est pas drôle. C'est une série noire en bonne et due forme, élaborée avec un soin maniaque et un véritable amour du genre. La première de ses originalités, au-delà de la forme, c'est de donner le premier rôle à trois femmes et Fraction les caractérise génialement : il y a Dee l'éclopée junkie mais si forte pour les mots croisés qu'aucun semble pouvoir lui résister ; il y a Emma Rose la ravissante célibataire que la chance fuit mais qui ne baisse jamais les bras ; et il y a Kowalski cette standardiste lesbienne qui ambitionnait mieux pour elle-même mais qui va découvrir une affaire aussi tortueuse que dangereuse à même d'éprouver son "flair de flic".

Et puis il y a M. Mann. Je ne spoile rien de grave en vous révélant qu'en réalité il est lui aussi policier mais au service des archives et des pièces à conviction. C'est un fétichiste qui vole aussi bien la culotte d'une victime qu'un disque de jazz sur une scène de crime. Mais quel rapport entre ce poste et son rôle auprès de Dee à qui il offre 500 $ pour transmettre quotidiennement par radio un code ? On n'a pas encore la réponse à la fin de ce volume 1 mais disons, sans en dire trop non plus, que cela va lui jouer un sale tour...

Fraction habille son histoire de dialogues vifs et ciselés, il varie subtilement le vocabulaire de ses protagonistes et, comme il est édité par un indépendant, peut se permettre des gros mots sans risquer d'être censuré (de même que Elsa Charretier peut s'autoriser la nudité sans subir la menace de Madame Anastasie). Le rythme est très soutenu, avec des chapitres qui filent à toute allure et nous trimballent d'un point à un autre, d'un moment à un autre, sans répit.

La réussite de November doit aussi énormément à Elsa Charretier, cette dessinatrice française qui, après le succès de sa série The Infinite Loop (co-écrite avec son compagnon Pierrick Colinet), est devenue la coqueluche des éditeurs américains (The Unstoppable Wasp et Star Wars chez Marvel, Starfire et Harley Quiin chez DC, et actuellement Love Everlasting, avec Tom King, à nouveau pour Image).

Elle a su faire muter son trait, au début plus anguleux, vers un graphisme plus en rondeurs, qui emprunte aussi bien au David Mazzucchelli de Cité de Verre qu'à Darwyn Cooke (son idole). Si vous êtes curieux, allez donc visiter sa page Youtube où elle explique de manière géniale comment on dessine des comics et d'autres astuces de dessin entre deux interviews avec des collègues (même si, le succès de Love Everlasting, l'a obligée à mettre tout ça en stand-by).

Quoiqu'il en soit, Charretier est un artiste sidérante. Sa maîtrise de l'art séquentiel témoigne d'une grande culture du média et d'une intégration parfaite de ses codes, de ses inspirations. Elle peut aussi bien invoquer Edward Hopper pour une case que sur-découper une scène avec un "gaufrier" de douze cases pour appuyer les ruptures de ton, de tempo, d'ambiance. Ses personnages sont très expressifs avec une économie de traits qui fait rêver.

Elle peut aussi compter sur un coloriste d'exception avec Matt Hollingsworth (habitué de Fraction puisque c'était lui qui officiait sur son Hawkeye), et qui n'a pas peur des parti-pris audacieux et radicaux pour coller à l'exigence du dessin et du script.

A suivre donc. Stay tuned !

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