samedi 6 juillet 2024

THE NICE HOUSE ON THE LAKE, TOME 1 (James Tynion IV / Alvaro Martinez Bueno)


Un groupe de dix individus est invité par un ami commun dans une somptueuse maison au bord d'un lac. L'hôte s'appelle Walter et il a fait la connaissance de ses invités au cours des vingt dernières années, depuis leurs études à l'université jusqu'à des rencontres plus récentes. Tous exercent des professions très différentes, certains son en couple. Les plus proches de Walter sont Norah Jacobs (autrefois connu sous le nom de Norman) et Reginald Madison (qui est absent lors de cette réunion).


Après que chacun soit arrivé et ait découvert cette magnifique demeure, Walter arrive avec des provisions. Le soir venu, ils dînent tous ensemble et se détendent autour de la piscine avec un digestif. Ryan Cane, une artiste qui a été conviée à la place de Reginald et qui connaît Walter depuis seulement six mois, consulte les nouvelles sur son téléphone portable et découvre que des événements effroyables se produisent actuellement dans le monde.


Tout le monde se réunit devant la télévision qui confirment la situation apocalyptique. Walter est le seul à assister à tout cela d'un air étrangement détaché qui interpelle Ryan. Elle devine qu'il est impliqué dans ces catastrophes et il le confirme lorsque, après avoir été frappé par Norah, il révèle sa vraie nature : c'est un extraterrestre qui a sélectionné tous ses amis pour les protéger de l'attaque mondiale opérée par les siens, dans le cadre d'une expérience. Il n'en dira pas plus et se volatilise.


Le choc passé, et les jours puis les semaines passant, les dix invités tentent de composer avec ce qui leur arrive. Certes, ils sont à l'abri, mais tous leurs proches (famille, amis) sont morts, le monde est ravagé. La maison au bord du lac ressemble à une prison. Mais elle recèle aussi bien des surprises, dedans et dehors, qui vont progressivement les instruire sur les intentions de Walter...


Enorme succès aux Etats-Unis et en France, The Nice House on the Lake est une série à part dans les publications DC Comics. En effet, son histoire et ses personnages ne sont pas attachés à l'univers super-héroïque de l'éditeur, c'est un projet qui ressemble à un creator-owned (et qui l'est puisque les auteurs possèdent les droits de cette bande dessinée) mais qui est édité par DC.


Ce statut spécial tient à la place singulière qu'a réussi à occuper le scénariste James Tynion IV, une valeur sûre de l'éditeur, qui a notamment écrit Batman, la plus populaire des séries qui soit, pour un run bref mais suffisant pour qu'il persuade DC de le laisser développer ce projet. Il a ainsi pu y attacher le dessinateur Alvaro Martinez Bueno, avec lequel il avait collaboré sur Justice League Dark.
 

La vraie passion de Tynion IV n'est en effet pas les aventures des super-héros mais les récits horrifiques et conspirationnistes. Il a connu un triomphe dans ces registres avec les titres Something is killing the children (dessiné par Werther Dell'Edera), chez Boom ! Studios et Department of Truth (dessiné par Martin Simmonds) chez Image Comics. Et The Nice House on the Lake se situe exactement au carrefour de ces deux genres.

Ci-dessus : le casting de la série

La première fois que j'ai lu les douze épisodes de cette série, j'ai suivi ça mensuellement et j'avoue l'avoir un peu regretté car si au début tout est sorti à temps, la seconde partie du récit a connu des retards répétés qui ont gâché mon plaisir. Non pas que le résultat baissait en qualité, mais il fallait faire un effort conséquent à chaque fois pour se replonger dans une intrigue complexe au casting abondant et aux rebondissements multiples.

Cette fois, pour rédiger cette critique, j'ai pu profiter de l'édition française chez Urban Comics en deux albums de six épisodes chacun, ce qui m'a permis à la fois de lire à mon rythme mais sans cassure trop importante, et surtout en n'ayant pas à faire l'effort de traduire moi-même le texte, au risque de passer à côté de quelques subtilités. J'estime avoir un bon niveau pour lire l'anglais (sinon je ne suivrai pas autant de comics en vo), mais il y a toujours ce doute de manquer quelque chose dans le texte.

Tynion IV ne perd pas de temps pour entrer dans le vif du sujet : à la fin du premier épisode, la situation est posée, les personnages introduits, l'ambiance établie. L'action se déroule d'abord à raison d'un épisode par journée vécue par les personnages. Puis une ellipse nous propulse 27 jours après le début de l'histoire. Et enfin le tome s'achève à la fin du premier mois après le début. C'est un contexte que j'avais oublié et qui donne une perspective intéressante au récit, en l'inscrivant dans la durée et donc en offrant aux états d'âme des protagonistes un relief plus saillant (je pense notamment au personnage de Molly, qui songe à se suicider, mais aussi à celui de Ryan, qui comprend très vite qu'elle a été invitée pour remplacer quelqu'un alors qu'elle ne connait Walter que depuis six mois quand tous les autres sont ses amis depuis des années voir des décennies).

Les intentions de Walter sont suggérées : il est question d'une expérience et on saisit qu'il a en vérité sélectionné des personnes pour leurs qualités particulières, leur domaine de compétences professionnelles, leurs liens amicaux ou amoureux, leur genre, leurs préférences sexuelles, leur complémentarité ou leurs différences, etc. Et c'est là que se joue certainement l'identité la plus marquée de la série.

Voyez par vous-même ce que cela vous évoque : une dizaine de personnes, hommes et femmes, hétéros, homos, en couple, célibataires, dans une maison, isolés de tout, rassemblés dans des circonstances exceptionnelles mais ignorant la raison véritable de leur réunion, et devenant les acteurs d'un jeu et les jouets de leur hôte. Cela ne vous rappelle rien ? Si vous pensez à de la télé-réalité inspirée des jeux d'enfermement, comme Loft Story et ses succédanés, hé bien, The Nice House of the Lake, c'est ça. Une sorte de trip bizarre, inquiétant, horrifique, complotiste, une real TV qui tournerait très mal, dévoilerait des péripéties anormales, surnaturelles, spectaculaires, mises en scène par un alien puissant dans un cadre idyllique au premier abord mais vite cauchemardesque ensuite.

L'autre influence manifeste, c'est la série télé Lost. Remplacez l'île mystérieuse par la maison au bord du lac et vous obtenez un récit similaire, avec une bonne dose de fantastique, des personnages finement caractérisés, une intrigue à tiroirs. Lost avait inventé quelque chose d'unique à son époque et même si, au fur et à mesure des saisons, le charme a moins agi, l'histoire s'égarant dans des mystères de plus en plus fumeux pour aboutir à des explications capillotractées, sa construction, sa structure narrative a imprégné l'imaginaire collectif et James Tynion IV s'inscrit à l'évidence dans ceux qui ont été fortement inspiré par cette série. D'ailleurs, dans quelques semaines débutera la publication de la suite, qui n'en est pas vraiment une, plutôt un deuxième volume de douze épisodes à nouveau, mais avec des personnages inédits, un nouveau décor, intitulé The Nice House by the Sea. A voir comment le scénariste développera tout ça et comment il reliera les deux mini-séries sans se répéter...

Pour l'occasion il retrouvera Alvaro Martinez Bueno qui, à l'époque, avait complètement changé de style. Cela passait d'abord par l'absence d'un encreur (exit Raul Fernandez) et un nouveau coloriste (exit Brad Anderson). Martinez Bueno a employé ce qu'on appelle des techniques mixtes, avec du dessin traditionnel, des effets numériques, et une large place accordée à Jordie Bellaire pour la colorisation.

Cela donne un mélange d'abord étonnant, déroutant, mais virtuose. Martinez Bueno a toujours été un très bon dessinateur, mais en assumant dessin et encrage et en mixant les techniques comme il le fait ici, il obtient des images tout à fait étonnantes, avec un trait plus délié, qui peut faire parfois penser à du Gene Colan, l'archétype de l'artiste difficile à encrer tant son dessin était nerveux, jeté, mais difficile avec les moyens d'impression de l'époque à reproduire.

Outre le travail considérable qu'a dû nécessiter le casting (concevoir dix personnages distincts, mais identifiables), Martinez Bueno a accompli une vraie performance graphique avec la conception de la maison, qui est un autre personnage à part entière, peut-être même le personnage principal. Il a dû élaborer un plan complet pour une maison qui puisse exister, avec un mobilier très fourni et varié, et des extérieurs crédibles, réalistes, luxueux. Le résultat est tout simplement époustouflant. Il a aussi créé les sculptures si particulières qui entourent la demeure et la seconde bâtisse qu'on découvre avec les explorations menées par le personnage de Sam Nguyen. 

Les couleurs de Jordie Bellaire achèvent de donner à The Nice House on the Lake ce cachet si spécial. Cette professionnelle que toute la profession s'arrache a vraiment pu apporter sa touche au projet et pas simplement colorier les dessins somptueux de Martinez Bueno. La palette qu'elle a développée est exigeante et peut rebuter certains lecteurs qui trouveront les teintes trop saturées, trop agressives. Mais il faut reconnaître que si on apprécie cette contribution, alors Bellaire confère au projet une identité visuelle très puissante, très intense, comme on n'en voit nulle part ailleurs.

Il ne faut donc pas s'étonner du retentissement critique et commercial qu'a connu la série, primée des deux côtés de l'Atlantique (y compris à Angoulême où on sait que les comics sont toujours toisés avec condescendance). Le public, toutes catégories confondues, a apprécié cette proposition qui allie l'efficacité américaine à une sensibilité européenne (si tant est que tout ça veuille encore dire quelque chose) : en un mot la qualité brute et distinguée à la fois. Est-ce que le tome 2 confirme cette bonne impression ? On en reparle très vite, avant la sortie du premier épisode de The Nice House by the Sea...

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