dimanche 7 juillet 2024

THE NICE HOUSE ON THE LAKE, TOME 2 (James Tynion IV / Alvaro Martinez Bueno)

Attention ! Ce qui suit contient (évidemment) des spoilers (concernant le tome 1).


Walter a effacé la mémoire de ses invités et vit à présent de nouveau avec eux dans la maison près du lac. Norah Jacobs, elle, a disparu, mais personne ne s'en est rendu compte : elle est en vérité détenue dans la seconde maison. Par le passé, elle et Reginald Madison, qui a intégré le groupe, étaient les deux plus proches et anciens amis de Walter. Mais celui-ci , lorsqu'il a rencontré Molly Reynolds, en est tombé amoureux (et réciproquement), sans que cela aille plus loin (Molly fréquentant déjà quelqu'un à l'époque).


Cette relation inaboutie, Walter ne l'a jamais accepté. Il a reporté son amour sur Reginald qui l'a considéré davantage comme une marque de grande amitié. Puis le duo est devenu trio avec Norman, bien avant sa transition en tant que Norah. Au présent, Walter encourage ses invités à accepter leur situation et Reginald à concevoir une annexe à la maison : celle-ci comportera un spa (pour Arturo), un observatoire (pour Veronica), un studio. Mais pas d'antenne radio comme souhaite en construire Veronica qui espère toujours pouvoir communiquer avec d'éventuels survivants à l'extérieur.


A la nuit tombée, Walter rend visite à Norah dont il souhaite qu'elle l'aide à maîtriser le groupe à distance. Il ignore que Ryan, qu'il ignore au profit de Reginald (tous deux sont artistes), le suit et finit par découvrir que Norah est retenue dans la seconde maison et lui fournit des informations sur les manigances de Walter. Ce dernier est préoccupé par le dilemme qui se pose à lui désormais : ses invités veulent retrouver leurs vies d'avant, mais s'il leur révèle sa manipulation pour les avoir sauver de la fin du monde, ils le haïront...


Les jours passent. Les invités prennent possession de l'annexe et lors d'une séance d'acupuncture avec Reginald, Arturo et lui font une découverte bouleversante. Idem pour Ryan, qui continue ses filatures nocturnes avec la complicité de Norah à laquelle Walter décide de montrer les coulisses - ce qui va avoir des conséquences gravissimes...
 

Suite et fin de cette mini-série, ce tome 2 reprend les choses là où le tome 1 les avait laissées, avec un twist narratif audacieux. Je ne peux hélas ! guère faire autrement que vous le révéler pour produire une critique digne de ce nom, sauf à risquer des circonvolutions analytiques qui seraient imbuvables.
 

Donc : Walter, constatant que la situation les échappait avec les retrouvailles de son groupe d'amis et Reginald qu'il détenait à l'écart dans la deuxième maison, a effacé de la mémoire de tous ce qu'ils avaient découvert. Pour conserver le nombre de dix personnes assignées à résidence comme l'expérience qu'il mène le lui oblige, il fait de Norah sa nouvelle captive et vit désormais avec ses invités. Mais il va vite se rendre compte que cette astuce n'est pas viable...


Il faut préciser un détail au sujet de la narration de la série : chaque épisode s'ouvre par un flashforward où un des invités apparaît dans un décor apocalyptique (qui s'avère être la propriété dans laquelle se trouve la maison près du lac) et s'adresse directement au lecteur pour évoquer sa rencontre et sa relation avec Walter. On découvre alors deux choses essentielles :

- 1/ que, visiblement, dans le futur, c'est chacun pour soi, le groupe a implosé, tous les membres sont en mode survivor. Peut-être que chacun se cache plus ou moins des autres qui s'entretuent. En tout cas, la maison est en ruines, un incendie gigantesque brûle tout autour.

- 2/ dans le passé, Walter, Norman/Norah et Reginald formaient le trio fondateur du groupe. Walter en a fait ses confidents et ses premiers amis. Norah a en quelque sorte participé à l'élaboration d'un projet post-fin du monde tandis que Reginald a conçu l'endroit où ils pourraient vivre en étant protégés. Walter a matérialisé cet endroit qui est la maison près du lac, tout en y ajoutant des éléments non communiqués à Norman/Norah et Reginald (la seconde maison, la vérité sur la fin du monde). 

La nature manipulatrice de Walter trouve son apogée première quand Molly Reynolds la comptable, qu'il a rencontrée il y a 16 ans (il a rencontré Norman/Norah il y a 19 ans et Reginald il y a 18 ans), lui a avoué ses sentiments tout en ajoutant que c'était sans espoir puisque Walter était bisexuel et qu'elle fréquentait déjà quelqu'un. Or Walter n'a jamais digéré que Molly aime quelqu'un d'autre, même si lui était attiré par elle ET Reginald.

On voit donc que ce qui se joue actuellement dans la maison près du lac trouve ses fondations loin dans le passé et s'est noué autour d'une affaire sentimentale, d'un triangle amoureux frustrant. Mais évidemment tout le projet de Walter ne saurait se résumer à cela. Il est un extra-terrestre en mission, mission qui comprend la sélection de dix individus aux capacités extraordinaires incarnant toutes les facettes de l'humanité.

On en a une illustration littérale quand il dévoile les Coulisses à Norah, entendez : une sorte de poste de commandement, une salle de réglages depuis laquelle il peut concevoir aussi bien le climat environnant la maison qu'altérer la personnalité des invités, leurs capacités physiques (donc leur vitesse de guérison - on sait que personne ne vieillit ni ne peut mourir dans le secteur). Ces commandes sont le vrai levier du pouvoir de Walter et vont devenir un objet d'âpres négociations avec Norah quand il va se rendre compte que son tour de passe-passe est en train d'échouer comme ce qui s'est passé dans le tome 1.

En fait, Walter, comme le lui prouve Norah, est face à un dilemme qu'il ne peut résoudre seul : Naya en est la synthèse. C'est une femme médecin brillante mais depuis qu'elle est coincée dans la maison avec les autres, elle n'a plus l'occasion d'exercer ses talents (puisque personne n'est malade, ne peut se blesser, ne peut mourir). Elle est réduite à faire la cuisine. Et elle le confie à son compagnon, Rick, en lui disant que sa vie d'avant lui manque car son rôle ici est une régression.

Donc Walter a un problème : bientôt, tous ses invités éprouvent la nostalgie de leur vie antérieure et il est le seul à pouvoir leur révéler ce qui s'est passé, ce qu'il a fait. Mais s'il l'avoue, ils vont le haïr. Or il ne peut supporter l'idée d'être rejeté et redoute ce qui arriverait si ses supérieurs apprenait que l'expérience est un échec.

James Tynion IV renverse à nouveau la table dans une séquence magistrale où, d'un côté, les invités découvrent (à nouveau) qu'ils ne peuvent pas mourir et s'amusent à se tirer dessus pour voir ce que ça fait de mourir et ressusciter, et de l'autre, Ryan accède à la salle des commandes, tente de s'en servir et provoque malgré elle un drame. La situation devient hors de contrôle pour un tas de raison que je ne vais pas détailler mais qui s'enchaînent d'une manière absolument remarquable et inéluctable. La série entre alors dans sa dernière ligne droite et culmine avec une conclusion aussi diabolique qu'implacable.

Encore une fois, le scénariste convoque les motifs de la télé-réalité et des jeux d'enfermement, quoique de manière plus détachée, moins directe (pour éviter le phénomène de répétition), et s'inspire de la construction de la série Lost, avec un deuxième acte où tout est remis en question mais où rien n'est résolu. C'est très malin, très bien tourné, et surtout en relisant ça  d'une traite, j'ai bien mieux apprécié le tour de force narratif de Tynion IV. Là, oui, cette fois, The Nice House on the Lake m'est réellement apparu comme le chef d'oeuvre qu'il est, loin des frustrations engendrées par les retards des single issues qui m'obligeait à chaque fois à un effort conséquent pour replonger dans cette intrigue si riche.

Visuellement, on reste aussi sur du très lourd. Alvaro Martinez Bueno se surpasse encore, aussi incroyable que cela puisse paraître. Il s'est mué une nouvelle fois en brillant architecte pour concevoir l'intérieur de la seconde maison mais aussi de l'annexe époustouflante de la première. La composition des images et des planches (souvent des doubles pages superbement découpées) met en valeur ces espaces intérieurs.

Il faut aussi dire un mot sur l'expressivité des personnages, leur langage corporel, leurs mimiques, leurs attitudes. On se rend vraiment compte à quel point dessiner une BD demande à l'artiste d'être comme un metteur en scène capable de jouer avec les décors, les acteurs, mais en plus de ce qui se fait au cinéma, avec la taille des vignettes. Les pages ne sont pas un écran de cinéma, ni même un split screen, c'est un effort pour rendre tous ces éléments dans l'image et autour à la fois cohérents, lisibles, clairs, efficaces, fluides.

Et comme pour un directeur de la photo, la contribution du coloriste est déterminante. Jordie Bellaire a opté, je l'ai dit, pour une palette très originale, anti-naturaliste au possible, qui peut rebuter certains, mais participe pleinement à l'ambiance, à la tension, au mystère de cette histoire. Ces parti pris sont captivants, très culottés, mais payants. Bellaire ajoute quelque chose au dessin déjà épatant de Martinez Bueno. Je sais qu'il existe une version album en noir & blanc de The Nice House on the Lake, mais pour moi, c'est une aberration, comme lire Batman : Year one sans les couleurs de Richmond Lewis. Comme cette dernière, ce que fait ici Bellaire est indissociable de l'identité visuelle de The Nice House on the Lake : publier les planches sans ses couleurs a quelque chose d'absurde et même d'honteux.

Je suis vraiment curieux de lire The Nice House by the Sea. Plus encore après avoir relu The Nice House on the Lake. C'est un sacré pari pour l'équipe artistique, aussi bien pour le scénario que pour le dessin. Si Tynion IV et Martnez Bueno et Bellaire se répètent, même à peine, cela se verra tout de suite. Mais, en revanche, s'ils réussissent, ce dont ils sont tout à fait capables, de développer ce qu'ils ont entrepris tout en innovant, en surprenant, alors cette drôle de suite sera passionnante.

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