samedi 13 juillet 2024

THE BIKERIDERS (Jeff Nichols, 2024)


1965. Danny Lyon, étudiant en photographie, interviewe Kathy Bauer. Elle lui raconte comment elle a rencontré dans un bar Benny Cross, membre des Vandals Mortorcycle Club basés à Chicago. Cinq jours après, ils se mariaient. Grâce à elle, Danny est introduit dans cette organisation où il photographie les motards et recueille leurs témoignages dans le but d'en faire un livre documentaire.


Le fondateur du club est Johnny Davis qui en a eu l'idée en regardant L'Equipée Sauvage de Laszlo Benedek avec Marlon Brando (1953). Le projet initial était de réunir des motards pour faire des virées et des courses. Mais rapidement le leadership de Johnny est mis à mal car il refuse d'inviter des gars de Milwaukee comme le lui suggère un des membres. 
 

1969. Benny est violemment pris à parti dans un bar. Gravement blessé au pied droit, i échappe à l'amputation de justesse. Mis au courant de ce qui est arrivé, Johnny décide de représailles : il force le propriétaire du bar à lui donner le nom et l'adresse des agresseurs puis met le feu à l'établissement. Les pompiers et les policiers restent à l'écart, effrayés par cette bande bikers. 


Alors qu'il se rétablit, Benny est invité à un grand rallye par Johnny mais Kathy s'y oppose. Pourtant, elle l'y accompagne et, à cette occasion, en privé, Johnny propose à Benny de lui succéder le moment venu à la tête du club. Cependant, il refuse au Kid, un jeune délinquant, prêt à abandonner ses amis, d'intégrer l'organisation, ce qui aura des conséquences dramatiques plus tard... 1973 : Danny retrouve Kathy en Floride et l'interroge sur la situation du club...
 

En 1953, L'Equipée Sauvage de Laszlo Benedek avec Marlon Brando dressait pour la première fois le portrait de motards aux blousons noirs. Le film - est-ce utile de le préciser ? - a très mal vieilli, mais c'était déjà un mauvais long métrage dès le départ, surjoué, au scénario calamiteux, truffé de clichés sur ces bikers qui faisaient peur aux bourgeois et étaient présentés avant tout comme des voyous.


Non, pour trouver le vrai grand film de bécane, il faudra attendre 1969 et l'insurpassable Easy Rider de Dennis Hopper avec lui-même, Peter Fonda et Jack Nicholson. Encore aujourd'hui, quand vous écoutez Steppenwofl chanter Born to be wild, tout est là, intact. Vous roulez dans l'Amérique profonde sur le chopper customisé, croisant des hippies et des rednecks, des flics et des laissés-pour-compte du rêve américain. Mais surtout, vous éprouvez ce sentiment de liberté.
 

Esay Rider a cristallisé le post-western où les chevaux ont été remplacés par des motos et où la nouvelle frontière n'était plus une affaire de conquête de l'Ouest mais un synonyme de quête d'un ailleurs, d'une utopie, qui allait se fracasser douloureusement sur le mur de la réalité, tandis que la guerre du Vietnam devenait le cauchemar américain et que la Manson family allait commettre un massacre achevant l'âge de l'innocence des 60's.

C'est dire si, en s'inspirant du livre mythique de Danny Lyon, Jeff Nichols faisait un pari risqué. Faire ressentir à nouveau l'épopée des bikers, ce fantasme des riders, des clubs de motards, se réunissant initialement juste pour le plaisir de rouler ensemble. Malheureusement, cette fois, c'est le cinéaste qui est allé droit dans le mur. Car rien, mais alors rien ne va, ne fonctionne dans The Bikeriders.

Et le pire, c'est que justement tout part d'un livre de photos (par ailleurs magnifiques - allez sur Google Images). Les clichés de Danny Lyon ont tout ce que le film de Nichols n'a pas : un sens du mouvement, la composition somptueuse des images, une sorte de lyrisme mélancolique, une élégance folle, une vérité surtout. Pourquoi Nichols n'en a-t-il pas tiré un documentaire ? Ou ne s'est-il pas contenté de suivre Danny Lyon au lieu de broder, de rebaptiser, de vouloir romancer ?

Le nombre de fois où ce pourtant très bon cinéaste (même si déjà Loving, qui remonte à 2016, était très en deçà de ses grands réussites comme Take Shelter, Mud et Midnight Special) fait les mauvais choix ou sombre dans le grotesque est accablant. Par exemple, quelle idée saugrenue de construire tout le film autour des interviews de Lyon avec Kathy ? Kathy, pour tenter de dynamiser ces dialogues, est montrée dans toutes les situations possibles pour que le film semble en mouvement : elle fait la vaisselle, elle fait la lessive... Sauf que l'effet produit est désastreux tant il est artificiel.

Ensuite, Nichols échoue lamentablement à donner chair aux motards. Ils sont tous réduits à des mecs taiseux ou qui monologuent de manière maussade en vidant des bouteilles de bibine autour de feux de camp. Il y a celui qui rêve en fait de devenir motard pour la police, celui qui hait son frangin parce qu'il a préféré faire des études universitaires ("Zipco" est sans doute le personnage le plus ridicule du lot : il raconte avoir voulu s'engager dans l'armée pour combattre au Vietnam mais s'est présenté au bureau de recrutement complètement ivre, mais tout ça sonne tellement faux, c'est terrible), il y a le mécano génial de la bande (un des seuls à avoir un métier car on se demande de quoi vivent les autres)...

Mais le duo phare du groupe, ce sont Johnny et Benny. Le premier fonde le club des Vandals (inspiré des Outlaws Motorcycle Club). Le second est le mari de Kathy. Le premier s'avère un abruti absolu, changeant d'avis comme de tee-shirt, marmonnant sans cesse, avec un charisme de mollusque. Le second est une caricature de rebelle sans cause taiseux et séduisant, le garçon épris de liberté qui ne demande et n'attend rien de personne. Mais jamais le film ne va plus loin que ces descriptions sommaires, donc on reste à la surface de tout ce qui leur arrive. Par exemple, très tôt, Johnny songe à confier le club à Benny, qui n'a rien d'un leader mais suit aveuglément Johnny jusqu'à ce que ça dégénère quand "Cockroach", celui qui rêve d'être flic à moto, veut quitter le club. C'est tout.

C'est tout et c'est mou, un vrai supplice. Jamais, strictement jamais le film ne décolle, ne fait vibrer. Quand Kathy dit à Lyon qu'elle est tombée raide dingue de Benny dès leur première virée ensemble, on doit la croire sur parole car la scène ne communique absolument rien de tel. D'ailleurs toutes les scènes de moto sont étrangement statiques, poseuses : là encore, là surtout, le film n'arrive jamais à la cheville des photos de Lyon. Ces bécanes semblent toujours rouler à 10 km/h, on est aux antipodes de ce que ces motards devaient faire avec leurs engins lorsqu'ils taillaient la route, seul ou en meute. L'esprit du club est aux abonnés absents : ce qu'on voit, c'est juste une bande de bikers moroses, dont seuls quatre ou cinq sont mis en avant. La communauté n'existe pas.

Ce désastre n'est même pas sauvé par le casting qui a tout de l'erreur terminale. Jodie Comer, géniale Villanelle dans Killing Eve, s'est forcée à prendre un accent trainant abominable, mais son rôle est à chier et elle-même ne semble jamais croire ce qu'elle joue. L'absence totale d'alchimie entre elle et Austin Butler est ahurissante : Butler est complètement apathique, inexpressif, comme si on lui avait juste demandé de poser "à la façon de" Brando, Fonda, Hopper, sans jamais donner vie à Benny. Mais le pompon revient quand même à Tom Hardy : je n'ai jamais aimé ce comédien mais là, il est tellement balourd, endormi, que c'en est comique - et quand on doit jouer un leader charismatique, c'est ballot.

Pourquoi Nichols est allé chercher des comédiens aussi mauvais, aussi inappropriés (ce pauvre Mike Faist, qui n'était déjà pas bon dans Challengers, est encore une fois médiocre) alors qu'il cantonne Michael Shannon à un second rôle pitoyable, que Emory Cohen est sacrifié, ou que d'autres acteurs, vrais fans de motos (Ewan McGregor), auraient été cent fois mieux ?  

Ne cherchez pas non plus un équivalent à Born to be wild dans la bande-son : la musique est fantomatique ici. Pourtant, si, par exemple, Nichols l'avait confié à Carter Burwell ou T-Bone Burnett, ça aurait pu avoir de la gueule.

Mais rien ne marche (ou plutôt ne roule) dans The Bikeriders. C'est d'une tristesse. C'est un gâchis. Easy Rider ne sera pas détrôné de sitôt.

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