Charles est livreur de pizzas, il est fils unique et célibataire - ce qui fait le désespoir de sa mère dont les amies estiment qu'il est trop mou. Un soir, après avoir été percuté en vélo par un chauffard, il s'arrête chez un client qui se plaint du service avec virulence et le prévient qu'il va lui infliger une mauvaise évaluation.
Accablé, Charles traîne son vélo abîmé sous la pluie quand il remarque sur la vitrine d'un bar une annonce. Il entre et postule à la place de serveur, mais la barmaid et patronne de l'établissement lui fait remarquer que seules les femmes viennent ou travaillent là. Toutefois, Jasmine le prend en pitié et lui permet de s'installer pour boire un verre.
C'est là que Paola, une habituée, entre à son tour et remarque aussitôt la présence du jeune homme. Jasmine ironise en disant que c'est tout à fait le style de garçon qu'elle apprécie, un sympathique loser. Paola s'installe à la table de Charles et engage le conversation. Charles, d'abord surpris, se détend grâce aux efforts déployés par cette charmante jeune femme.
Paola entraîne Charles chez elle et il remarque sur une table de travail des éprouvettes : elle est chimiste pour l'E.S.A. (l'Agence Spatiale Européenne). Puis ils passent au lit et font l'amour, mais Charles est trop excité et, gêné, s'endort aussitôt après. Lorsque Paola s'est assoupie, il file discrètement, non sans s'être désaltéré avec une boisson au goût écoeurant dans le frigo. Il n'aurait pas dû car le lendemain, une surprise de taille l'attend qui va bouleverser à tout jamais son existence...
Tout d'abord, je sais que ces derniers temps les critiques de comics ont disparu de ce blog. La raison en est simple : les achats que j'ai faits en la matière ne sont pas des sorties récentes et je n'ai encore rien lu (à part des romans - je sais que j'avais prévu rédiger des critiques de romans en démarrant ce blog, mais je ne trouve jamais le temps ou l'inspiration).
Ajoutez à ça une certaine lassitude concernant les récits super-héroïques, ou plus exactement une déception globale. J'ignore si c'est passager ou si ça va durer, seul l'avenir nous le dira. Mais bref, je n'avais rien à écrire sur les comics. Et donc le seul illustré que j'ai lu, c'est celui dont je vais vous parler à présent : Mou, de Benoît Feroumont, publié par Dupuis.
Feroumont est un auteur avec plusieurs casquettes : il a d'abord travaillé dans le domaine de l'animation graphique avant de se consacrer à la BD. Ses débuts n'ont pas été couronnés de succès, avec les deux tomes de Wondertown (écrits par Fabien Vehlmann). Puis dans les pages du magazine de Spirou, il a créé sa propre série, Le Royaume, qui est devenu un titre de plus en plus apprécié.
En parallèle, Feroumont s'est créé un double, Gracy Grimp, pseudonyme sous lequel il poste sur les réseaux sociaux des dessins plus érotiques, qui ont fini par lui inspirer un récit complet, Gisèle et Béatrice, récemment réédité avec des bonus. C'est dans ce registre-là qu'on le retrouve aujourd'hui avec Mou.
On y suit donc Charles, un jeune homme timide et malchanceux, qui rencontre Paola, une jolie chimiste, avec laquelle il passe une nuit avant de se carapater. Mais avant de quitter l'appartement de cette dernière, il avale une boisson dans son frigo, au goût affreux. Il n'aurait pas dû ! Le lendemain, il se réveille, changé en une espèce de mollusque bleu, s'exprimant par borborygmes, et surtout incapable de recouvrer son apparence humaine, vite chassé de chez lui par sa mère, obligé de fuir par les canalisations !
Contrairement à Gisèle et Béatrice qui développait une situation en quasi huis clos, la mésaventure de Charles va le conduire en plusieurs endroits, à la rencontre de plusieurs personnes. Car s'il ne ressemble plus à grand-chose désormais, il va découvrir que son état lui permet de combler bien des désirs, y compris les siens, comme jamais il n'aurait pu le faire avant sa métamorphose.
Feroumont multiplie les situations à la fois drôles, bizarres, érotiques, mais aussi intenses, dramatiques, avec une imagination débridée. Il est absolument impossible de prévoir ce qui va se passer, le lecteur est constamment surpris par ce que l'auteur fait de son héros mou. Et comment il tord le cou à ce qualificatif péjoratif.
Car Charles qui était pointé du doigt pour sa mollesse était surtout un grand timide, insécure. Devenu un poulpe bleu, cette même mollesse devient un atout insoupçonné, que les femmes en particulier exploitent pour leur plaisir sexuel, leur besoin de tendresse, leurs fantasmes divers. Parfois, cela déplaît quand même à Charles, comme quand il tombe entre les mains d'une dominatrice qui veut l'encager. Mais le plus souvent, le récit est une ode à l'hédonisme et à la différence, au plaisir et à la déviance, à l'acceptation et à la tolérance.
On reconnaît bien là le ton si personnel de Feroumont qui adore croquer avec tendresse, bienveillance mais aussi malice les outsiders (dans Le Royaume, son héroïne était une jolie tenancière, maîtresse du régent de sa province, mais surtout farouchement attachée à son indépendance). C'est une BD feel good, marrante, inventive, qui progresse crescendo et s'achève de façon... Sidérale !
Le dessin de l'artiste déjoue aussi les attentes : il n'appartient pas à la tradition des "gros nez" de la bande dessinée franco-belge, et on voit que Feroumont s'est formé dans le dessin d'animation. Ses personnages sont très expressifs, ses décors dépouillés, son découpage vise l'efficacité, le rythme est infernal.
Comme il s'entraînait à le faire en tant que Gracy Grimp, les filles qui peuplent le récit sont toutes jolies à croquer mais surtout très variées dans leur physionomie, leur look. C'est un régal car justement la BD franco-belge a longtemps cantonné les femmes à des rôles de faire-valoir, au physique avantageux mais indistinct, sans grande personnalité. Lire un album de Feroumont compense des décennies de paresse créative en la matière.
Quant à son "poulpe de l'amour", si le dessinateur a simplifié au possible son aspect initial, il se déchaîne ensuite pour montrer ses capacités. Son apparence monstrueuse, difforme, devient vite attachante, étonnamment sympathique, rigolote sans être bêtement grotesque. On peut trouver dérangeant, perturbant qu'une telle créature fasse ce qu'elle fasse, soit utilisée comme elle l'est, mais l'écriture narrative et graphique se dispense de tout jugement et invite le lecteur par-là même à ne pas s'arrêter au plan visuel pour épouser pleinement un propos compatissant et positif.
L'album compte une centaine de pages, et j'aurai apprécié que Dupuis l'agrémente de quelques bonus, comme les croquis préparatoires de l'artiste, voire de quelques annotations (Feroumont a quand même débuté le projet durant la pandémie et le confinement, ce qui signifie une maturation assez longue et donc des coulisses abondantes).
Mais en l'état, c'est une chouette BD, qui ravira les fans de l'auteur, et fera découvrir à ceux qui ne le connaissent pas (ou peu) une autre facette des singulier talent pour des histoires atypiques et jubilatoires.
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