lundi 15 juillet 2024

DESERT HEARTS (Donna Deitch, 1985)


1959. Vivian Bell, 35 ans, professeur d'anglais à l'université Columbia de New York, arrive à Reno, Nevada, pour s'installer au ranch tenu par Frances Parker, qui y accueille des femmes en instance de divorce. Cette grande intellectuelle bourgeoise est mal à l'aise et s'isole la plupart du temps dans sa chambre pour rédiger le texte d'une conférence qu'elle doit donner.


Peu de temps après son arrivée, Vivian fait la connaissance de Cay Rivers, une jeune sculptrice libre d'esprit, qui vit dans une aile du ranch. Frances l'a élevée comme sa propre fille car elle était la maîtresse de son père, Glen, et sa mère biologique l'a abandonnée. Cay travaille dans un casino à Reno où elle subit les avances de son supérieur, Darrell.


Vivian est décontenancée par Cay et son insouciance vis-à-vis de l'opinion que peuvent avoir les autres à son sujet : elle ne cache pas ses liaisons amoureuses et sexuelles avec d'autres femmes. Ce qui déplaît à Frances car elle a peur que Cay finisse par partir. En voyant Vivian sympathiser avec Cay, elle devient désagréable avec sa résidente.
 

La meilleure amie et collègue de Cay, Silver, se fiance et après la fête donnée à cette occasion, Vivian accepte de suivre Cay jusqu'à Pyramid Lake. Un orage les surprend et elles se réfugient dans la voiture où Cay embrasse Vivian. Celle-ci lui rend son baiser avant de la repousser, déstabilisée par ce qu'elle ressent mais aussi inquiète à l'idée que cela se sache, ce qui pourrait compliquer sa procédure de divorce...


Comme disait Lenny Bruce : "J'ai une amie lesbienne et nous avons un point commun : nous aimons les femmes.". Non, blague à part, deux des films que j'ai le plus aimés depuis le début de cette année mettent en scène des couples de femmes : Drive-Away Dolls et, surtout, Love Lies Bleeding
 

Je n'ai pas regardé ces films pour me rincer l'oeil, ni mu par une sorte de curiosité un peu malsaine, voyeuriste. Mais d'abord parce que, dans un cas (Drive-Away Dolls), c'était le film d'un réalisateur que j'apprécie (Ethan Coen), et dans l'autre (Love Lies Bleeding), un film avec une actrice que j'adore et admire et respecte (Kristen Stewart).


Après avoir vu ces deux longs métrages, j'ai remarqué qu'il était fait mention dans certaines critiques d'un film des années 80, Desert Hearts, considéré comme une sorte de document puisque c'était la première fois qu'on y voyait un couple de femmes qui ne finissait pas mal, qui "désensationnalisait" le sujet. J'ai cherché ce film et j'ai fini par le trouver et le regarder.

En soi, c'est effectivement un objet un peu gauche, emprunté, mais aussi fondateur, historique. Il s'agit de l'adaptation d'un roman de Jane Rule que la réalisatrice, Donna Deitch, souhaitait porter à l'écran justement dans le but de dédramatiser une romance lesbienne. Encore fallait-il pouvoir le financer et ce ne fut pas aisé : elle mit six ans à monter son projet en usant de ruse et en comptant sur des mécènes.

Une organisation fédérale indépendante du gouvernement, le NEA (National Endowment for Arts) libéra une subvention de 20 000 $, des investisseurs immobiliers ajoutèrent 15 000 $, Deitch hypothéqua sa maison, mais c'est un argentier gay qui organisa une collecte de fonds pour compléter le budget de 1, 5 M $ - un exploit d'avoir réuni une telle somme puisque, ça va sans dire, aucun studio ne voulait produire Desert Hearts, même si la Samuel Goldwyn Company le distribua en exigeant que soit couper la scène d'amour entre Vivian et Cay, ce que Deitch refusa.

Ensuite il fallut trouver les actrices : aucune vedette ne voulut risquer sa carrière en jouant une lesbienne. Patricia Charbonneau fut la première à être auditionnée et choisie. Puis Helen Shaver passa un test avec elle, bien que son entourage le lui déconseilla au prétexte qu'elle allait être grillée dans le milieu pour avoir joué un rôle comme ça.

Le tournage fut bouclé en un mois et il fallut recréer le casino dans une annexe désaffectée car l'établissement visé ne voulait pas être associé à cette histoire. La fameuse scène d'amour fut tournée à la toute fin avec le directeur photo et le perchiste comme seul technicien dans la pièce et il était stipulé que les actrices ne seraient pas filmées en-dessous de la taille.

Tout ça pour dire que, heureusement, les choses ont bien changé depuis mais que Desert Hearts fut un film pionnier. On était à des lieues de La Rumeur de William Wyler (1961) avec Audrey Hepburn et Shirley MacLaine... Aujourd'hui on peut intégrer des héroïnes lesbiennes à une comédie policière (Drive-Away Dolls) ou à un film noir (Love Lies Bleeding), sans que des actrices risquent d'être blacklistées pour ça. Même s'il y aura toujours des intégristes pour condamner ces longs métrages et la sexualité de leurs protagonistes.

Le livre de Jane Rule a été librement adapté par Natalie Cooper qui n'a pas hésité à couper de nombreuses scènes, à abandonner des intrigues secondaires. Pas seulement parce que cela aurait coûté plus cher, mais tout simplement parce qu'elle voulait se concentrer sur Vivian et Cay. La romancière trouva d'ailleurs le script "merveilleusement simplifié".

Et c'est cela qui séduit le plus, qui a le mieux vieilli : la narration est à la fois délicate et directe, l'histoire tient en peu de choses, les dialogues sont économes, et la mise en scène privilégie les moments brefs, souvent coupées par des fondus au noir. Mais Donna Deitch ne se cache pas derrière son petit doigt non plus. Simplement on sent qu'elle a coeur de ne pas choquer pour choquer, elle raconte ce qu'elle a dire avec tact, pudeur, retenue. Et c'est ce qui rend le point culminant du récit si fort et si beau. Comme je le disais plus haut, il ne faut pas regarder ça pour se rincer l'oeil, mais simplement comme une histoire d'amour, insérée ou pas dans un genre particulier, comme on le ferait avec un couple hétéro. 

Le jeu des actrices est impeccable, Patricia Charbonneau est très belle bien entendu mais jamais hyper-sexualisée, jamais montrée comme une espèce de fille irrésistiblement attirante. Helen Shaver apporte elle aussi beaucoup de nuances à Vivian, d'abord guindée, qui met beaucoup de temps à admettre les choses jusqu'à ne plus pouvoir objecter. Ces deux comédiennes ont ouvert la voie à Thelma & Louise, Bound, et toutes les romances gays féminines depuis.

Aujourd'hui Desert Hearts est devenue une pièce de musée, littéralement, puisque projeté au MOMA, mais aussi restaurée à l'occasion de sa sortie en Blu-Ray et sa copie originale confiée aux soins de la LGBT Preservation Film de l'UCLA. En 2016, Donna Deitch avait même lancé une campagne de financement participatif pour tourner une suite, mais qui n'a toujours pas vu le jour.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire