mercredi 3 juillet 2024

THE RUNAWAYS (Floria Sigismondi, 2010)


1975. Los Angeles. Joan Jett est une jeune guitariste de 16 ans qui rêve de vivre en jouant du rock'n'roll. Elle remarque dans un club le producteur Kim Fowley et l'aborde pour lui parler de son idée d'un groupe 100% féminin. Intriguée, il lui présente Sandy West, 16 ans aussi, batteuse et leur donne sa carte en leur conseillant de jammer jusqu'aà ce qu'elles aient quelque chose d'intéressant à lui faire écouter.


Les deux filles recrutent une bassiste, Robin Robins, 16 ans, et une autre guitariste, Lita Ford, 17 ans, mais il leur manque une chanteuse. Fowley rêve de trouver "la fille d'Iggy Pop et Brigitte Bardot" et il écume les clubs du coin avec Joan qui repère Cherrie Currie, 16 ans, qui vient de remporter le premier prix d'un concours de talents dans son lycée. Elle est fan de David Bowie dont elle copie le look d'Aladdin Sane et ne souhaite qu'une chose : partir de chez elle, après que sa mère ait filé en Indonésie avec son amant, la laissant seule avec sa soeur jumelle Marie.


Le groupe se baptise les Runaways (fugitives) et les première répétitions débutent mal car Cherrie est trop timorée alors que  Fowley insiste pour que les filles excitent les garçons pour sortir du lot. Joan et Fowley composent la chanson "Cherry Bomb" puis le producteur négocie un contrat avec Mercury Records pour l'enregistrement d'un album. Celui-ci ne connaît pas un grand succès commercial et critique aux Etats-Unis mais fonctionne bien en Europe. 


Le groupe se rode en tournée, devant des publics souvent hostiles face à ces gamines provocantes. Elles enregistrent dans la foulée leur second album, qui confirme leur popularité outre-Atlantique. Soumises à un rythme infernal par Fowley, Joan et Cherrie se droguent et boivent pour tenir le coup. Puis c'est le départ pour le Japon où elles sont accueillies comme des stars. Ce sera leur apogée avant que Fowley ne commette l'erreur de vouloir mettre en avant Cherrie sans en informer les autres, la condamnant à être rejetée par ses camarades...


Il fallait un certain culot pour porter à l'écran les Mémoires de Cherrie Currie, Neon Angel, même si Joan Jett a co-produit le film dont il est tiré et qui est le premier effort derrière la caméra de Floria Sigismondi. Car, soyons lucides, qui se souvient des Runaways ?


Leur carrière fut météorique (seulement trois ans, quatre albums studio plus un live, et leur chanteuse quitta l'aventure après ce Live in Japan. Pourtant, sans les Runaways, difficile de croire que les Bangles, Vixen, The Go-Go's, The Donnas, L7, Hole auraient existé, ou alors si cela avait été le cas, avec le même impact. Ces cinq adolescentes coachés par l'extravagant Kim Fowley ont ouvert en grand les portes du rock'n'roll à toute une collection de rock bands féminins.


Mais il est vrai aussi que Cherrie Currie, Joan Jett, Lita Ford, Sandy West et Jackie Fox (la seule à ne pas avoir permis que son personnage soit porté à l'écran : elle est donc remplacée par Robin Robins, une version fictive) n'ont jamais connu un grand succès sur leurs terres alors qu'elles furent très populaires en Europe et au Japon. Puis, après leur séparation, c'est Joan Jett qui devint une star, notamment grâce à son hit I Love Rock'n'Roll.

Pour ma part, j'ai découvert les Runaways avec ce film, comme j'ai découvert les Doors avec le biopic réalisé par Oliver Stone, et ce fut une déflagration. Est-ce que le film est à la hauteur de la légende ? Globalement oui, même si en définitive Foria Sigismondi, qui a aussi signé le scénario, s'attache surtout à Cherrie Currie et Joan Jett, négligeant complètement les autres membres du groupe.

La grande réussite du film tient d'abord à ce qu'il montre des gamines car c'était d'abord ça : elles avaient entre 16 et 17 ans, avaient appris la musique sur le tas, et rêvaient de quitter Los Angeles et ses bas quartiers. Cherrie Curry vivait seule avec sa soeur jumelle, serveuse dans un fast food, après que leur mère les ait abandonné pour partir vivre avec son amant en Indonésie du jour au lendemain, et leur père était un alcoolique absent. Joan Jett se voyait refuser de jouer de la guitare électrique par son prof de musique car ce n'était pas féminin. Sandy West tapait sur sa batterie sans avoir de projet. Lita Ford, la plus douée du lot, cherchait un groupe à accompagner.

Et donc ces gamines tombent sur un type plus dingo que pervers qui sent le bon filon quand Joan Jett lui parle de créer un groupe 100% féminin. Il va forger leur image en leur donnant à chacune un rôle caricatural : Cherrie sera la fille d'Iggy Pop et Brigitte Bardot, Joan l'oiseau noir et rebelle, Lita Ford la virtuose, Sandy la fille qui ne s'en laisse pas conter, Jackie/Robin la bonne copine. Avec Joan, il compose "Cherry Bomb", leur premier single inspiré par le fantasme qu'incarnera Cherrie Currie. Mais surtout, il va les sexualiser à outrance, en faire l'équivalent des rockeurs mâles qui ne parlent que de sexe, de drogues, d'excès en tous genres.

Cette première partie passée, Sigismondi ne zappe pas les galères de ces débutantes : elles jouent dans des fêtes données chez des gosses de riches qui leur jettent des canettes de bière à la tête, puis dans des salles minables où elles assurent des premières parties pour des formations qui refusent qu'elles fassent des balances en utilisant leurs amplis. La détermination dont elles font preuve et l'insouciance totale qu'elles affichent forcent le respect et en disent long sur cette époque où tout était à faire, où elles étaient, sans le savoir, des pionnières. Elles n'avaient aucune limite puisque rien de tel n'existait avant. Il y avait bien Suzi Quatro, cette chanteuse bassiste sexy et énervée, mais elle jouait avec des mecs et avait déjà 25 ans à l'époque (une vieille !).

Puis le récit s'accélère, devient plus elliptique et cède parfois aux clichés, inévitables en vérité : les enregistrements express des albums, les tournées sans fin, la dope, l'alcool, Cherrie qui couche avec le roadie et avec Joan, l'ascension spectaculaire qui précède la chute violente, moins en fait à cause de tout ça que parce que Cherrie a le mal du pays, ne supporte pas la gloire quand Joan et les autres vivent entièrement pour la musique. Dommage que le film n'ait pas été un peu plus long, notamment pour évoquer la fin du groupe et les vraies dissensions, comme celles entre Joan et Lita (la première désirant aller dans la voie punk rock quand la seconde ne jurait que par le hard rock)...

Malgré le manque de moyens évident du film, qui nous prive de scènes de concert dignes de ce nom (comme celui au Japon, qui donna ce Live absolument décapant et magistral), Floria Sigismondi touche du doigt l'essence des Runaways : leur jeunesse, leur audace, leur avant-gardisme... Sur ces points, le film ne triche jamais, ne frime pas et il nous épargne le gros des écueils du genre. Pas d'angélisme, pas de côté biographie autorisée, pas de légende flatteuse. Ces jeunes filles ont tout donné puis ont implosé, et la plus investie, la plus talentueuse, s'en est sortie, ne crachant jamais sur le passé. Visuellement, ça passe aussi par un choix de saisir cette histoire en 16 mm avec un travail sur la photo de plus en plus radical au fur et à mesure que l'équipe fonce dans le mur. Un vrai parti-pris.

Et puis il y a les actrices choisies, qui d'ailleurs donnent de leur voix sur certains titres. Dakota Fanning a peut-être tenu là son meilleur rôle, elle est incroyable. Kristen Stewart ne ressemble pas à Joan Jett mais elle l'incarne avec ce mélange qui n'appartient qu'à elle d'insolence et d'indolence (elle a tourné entre deux chapitres de Twilight, ce qui prouvait déjà son intention de ne pas être enfermée dans cette saga). Michael Shannon en fait des caisses dans le rôle de Kim Fowley mais il est parfait.

Comme je le disais plus haut, le film néglige totalement les autres membres du groupe : Stella Maeve joue Sandy West mais fait de la figuration. Scout Taylor-Compton est Lita Ford, clairement le rôle le plus détestable de l'affaire (elle détestait réellement Cherrie depuis le début et, même si ce n'est pas montré, c'est elle qui a vraiment fait exploser les Runaways en s'opposant ensuite à Jett), mais là aussi c'est juste survolé. Idem Pour Ali Shawkat dans le rôle de Robin Robins (Jackie Fox), transparente. Les remplaçantes qui ont intégré le groupe vers la fin ne sont même pas mentionnées. Riley Keough joue Mary Currie, mais elle n'apparaît que trop épisodiquement pour être consistante (alors que la relation des deux soeurs fut cruciale).

Ce n'est donc pas exempt de défauts ou de faiblesses. Mais l'un dans l'autre, The Runaways, à sa manière, modeste et énergique, brille surtout pas sa justesse. Découvrez, écoutez The Runaways (il existe un coffret de leurs cinq albums, qui ne coûte pas cher, intitulé Neon Angels On The Road to Ruin : 1976-1978) !

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