mardi 16 juillet 2024

LES GUETTEURS (Ishana Night Shyamalan, 2024)


Exilée à Galway en Irlande après un drame personnel, qui a coûté la vie à sa mère et une défiguration partielle à sa soeur jumelle, Mina travaille dans une animalerie. Le soir venue, elle se grime pour aller dans des bars rencontrer des amants de passage. Son patron lui confie la mission de transporter un perroquet rare à un zoo de Belfast. En route, elle reçoit un texto de sa soeur qui déplore qu'elle ne soit pas venue pour la commémoration de l'anniversaire du décès de leur mère et qui regrette qu'elles ne se voient plus depuis 15 ans.


Après avoir fait le plein à une station-essence, Mina reprend la route, suivant le trajet indiqué par son GPS. Mais elle tombe en panne en traversant une forêt. Elle prend alors la cage avec le perroquet et décide de chercher de l'aide dans ces bois. Bientôt, elle aperçoit une femme et lui court après jusqu'à une cabane où elle est invitée à entrer prestement si elle veut rester en vie. A l'intérieur se trouvent deux autres personnes, Daniel et Ciara. A peine les présentations faites, la femme, Madeline, positionne Mina devant une vitre-miroir comme elle et les deux autres.
 

La nuit est tombée et les guetteurs vont arriver pour les observer, il seront ravis de voir qu'il y a une nouvelle venue dans la cabane. Le lendemain, Madeline explique les règles à suivre à Mina : ne jamais sortir de la cabane la nuit (car les guetteurs la tueront), je jamais visiter leurs terriers (qui forment un réseau de galeries souterraines où ils se cachent la journée). Daniel est là depuis 8 mois, Ciara depuis un peu moins longtemps (et son mari n'est pas revenu depuis qu'il est allé chercher de l'aide il y a 6 jours), et Madeline est venue ici de son plein gré il y a plusieurs années pour étudier les guetteurs...


Deux choses avant de commencer la critique de ce film. D'abord, aujourd'hui même, avant de le regarder, je suis tombé, sur Twitter, sur un post illustré par une photo de La Féline (Jacques Tourneur, 1942) avec ce commentaire : "plus personne ne fait de films comme ça - de l'horreur intelligente.".  Et ça m'a interpelé parce que, effectivement, cette manière de suggérer l'angoisse a disparu, surtout avec le perfectionnement des effets spéciaux qui permettent de concevoir les images les plus choquantes, mais aussi finalement les plus artificielles.


Ensuite, il y a ce qu'on appelle à Hollywood les "nepo-babies", désignant les enfants de célébrités qui exercent le même job que leurs parents, souvent des fils/filles d'acteurs ou, comme ici, de réalisateurs, puisque Ishana Night Shyamalan est la fille de M. Night Shyamalan, l'auteur de Sixième Sens, Incassable et j'en passe. Ces "nepo-babies" sont très critiqués car on considère qu'ils ne méritent pas toujours leur place et bénéficient de pistons dans l'industrie du cinéma (le phénomène est identique en France).
 

Pourtant mon propos n'est pas de dire que les fils/filles de... sont sans talent. Il existe des enfants de vedettes qui ont prouvé leurs mérites, sans parler de ceux qui sont issus d'une famille célèbre mais qui n'en ont jamais tiré avantage (l'exemple de Léa Seydoux me vient spontanément à l'esprit car elle a été souvent la cible de ces critiques, pourtant sa carrière ne doit rien à son pedigree : elle a été dirigée par des cinéastes insensibles à celat).


Non, ce qui est ici plus intéressant, c'est de questionner le talent de Ishana Night Shyamalan qui, comme Brandon Cronenberg, n'a vraiment pas choisi la facilité en inscrivant son premier film dans le même genre que celui exploré maintes fois par son père, soit un mélange de fantastique et d'épouvante sur la base d'un pitch minimaliste.

Est-ce de l'audace ? De l'inconscience ? On peut en tout cas saluer le courage dont elle fait preuve. D'ailleurs, interrogée durant la campagne promotionnelle de son film, elle n'a pas cherché à éluder la question : oui, elle est une fille de, oui elle a eu des facilités à monter son projet (papa est d'ailleurs co-producteur), oui elle se sait attendue au tournant et sait déjà qu'on lui reprochera ces privilèges. Mais cela, donc, ne l'exonère pas d'une critique et oblige celui qui la rédige à le faire honnêtement, sans chercher à réduire la réalisatrice à sa filiation.  

The Watchers (en vo) ressemble effectivement énormément à du M. Night Shyamalan : une jeune femme perdue dans une forêt trouve refuge dans une cabane où se trouvent déjà trois personnes qui se prêtent chaque nuit à un étrange spectacle en se tenant devant une vitre-miroir derrière laquelle se trouveraient des créatures qui les observeraient, les fameux guetteurs. Ce groupe d'individus ne doit pas quitter la cabane la nuit ni explorer les terriers de ces guetteurs. Ceux qui s'y sont risqués n'ont jamais été revus.

Le film dure 100' et pendant la première moitié, on est captivé par cette situation même si Ishana Night Shyamalan se contente d'un minimum de développement. Bien entendu, Mina ne respecte pas les règles et va visiter un des terriers, ce qui aura des conséquences angoissantes par la suite. La caractérisation de ses camarades est sommaire et parfois caricaturale mais on est indulgent car le parti-pris est clair : la réalisatrice-scénariste, qui adapte le roman éponyme de A.M. Shine, veut d'abord nous accrocher avec ce drôle d'argument.

Si je disais que cela ressemblait énormément à du M. Night Shyamalan, c'est aussi parce que le dernier film de celui-ci parlait déjà d'une cabane dans les bois (Knock at the Cabin), à la seule différence que ceux qui étaient à l'intérieur subissaient l'intrusion de trois étrangers exigeant un sacrifice pour empêcher la fin du monde. Ce n'était déjà pas bien développé par le père. Et ça ne l'est pas davantage par la fille.

Ishana Night Shyamalan leste son script d'éléments si lourds, si signifiants qu'ils jouent contre son film et ses meilleures intentions. Dans la cabane, il y a une télé et un magnétoscope avec une seule cassette vidéo, l'enregistrement d'une télé-réalité d'enfermement façon Loft Story. Les Guetteurs auraient pu prétendre réfléchir sur ces spectacles mais il s'agit juste d'une illustration, comme pour expliquer ce qu'on savait déjà (les guetteurs sont les spectateurs d'une sorte de show avec des humains enfermés).

Je vais spoiler un peu : pourquoi les guetteurs observent-ils ces humains ? Parce qu'ils veulent leur ressembler, reproduire leurs apparences physiques. Et de là découlent quantité de symboles, d'allusions, tous moins subtils les uns que les autres sur la duplication : Mina et sa soeur jumelle (même légèrement différente depuis sa légère défiguration), le perroquet de Mina (qui reproduit la voix humaine), le reflet de la vitre-miroir (qui donc montre leurs reflets aux quatre habitants de la cabane), et même au tout début, avant que le piège ne se referme, Mina qui se déguise pour séduire des inconnus dans un bar (en se coiffant d'une perruque et en adoptant un look plus sexy, comme pour se dédoubler déjà).

La cinéaste n'a pas encore la maîtrise de son père pour entretenir le mystère, imaginer un retournement de situation renversant, déployer une idée simple en concept diabolique. Elle surligne ce qui est évident, retarde trop la révélation pour qu'on ne soit pas déçu par sa nature, et surtout, surtout, contrairement à Jacques Tourneur, elle commet la faute si fréquente aujourd'hui d'en montrer trop (notamment ces guetteurs dont l'apparence n'a rien d'original). Tout ça fait trop d'erreurs pour qu'on soit clément : elle a visé trop haut, son film ressemble trop à un mauvais script de son père, l'exécution est trop banale.

Les acteurs sont juste passables, que ce soit Olwen Fouéré (Madeline) ou Oliver Finnegan (Daniel). Georgina Campbell (Ciara) s'en tire un peu mieux avec un personnage plus sobre. Quant à Dakota Fanning, elle joue de malchance : c'est une bonne comédienne, mais qui n'a pas la grâce de sa soeur cadette (Elle Fanning) et qui n'a jamais trouvé "le" rôle qui lui permettrait de ne plus être dans l'ombre de cette dernière (qui a été dirigée par Nicolas Winding Refn, Sofia et Francis Ford Coppola, JJ Abrams, Mike Mills, Ben Affleck...).

Inutile donc, selon moi, de guetter Les Guetteurs, promesse non tenue, promesse intenable. Ishana Night Shyamalan va devoir s'accrocher pour se faire un prénom...

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