mercredi 10 juillet 2024

LAST NIGHT IN SOHO (Edgar Wright, 2021)


Eloïse "Ellie" Turner vit dans les Cornouailles avec sa grand-mère depuis le suicide de sa mère survenu alors qu'elle était encore enfant. Comme elle, elle veut devenir créatrice de mode et reçoit un courrier d'admission au London College of Fashion de Londres. Sur place, elle réside dans un cité universitaire mais ses colocataires la méprisent. Elle décide alors de louer une chambre qu'elle trouve chez Mme Collins.


La première huit, Ellie fait un rêve étrangement réaliste où elle remonte le temps jusqu'à la fin des années 1960 dans le Swinging London où elle suit Sandie, une jeune femme blonde et séduisante, qui veut devenir chanteuse. Après avoir abordé Jack, le directeur d'un club, il décide de la prendre son aile. Le lendemain, Ellie dessine une robe identique à celle que portait Sandie dans son rêve, ce qui lui vaut les compliments de sa professeur et les railleries de ses camarades. La nuit suivante, le rêve reprend là où il s'était interrompu. Jack fait passer une audition à Sandie au "Rialto" et elle est embauchée par le patron de ce club. Puis ils font l'amour dans le lit de Ellie.


S'identifiant à son héroïne onirique, Ellie se teint les cheveux en blond et adopte un look 60's, puis décroche un job de barmaid. Un client, qui lui fait penser à Jack âgé, l'observe curieusement comme s'il devinait ses songes. Songes qui se prolongent en s'assombrissant puisque Sandie devient danseuse puis prostituée sous la coupe de Jack. Perturbée par la tournure des événements qui impactent ses journées, Ellie se demande si elle ne perd pas la raison comme sa mère... 


Il était temps que j'écrive une critique de Last Night in Soho dont j'avais emprunté un photogramme pour la bannière de ce blog que je compte changer. Retour donc il y a trois ans sur le dernier film en date de Edgar Wright - avant son probable retour pour le remake de Barbarella avec Sydney Sweeney...


Je l'ai revu pour l'occasion et je me suis souvenu que, la première fois, j'étais resté un peu sur ma faim, comme si j'en attendais trop, excité par les retours enthousiastes de la presse. Est-ce que cette impression allait se confirmer ? Ou au contraire, le film s'est-il bonifié avec le temps ? Je ne vais pas faire durer le suspense : effectivement, je l'ai trouvé meilleur à revoyure.


Hier, je vous parlai de Spencer en affirmant qu'il s'agissait non pas d'un biopic mais plutôt d'un film d'épouvante empruntant des personnages réels. Hé bien, Last Night in Soho est, lui, un parfait film d'angoisse, un giallo comme disent les italiens. Edgar Wright en a eu l'idée avant Baby Driver et il l'a remaniée avec la scénariste Kristy Wilson-Cairns, que lui avait recommandé Sam Mendes qui avait collaboré avec elle pour 1917
 

Leurs efforts communs ont convaincu le cinéaste de différer son projet de suite à Baby Driver (qui semble désormais oubliée) pour le réaliser au plus vite. Il faut rappeler que Wright, avant cela, avait passé des années à développer Ant-Man pour Marvel Studios avant de quitter le projet pour différends artistiques. On comprend mieux pourquoi, depuis, il est plus pressé pour enchaîner les films.

Et ce qu'il y a de troublant ici, c'est que l'intrigue pourrait être la réflexion, certes tordue, du cinéaste à ces années où il a tenté d'imposer sa vision d'auteur à un studio qui privilégie une esthétique globale. On suit Eloïse Turner, étudiante en stylisme à Londres, où elle a du mal à trouver sa place, elle qui vient des Cornouailles, entre l'acclimatation à la ville et ses camarades qui la méprisent justement pour son côté provinciale. Elle ne supporte pas cette ambiance et emménage chez Mme Collins, une vieille dame.

La nuit venue, Ellie fait d'étranges rêves, très réalistes, où elle remonte le temps jusqu'à la fin des années 60 et où elle suit Sandie, qui rêve d'être la nouvelle Cilla Black, une chanteuse pop. Elle séduit Jack qui ne va pas tarder à l'entraîner de l'autre côté du miroir. Le souci, c'est que la tournure des événements dans ses songes perturbe de plus en plus Ellie dans la réalité, au point qu'elle se demande si elle devient folle comme l'était sa mère ou si Jack traîne encore dans le quartier de Soho...

Il y a quelque chose d'indéniablement, d'irrésistiblement grisant dans ce film. Sa narration est rythmée et sa réalisation est virtuose - Wright nous gratifie de trouvailles de mise en scène proprement étourdissantes, à l'image de la danse entre Jack, Sandie et Ellie, en plan-séquence, sans aucun trucage. Les thèmes sont clairs et efficacement exploités : le double, l'envers du décor cauchemardesque, la jeunesse et la vieillesse, le rêve et la réalité, la raison et la folie...

Cette dernière nuit à Soho emprunte comme un exercice de style accompli par un prodige tous les clichés du genre qu'il explore sans jamais sombrer dans la parodie. Jusqu'au bout il est impossible de prévoir ce qui va arriver. Le déséquilibre qui atteint si violemment la jeune héroïne est tel qu'il nous impacte aussi : on la voit progressivement perdre pied et la violence surgit, sauvage, sanglante, dans la nuit éclairée au néon de ce quartier branché de Londres.

Wright s'amuse avec nous en multipliant les motifs correspondant à ce qu'il raconte : il y a beaucoup de miroirs, de flaques d'eau dans lesquelles apparaissent des reflets réels ou fantasmés, on va et vient entre présent et passé... Le film ne cesse de nous balancer d'un coin à l'autre, jusqu'à nous coincer dans les cordes, devenant oppressant. Mais aussi diaboliquement ludique, et même sinistrement drôle. Car Wright n'oublie jamais que c'est un divertissement - d'ailleurs, le cadre des flashbacks est celui du monde de la nuit, de la frivolité, des chansons pop, de la danse, de l'alcool, de la drogue : autant d'artifices pour signifier que tout ici est affaire de mise en scène, de show, d'apparences (trompeuses forcément). 

Pour nous attirer dans ce grand huit, le réalisateur a pu s'appuyer sur un casting très solide. Diana Rigg y apparaît pour la dernière fois dans une composition surprenante. Terence Stamp n'a qu'à apparaître pour rappeler ce que veut dire avoir la classe et être flippant. Matt Smith est absolument fascinant en prédateur. Et bien entendu Thomasin McKenzie et Anya Taylor-Joy sont extraordinaires : la première joue cette ingénue qui se noie dans la psychose quand l'autre est cette poupée glamour qui est engloutie par la masculinité toxique de son "protecteur". On ne peut pas décemment départager les deux comédiennes, même si Taylor-Joy en a plus profité, elle qui cartonnait un an auparavant dans la mini-série Le Jeu de la Dame sur Netflix.

Last Night in Soho rappelle magistralement la noblesse de l'entertainment et du film de genre : Edgar Wright est un surdoué. Vivement sa prochaine livraison !

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