samedi 20 juillet 2024

MUGSHOTS #1 (Jordan Thomas / Chris Matthews)

 

Brighton. Mary et Allan ont une fille unique, Grace. Un soir, elle sort rejoindre son petit ami, Ian Woods, mais elle est kidnappée par deux hommes. Mary, contre l'avis d'Allan, appelle son frère John pour les aider à retrouver Grace. Mais John ne revient pas de gaieté de coeur après six ans d'absence : Harry Woods, le père de Ian, veut sa peau et c'est lui qui est le boss de la pègre locale...



Ce premier épisode d'une mini-série en quatre numéros bimestriels est sorti au mois de Mai dernier. Pourquoi ne vous en ai-je pas touché un mot tout de suite ? Sans doute parce que je voulais être sûr de mon coup. Sûr que ça me plairait assez pour acquérir le deuxième épisode, qui est paru ce Mercredi.


Sans entrer dans les détails, parce que ce n'est pas l'endroit pour ça, je traverse une drôle de passe en matière de lecture de comics. Un sentiment de lassitude, des déceptions qui m'ont miné, un manque de motivation... C'est aussi pour cela que, ces derniers temps, ce blog a surtout été réservé aux critiques de films.


Il y a comme des espèces de cycles dans une vie de lecteur (et a fortiori, je crois, de critique), où le plaisir vous fuit, où il faut tenter de nouvelles choses pour renouer avec ce plaisir. C'est mon cas actuellement où les super-héros ne suffisent plus à me combler, sauf en de rares exceptions. Et où ce que proposent les "Big Two" ne laissent parfois sur ma faim.


Heureusement, il reste les autres éditeurs, les indépendants, même si tous ne méritent pas ce qualificatif (car ils sont aussi puissants que Marvel et DC en vérité). Mais prenez Madcave Studios : je n'ai jamais lu un de leurs comics jusqu'à Mugshots et j'ai bien fait d'écouter les recommandations de mon libraire. Car Mugshots, c'est pile ce qu'il me fallait.


Je ne suis sûrement pas le seul à qui Darwyn Cooke manque terriblement. Il nous a laissés des livres merveilleux, mais ça fait maintenant huit ans qu'il n'est plus là, et il n'avait que 53 ans quand il est parti. C'est insensé. Or, en lisant Mughsots #1, impossible de ne pas penser à lui, et en particulier à sa série d'adaptations de Parker d'après Richard Stark.

Tout est là pour qu'on y pense : le dessin de Chris Matthews avec ce trait simple, économe, tout droit sorti d'un cartoon, avec une palette de couleurs réduites à l'essentiel, qui elle aussi renvoie à Parker, du bleu et du orange. Mais Matthews n'est pas un copiste : c'est un sacré bon narrateur et s'il a à l'évidence lu et étudié Cooke, il en retenu ce qu'il fallait. Un découpage dynamique, des personnages expressifs, un sens de la composition raffiné, des ambiances intenses.

Le récit suit John Bannan, un escroc qui n'hésite pas à trahir ses complices pour échapper à plus fort que lui. Il a quitté Brighton il y a six ans après avoir eu des démêlés avec Harry Woods, le boss de la père local, un dur-à-cuire, fort comme un taureau, cruel comme pas un. Il a laissé derrière lui sa soeur, Mary, marié à un brave type, un peu frustre mais aimant, Allan, et leur fille unique, Grace. Mais Grace fréquente Ian Woods, le fils de Harry, également impliqué dans les magouilles de son père. Et Grace a disparu, kidnappée...

Jordan Thomas place se pions dans ce premier épisode : comme chaque numéro ne sort que tous les deux mois, la pagination est un peu conséquente qu'un comic book ordinaire. Les auteurs ont proposé leur création à Madcave Studios pour garder les droits sur leur livre mais aussi parce que ce petit éditeur leur laissait le temps de travailler sans les contraindre à une périodicité classique mensuelle.

Et le scénariste en profite comme son dessinateur. On sent qu'ils ont soigné leur ouvrage, qu'ils l'ont conçu avec une ambition. Pour Thomas, l'histoire qu'il raconte a même quelque chose de très personnel : en effet, quand il était gamin, une jeune fille a été kidnappée dans le quartier où lui et ses parents vivaient. Ce fait divers l'a marqué et il a toujours eu envie d'en tirer un récit, mais il a laissé le temps à cette idée de mûrir, pour ne pas sombrer dans quelque chose de racoleur, pour ne pas donner l'impression de récupérer un drame réel.

Le contenu est très dense : il y a plusieurs personnages, de premier et de second plans, qui interagissent et forment une toile serrée. John, Mary, Allan, Harry bien sûr, mais aussi un gang de proxénètes albanais qui veut s'établir à Brighton et doit négocier âprement avec Woods, Matty et Stevie, les amis de John... Et ce n'est pas fini comme on le découvre dans l'épisode suivant.

Pourtant, Thomas et Matthews sont exemplaires dans la clarté de leur narration : le lecteur n'est jamais égaré car la caractérisation est efficace, l'action parfaitement développée, les rebondissements fréquents mais pas intempestifs. Tout ici est affaires de familles. Il ne s'agit pas seulement d'un récit noir, qui joue avec les codes du genre, mais aussi du passé qui remonte à la surface, du présent qu'on appréhende, et du futur qui menace.

Mugshots fait fort pour démarrer. Mais il fait surtout forte impression par la capacité de son duo d'auteurs à maîtriser son affaire. Voilà qui met en confiance, qui donne envie de lire la suite, et d'écrire dessus.

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