vendredi 19 juillet 2024

SALE TEMPS A L'HÔTEL EL ROYALE (Drew Goddard, 2018)


1959. Felix O'Kelly prend une chambre à l'hôtel El Royale, à l'époque un établissement prisé par une riche clientèle. Il déroule moquette et démonte une parti du parquet pour y enterrer une valise pleine d'argent. Puis il attend un complice qui, lorsqu'il arrive, l'abat, sans savoir ce qui s'est passé auparavant.


1969. A cheval sur les Etats du Nevada et de la Californie, l'hôtel El Royale a perdu son prestige. Son réceptionniste, Miles Miller, reçoit ce jour-là quatre clients : le vendeur d'aspirateur Laramie Seymour Sullivan, le prêtre Daniel Flynn, la chanteuse Darlene Sweet et une hippie Emily Summerspring. Ils prennent une chambre chacun pour huit dollars la nuit.


Dans la suite nuptiale, Sullivan débusque des micros espions. Il retourne à la réception, déserté par Miles, et s'aventure dans un couloir qui fait le tour de l'hôtel et donne accès à des vitres sans tain permettant d'épier les résidents. Une caméra est montée sur pied devant l'une d'elle. Il observe Flynn démonter les lattes du parquet, Darlene faire de vocalises, et Emily transporter une jeune femme inconsciente depuis le coffre de sa voiture. Mais qu'est-ce que c'est que cet endroit ?


Drew Goddard s'est fait connaître par un premier film d'horreur, A Cabin in the Woods, puis par le scénario de Seul sur Mars (réalisé par Ridley Scott). Ce dernier lui a permis de financer son second script avec un casting prestigieux, malgré un budget modeste (une 30taine de millions de dollars). Malheureusement, il ne rentrera pas dans ses frais, bien qu'une partie de son histoire préfigure celle de Once Upon a Time in Hollywood de Quentin Tarantino, sorti un an après.


Pourtant, Bad Times at El Royale (en vo) fait jeu égal avec le chef d'oeuvre nostalgique de QT, même s'il ne s'inscrit pas dans la même veine. De l'aveu même de Goddard, l'intention ici était de déconstruire les genres qu'il voulait explorer (les films noir, d'époque, d'épouvante...) et c'est pour cela qu'il a tenu à conserver, malgré la pression de ses producteurs, une narration éclatée, permettant de montrer plusieurs points de vue. 


L'objectif de l'auteur, c'était que le spectateur ignore qui était le véritable protagoniste : en offrant à chaque personnage une présentation égale, non seulement il créait le trouble, la confusion mais surtout il empêchait le spectateur d'anticiper les rebondissements de l'intrigue jusqu'au dernier acte. Ainsi on a droit à un chapitrage avec le n° des chambres occupés par les quatre héros, chacun faisant successivement et progressivement des découvertes ignorées des autres.


Ce principe s'avère très ludique, d'autant que Goddard multiplie les révélations avec maestria : on suit d'abord Sullivan, qui n'est pas du tout un vendeur d'aspirateur mais un agent du F.B.I. en mission secrète pour se renseigner sur le propriétaire de l'hôtel et mettre la main sur film compromettant, puis c'est au tour de Flynn qui n'est pas du tout un prêtre mais un ancien voleur de banque qui perd la mémoire, puis de Darlene qui est bien une chanteuse mais surtout une ancienne choriste qui court le cachet, et enfin d'Emily qui n'est pas vraiment une hippie mais qui tente de sauver sa soeur cadette des griffes d'un gourou. Quant à Miles, le réceptionniste, il cache encore mieux son jeu...

Vous croyez que je viens de vous spoiler une partie importante de l'histoire ? Rassurez-vous : Sale Temps à l'hôtel El Royale est pareil à un iceberg, sa partie émergée est dérisoire par rapport à ce que son intrigue dissimule. Je n'a fait qu'affleurer sa surface et vous serez sans cesse pris au dépourvu par les tours et détours du scénario.

Surtout qu'il y a l'histoire et ses innombrables symboles. Drew Goddard et son directeur de la photo, Seamus McGarvey, ont fait un travail remarquable sur les couleurs. Le rouge est associé au personnage de Billy Lee le gourou et renvoie au sang et à la mort. Le noir et le blanc sont les couleurs de l'habit de Daniel Flynn le "prêtre" mais renvoient aussi à la dualité du personnage, entre vérité et mensonge. Darlene est toujours filmée dans des couleurs vives (ses vêtements, les éclairages) pour désigner sa pureté et l'espoir qu'elle incarne.

Il est rapidement évident, et ça va en étant de plus en plus souligné, que l'hôtel El Royale est un lieu métaphorique. A cheval entre deux Etats, une ligne rouge matérialise cette frontière qui le coupe en deux. Passer d'un côté à l'autre, c'est ce qui attend tous les personnages. Et la nuit de cauchemar qu'ils vont traverser est une allusion limpide à la descente au enfers, l'hôtel devenant le purgatoire pour ses résidents. Dans ce décor et ce contexte, Flynn peut être vu comme Dieu qui teste six personnes et Billy Lee le diable qui attend les damnés, le fautifs, les coupables, les pécheurs. Darlene est la seule véritable âme pure du lot, même si elle aide un ex-repris du justice en s'alliant à Flynn, mais en refusant se s'arrêter aux fautes du passé de ce dernier elle s'abstient de juger et elle sera récompensée pour cela.

Au fond, tout le film questionne la notion de Pardon et qui est qualifié pour le donner. Une réflexion étonnante a priori pour un polar, mais la morale est souvent sondée dans le récit policier, donc la surprise n'est qu'apparente. En fait Goddard revient aux sources du genre. Il le fait au moyen de masques (ceux que portent figurativement les protagonistes) ou littéralement (lors du dernier acte en forme de procès divin). 

Le décor joue un rôle à part entière et l'El Royale est inspirée par le Cal Neva Lodge & Casino, qui fut le point de rendez-vous de célébrités, politiques et mafieux. On raconte aussi que c'est là que Marilyn Monroe retrouvait clandestinement John Fitzgerald Kennedy et donc, à ce titre, on peut supposer que le film que cherche Sullivan est celui qui a immortalisé les ébats entre la star de cinéma et le président des Etats-Unis. Mais pourquoi, alors qu'en 1969, JFK est mort depuis 6 ans ? Parce que, comme le dit un des personnages, parfois la mémoire d'un homme reste plus importante que sa vie. En 1969, c'est Richard Nixon qui est à la tête des Etats-Unis, alors embourbés dans la guerre au Vietnam, et 5 ans plus tard, il démissionnera, suite au scandale du Watergate, l'affaire qui fera qu'on se souviendra de lui de la manière la plus infamante, lui qui en 60 fut défait par... Kennedy.

Superbement réalisé, admirablement écrit, le film bénéficie en plus d'un casting royal. Dakota Johnson, la première à avoir été recrutée, est remarquable en frangine aux méthodes désespérées. Cailee Spaeny était alors à l'aube d'une carrière qui a depuis été un sans-faute. Jon Hamm a accepté son rôle pour partager des scènes avec Jeff Bridges et ils sont tous les deux exceptionnels (même si Bridges a récupéré le personnage prévu pour Russell Crowe). Cynthia Erivo est sensationnelle dans la peau de Darlene, elle chante elle-même dans le film (et la performance est d'autant plus méritoire que là aussi le rôle devait échoir à Beyoncé). Lewis Pullman (le fils de Bill) a hérité lui du rôle prévu pour Tom Holland, mais il lui apporte une ambiguïté et une fébrilité assez renversante. Et puis enfin il y a Chris Hemsworth, hallucinant, qui retrouvait Goddard après The Cabin in the woods.

Il faut à tout prix redonner sa chance à ce long métrage fantastique, d'une maîtrise fabuleuse, d'une profondeur insoupçonnée.

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