mercredi 17 juillet 2024

LES VEUVES (Steve R. McQueen, 2018)


Chicago. Le gang de Harry Rawlings est tué après un braquage mené contre Jamal Manning, candidat pour le poste de conseiller municipal du quartier de South Side contre le sortant Jack Mulligan, dont la famille est établi depuis des décennies à ce poste. Jatemme, le frère de Jamal, menace la veuve de Harry, Veronica, pour qu'elle rembourse ce que son mari a volé si elle ne veut pas finir comme lui.


Le chauffeur des Rawlings, Bash, remet à Veronica une enveloppe contenant une clé ouvrant un coffre-fort. Elle y trouve des photos volées d'un homme au lit avec une jeune femme et un carnet rempli de notes sur ce qui devait être le prochain coup du gang avec un butin de 5 millions de dollars à la clé. - de quoi rembourser les Manning et refaire sa vie. Bash lui conseille de vendre ce carnet aux Manning mais elle refuse et décide de mener ce casse à bien.
 

Pour cela, elle rencontre les veuves de trois (sur quatre) des membres du gang. Linda tenait une boutique de vêtements que son mari a mis en gage pour payer ses dettes de jeu. Alice vivait aux crochets d'un époux violent. La quatrième veuve, Amanda, n'est pas sollicitée car elle a un bébé de quatre mois. Alice doit se procurer des armes et une camionnette. Linda doit localiser l'endroit dont Harry avait reproduit le plan pour le braquage.


Jatemme qui suit Veronica torture et finit par tuer Bash pour apprendre l'existence du carnet de notes. Cependant, Alice, qui pour survivre depuis la mort de son mari, est devenue call-girl découvre grâce à un client que le plan de Harry est celui d'une chambre forte et Veronica en déduit qu'il s'agit de celle où Jack Mulligan doit cacher l'argent pour sa campagne. Reste à recruter un chauffeur et, Amanda n'étant pas disponible, Linda propose Belle, la babysitter de ses enfants et coiffeuse dans un salon financé par Mulligan contre des intérêts exorbitants...


Attention ! Chef d'oeuvre ! Widows (en vo) est assurément un des meilleurs films noirs (et meilleurs films tout court) que j'ai vu depuis un bail. Et on le doit à Steve R. McQueen, le réalisateur de 12 Years a Slave et Shame, et Gillian Flynn, l'auteur du roman Gone Girl (adapté au cinéma par David Fincher) avec qui il a co-écrit le script.130' de grand cinéma.


Tel que je le présente plus haut, ce long métrage a quelque chose de classique en dehors du fait qu'ici ce sont des femmes qui vont commettre un braquage ambitieux en n'ayant que peu de temps pour se préparer (un mois). Mais en vérité, c'est bien plus que ça car McQueen et Flynn ont enrichi leur intrigue pour la transcender.


En effet, si l'ultimatum lancé aux veuves et la préparation puis l'exécution de leur casse occupent le devant de la scène, la densité du scénario tient au fait que toute l'action est liée à un nombre élevé d'enjeux périphériques mais non négligeables. Tout se déroule en effet en pleine campagne électorale pour désigner un conseiller municipal d'un quartier déshérité de Chicago que deux hommes que tout oppose se dispute.

D'un côté, on a Jack Mulligan, un homme blanc issu d'une famille aisée et établie depuis longtemps dans la ville mais qui habite à la frontière du quartier en question. De l'autre, on a Jamal Manning, un homme noir qui ambitionne de le destituer autant par goût de la revanche sociale que pour profiter d'une nouvelle respectabilité puisqu'il baigne dans divers trafics. Toutefois, il n'y a pas de bon et de méchant manichéens ici : Mulligan est le fils d'un politicien raciste dont on découvrira qu'il est mêlé au gang de Rawlings (il a commandité le braquage qui a coûté la vie aux voleurs pour dépouiller son rival), et Manning revendique avec raison ses racines dans South Side en y habitant vraiment.

Le twist, on peut le révéler sans spoiler, c'est que les veuves vont découvrir que le seul moyen de rembourser est de voler Mulligan qui planque chez lui un magot exorbitant qui leur permettra aussi de refaire leur vie. Il y a une autre surprise de taille dans l'intrigue mais celle-ci, je vous la divulguerai pas car elle est absolument stupéfiante de machiavélisme et imprévisible, mais elle va impacter le cours des événements, surtout du point de vue de Veronica...

Avec un matériau aussi complexe et palpitant à la fois, mais toujours clairement raconté, on ne s'ennuie pas une minute. On vibre à la fois pour ces quatre femmes embarquées dans une aventure qui les dépasse mais qu'elles doivent accomplir pour sauver leur peau. On se passionne pour les subplots qui tissent une toile incroyablement sophistiquée et qui élève ce thriller vers le commentaire socio-politique.

Quatre scènes peuvent éclairer le spectateur sur le propos du film : dans la première, après avoir été menacée de mort, Veronica contemple par la fenêtre de son luxueux appartement la rivière Chicago et dans le reflet de la vitre elle revoit son mari l'enlacer tout en mesurant à quel point il l'a abandonnée avec un terrible fardeau. En un regard, elle passe de la tristesse à la colère et cela explique toute la motivation qui va l'habiter ensuite jusqu'au dénouement. 

Dans la deuxième, Alice revoit le client à qui elle vend ses charmes et lui demande pourquoi ils se voient toujours à l'hôtel et jamais chez lui, ce à quoi il répond qu'ils ne sont pas mariés, il paie pour la voir/l'avoir et elle se fait payer pour conserver son train de vie. En un regard à nouveau, on voit une femme qui décide de ne plus dépendre d'aucun homme et se reprend en main après avoir été une épouse battue et une call-girl.

Dans la troisième, Linda se rend dans le magasin qu'elle tient et découvre des hommes en train de le vider, ce sont les créanciers de feu son mari qui saisissent tout ce qu'ils peuvent pour récupérer leur mise. Elle apprend ainsi qu'il jouait et comme elle le soupçonnait de son vivant qu'il la dépouillait même s'il jurait le contraire. Encore une fois, la révolte prend la place du deuil et émancipe Linda.

Enfin, dans le cas de Belle, qui est la seule à ne pas être une veuve et intègre l'équipe sur le tard, c'est quand elle surprend sa patronne au salon de coiffure en train de remettre une enveloppe rempli d'argent liquide à un homme dont elle découvrira plus tard qu'il bosse pour Jack Mulligan que se joue une prise de conscience. En effet, elle croyait que ce salon, c'était une affaire montée honnêtement par son employeuse alors qu'en réalité, c'est grâce au conseilleur municipal qui réclame aujourd'hui des intérêts sur son investissement.

Plus donc, en fait, que l'histoire d'un braquage par des femmes, Les Veuves parle de cette bascule où des femmes prennent conscience de leur précarité, des mensonges dans lesquels elles vivaient, et en définitive de ce que leur mission signifie (il s'agit moins de rembourser que de se refaire). Dépendantes, aveugles (volontairement ou involontairement), ignorant tout les unes des autres mais surtout des hommes dont elles partageaient le quotidien, elles apprennent, dans la douleur et l'urgence, à être fortes, à surmonter leur peine, à collaborer, à agir, à réagir. Leur courage, leur détermination, leur complémentarité forcent le respect : elles forcent leur destin et forcent le passage dans un maillage serré temporellement, géographiquement, éthiquement, psychologiquement, physiquement.

Le film s'appuie sur un casting royal : Brian Tyree Henry et Daniel Kaluuya font des frangins terrifiants à souhait, Colin Farrell et Robert Duvall un fils et son père machiavéliques, Liam Neeson et Jon Bernathal de belles ordures. Mais évidemment, ce sont les actrices qui dominent la partie avec des compositions si ciselées qu'elles n'ont jamais besoin d'en rajouter. A ce jeu, Viola Davis est impériale, d'une finesse magistrale. Ensuite Elizabeth Debicki (dans une rôle prévu à l'origine pour Jennifer Lawrence) brille comme rarement, réussissant même à injecter un peu d'humour dans ce tableau très noir. Michelle Rodriguez impose cette présence farouche et puissante parfaite. Cytnhia Erivo hérite du rôle le plus ingrat mais le sert avec une humanité rageuse admirable. Carrie Coon est plus en retrait mais est comme d'habitude impeccable.  

Les Veuves est un chef d'oeuvre, je le répète. On en sort avec cette sensation d'un cinéma total, écrit et réalisé et joué à la perfection, qui vous rassasie complètement.

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