mardi 9 juillet 2024

SPENCER (Pablo Larrain, 2021)


1991. La veille de Noël. La famille royale britannique se réunit au château de Sandringahm dans le Norfolk pour trois jours. Le personnel se prépare ave fébrilité. Diana, la princesse de Galles, dont le mariage avec le prince Charles bat de l'aile depuis sa liaison avec Camilla Parker-Bowles est connue publiquement, se rend sur place en conduisant a propre voiture, sans garde du corps, mais elle se perd en route. Le chef cuisinier MacGrady la retrouve et elle se repère alors en voyant la propriété de Park House où elle a grandi. Dans un champ, elle vit un épouvantail avec une veste ayant appartenu à son père, John, qu'elle va lui enlever.


Lorsqu'elle arrive enfin à Sandringham après tout le monde, Diana retrouve ses deux fils, William et Harry, qu'elle serre dans ses bras avant de s'isoler avec eux dans leur chambre. La perspective de passer trois jours avec la famille la stresse car elle sait que ses membres la méprisent. Sa seule amie dans ces murs est son habilleuse, Maggie, qui l'encourage à rester forte et à honorer ses devoirs de princesse. 


Sur son lit, Diana trouve une biographie d'Anne Boylen, la femme de Henry VIII qui la fit décapiter car il la soupçonnait d'infidélité alors que c'est lui qui la trompait et qui voulait épouser sa maîtresse. Comme elle, Diana sent qu'elle est prête à être sacrifiée. La nuit venue, elle tente de rejoindre Park House à pied mais en traversant le parc de Sandringham, les gardiens l'arrêtent en la prenant pour une intruse. Comme ce qu'elle pense désormais être. D'ailleurs, le lendemain, alors qu'elle assiste au service religieux dans l'église Saint Mary Madeleine, elle voit Camilla dans l'assistance...


Tout d'abord, Spencer n'est pas un biopic. Comme Jackie (2016), du même Pablo Larrain, l'action est très concentrée (trois jours) et ambitionne de prélever une sorte d'échantillon de la vie de Diana Spencer, princesse de Galles, pour l'examiner au microscope et extrapoler. C'est donc une espèce d'exercice de style aussi bien narratif qu'esthétique.
 

Ensuite, je dois dire que je n'ai jamais été un fan de Lady Di. Je n'ai jamais compris le culte qu'elle a engendré. Je déteste toutes ces familles royales, d'où qu'elles soient, ces nantis qui ne font rien de leur vie à part suivre des protocoles absurdes, être en constante représentation : ce sont des reliques, des vestiges, des anomalies. Mais ça tombe bien : Pablo Larrain les observe avec le même détachement, sans sensiblerie.


Toutefois, s'il y a quelque chose qui pouvait me plaire chez Diana, c'est qu'elle a réussi à emmerder toute cette famille de culs serrés, en quittant cet abruti de Charles et, même quand elle est tragiquement morte, la reine Elizabeth II ne savait plus quoi faire, elle qui prétendait comme tout noble qui se respecte être au-dessus de la mêlée. J'ai toujours trouvé ça réjouissant, cette femme trompée qui n'a pas reculé devant la "firme" pour révéler son absurdité.
 

Partant de là, je me suis demandé comment Steven Knight, le scénariste, allait exploiter le personnage : plutôt comme ce lèche-cul de Peter Morgan avec The Crown qui a clairement joué la carte de la victime Diana contre la royal family ? Ou en peignant un portrait de femme nuancé ?

En vérité, c'est encore autre chose, et c'est passionnant. Spencer est un film d'épouvante. On se croirait souvent chez Roman Polanski, comme Répulsion ou Rosemary's Baby. Diana n'est pas montrée comme une princesse, encore moins l'England Rose chantée par Elton John ou la "princesse des coeurs" caricaturée par Stéphane Bern et ses semblables. Non, pour saisir la démarche de Larrain et Knight, il suffit de retenir cette mention au tout début du film : "une fable basée sur une histoire vraie".

En 1991, année où se déroule l'histoire, le mariage entre Diana et Charles bat de l'aile. Les tabloïds ont révélé la liaison de Charles avec Camilla Parker-Bowles, la femme qu'il a toujours aimée mais que sa mère lui a défendu d'épouser. La famille royale se réunit dans un château du Norfolk voisin de Park House où a grandi Diana. C'est Noël et déjà on remarquera que la reine insiste pour que les cadeaux soient ouverts la veille car les nobles ont droit aux meilleurs cadeaux et la permission donc de les découvrir avant tout le monde.

Charles offre à Diana un collier de perles. Mais elle en a déjà vu identique au cou de Camilla dans un journal à scandales. Ce n'est plus un présent, c'est un affront, une provocation, une humiliation. Tout d'ailleurs contribue à humilier la jeune femme : on refuse de monter le chauffage dans ce château sous prétexte qu'on a assez de couvertures supplémentaires si on a froid au lit, on refuse qu'elle visite la maison de sa famille au prétexte qu'elle est en ruines et que des photographes pourraient la surprendre, on refuse qu'elle se montre à la fenêtre de sa chambre pour ne pas être shootée par des paparazzi (et la reine ordonnera même qu'on couse les rideaux pour qu'ils ne soient plus ouverts !)...

Diana est montrée comme une créature qu'on s'apprêterait à sacrifier lors d'une messe noire. Sur son lit, à son arrivée, elle trouve la biographie d'Anne Boylen, épouse guillotinée par son mari Henry VIII qui la soupçonnait d'être infidèle - un prétexte car c'est lui qui la trompait et voulait s'en débarrasser pour épouser sa maîtresse. Elle s'identifie si fort à elle qu'elle se met à halluciner et voir son fantôme. La métaphore n'est pas très subtile mais elle compte moins que le sentiment que Diana perd effectivement la boule - d'ailleurs Charles congédie l'habilleuse de la princesse en faisant courir la bruit que la pauvre Maggie monnaierait des ragots sur Diana.

Comme dans une fable donc, ou un conte, le film s'enfonce dans le lugubre, le sinistre, et les plus belles scènes sont celles où le récit ose déraper dans l'épouvante, comme quand Diana traverse le parc la nuit et se fait arrêter par les gardes, ou quand, une fois dans Park House abandonné, elle erre dans un véritable château hanté par son propre fantôme, celui d'elle enfant, puis adolescente, encore heureuse, insouciante, tellement qu'elle se met à danser dans les couloirs déserts, vêtue de ses toilettes iconiques, traversant le temps, les époques. Pour s'arrêter au sommet d'un escalier aux marches pourries, prête à plonger pour en finir.

Tous les personnages qui entourent Diana sont pareils eux aussi à des spectres, des figures sinistres. Charles est dépeint sous un jour absolument terrible. La reine est une vieille peau de vache entourée de ses corgis. En dehors de Maggie, seuls les fils de la princesse peuvent encore lui procurer de la joie. Le chef cuisinier MacGrady (touchant Sean Harris) lui prête une oreille attentive et compatissante. Le major Gregory (ombrageux Timothy Spall) est plus ambigu mais s'avère discrètement protecteur. Au fond, Diana est une petite fille, elle est terrorisée par cette cour, ses règles strictes, ce château qui est une cage dorée. Elle étouffe et Pablo Larrain, par sa mise en scène, précise, nous communique cette sensation. Même si, donc, on n'apprécie pas Diana, on finit par compatir.

Mais surtout on voit que Steven Knight a injecte une malice inattendue dans son script, comme en témoigne la fin. Un dénouement à la fois libérateur et mélancolique, absolument superbe, délicat. Tout à coup, c'est comme si les portes de la prison s'ouvraient en grand et que sa détenue prenait son envol. Comme on dit, ça met les poils.

Hormis Sally Hawkins impeccable de délicatesse dans le rôle de Maggie, tout Spencer est porté, littéralement, par Kristen Stewart. On ne l'a jamais vue comme ça et si son interprétation, totalement confondante de mimétisme, lui a valu le Golden Globe de la meilleur actrice, comment expliquer que l'Académie ne lui ait pas décerné l'Oscar dans la foulée ? C'est insensé que celle qui est probablement la meilleure actrice, en tout cas la plus audacieuse, de sa génération n'ait pas encore décroché le graal dans sa profession. Si Emma Stone et Jennifer Lawrence ont eu la statuette, Stewart devrait l'avoir aussi depuis longtemps.

D'ailleurs, elle fait plus que ressembler à son modèle : c'est réducteur de le qualifier ainsi. Comme toute grande actrice, elle ne s'efface pas complètement derrière son rôle, juste pour la performance. Il y a toujours dans son regard une étrange lueur, parfois affolée, parfois rieuse, parfois triste, parfois orgueilleuse. Elle joue sa partition non pas pour singer Diana, la reproduire fidèlement, mais en s'alignant sur l'aspect film de genre : elle compose un personnage qui s'appelle Diana Spencer, princesse de Galles, mais dans une histoire qui sort de son orbite, qui n'est pas amidonnée, qui s'aventure dans l'effroi, presque le fantastique. Et c'est là qu'elle est forte, Kristen Stewart - peut-être trop pour un Oscar en fait : si elle s'en était tenu à la performance, peut-être aurait-elle gagné l'Oscar. Sauf qu'elle joue avec un subtil décalage, refusant de s'effacer derrière Diana.

Pablo Larrain est décidément un magicien : ses vrais faux biopics sont captivants et imprévisibles. Il tire de ses comédiennes des interprétations extra-ordinaires. Et il emballe ça en 100' montre en main, laissant le spectateur ébloui par ce drôle de trip.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire