vendredi 5 juillet 2024

LES CRIMES DU FUTUR (David Cronenberg, 2022)


Dans le futur, on observe deux changements majeurs : d'un côté, des progrès significatifs dans le domaine de la biotechnologie qui permettent de contrôler les fonctions corporelles, et de l'autre, l'apparition du syndrome d'évolution accélérée qui voit le développement de nouveaux organes chez certains individus. C'est ce qui s'est produit avec un jeune garçon de huit ans, Brecken, qui peut consommer et digérer des matières plastiques. Sa mère, horrifiée, finit par le tuer en l'étouffant avant de prévenir son ancien mari et de se livrer à la police.


C'est aussi ce qui s'est produit chez Saul Tenser qui réalise des performances publiques avec sa partenaire Caprice, ancienne chirurgienne en traumatologie, qui opère les tumeurs qu'il développe. Au quotidien, Saul dépend d'appareillages complexes qui facilitent ses fonctions respiratoires et digestives. Le couple enregistre ces mutations auprès du Bureau National des Organes, dont l'une des fonctionnaires, Timlin, est fascinée par Tenser à qui elle explique que la chirurgie est comme une nouvelle expérience sexuelle remplaçant la pénétration et la masturbation.
 

Ce qu'ignorent Caprice comme Timlin, c'est que Saul collabore avec une brigade spéciale de la police qui lui demande d'infiltrer un groupuscule d'évolutionnistes radicaux dont le chef est le père de Brecken, Lang Dotrice. Celui-ci a conservé le corps de son fils pour que Caprice en fasse l'autopsie lors d'une des performances du couple afin de montrer la prochain stade de l'humanité et aussi de promouvoir des barres nutritives qu'il produit et qui altère le système digestif, parfois mortellement, et qu'il avait d'abord testées sur Brecken...
 

David Cronenberg a de la suite dans les idées. En efet, alors âgé de 27, en 1970, il signait son deuxième long métrage, déjà intitulé Crimes of the Future, mais cette version de 2022 n'en est pas un remake (l'histoire originelle suivait un dermatologue fou qui disparaissait subitement sans laisser de traces après la propagation d'une maladie causée par des produits cosmétiques). Puis il voulut d'abord appeler ainsi son long métrage de 1999, Existenz.


En 2003, re-belote : il écrit un script avec ce titre et prévoit de le tourner avec Nicolas Cage puis Ralph Fiennes, mais abandonne finalement ce projet. Pour le ressortir presque vingt après, remanié. Pour quel résultat ? Hé bien, disons qu'il y a des idées qu'il faut savoir arrêter de retoucher...


... En effet, à moins de considérer ces Crimes du Futur comme une "comédie noire" (comme nous y invite une des accroches de l'affiche), il n'ya pas grand-chose à sauver de ce qui ressemble bel et bien à un naufrage. Cronenberg a désormais 81 ans et il paraît loin le temps où on pouvait encore espérer de lui des efforts dignes de ce nom.


Ce qui est le plus navrant ici, c'est de voir à quel point Cronenberg semble s'auto-parodier. Il ressasse pathétiquement les mêmes motifs esthétiques, lui qui fut le maître du "body horror", mais dans une histoire qui part dans tous les sens et se finit dans une impasse affligeante.

En vérité le cinéaste est devenu ce qu'on attend de lui : l'invité régulier de festivals comme à Cannes où il était encore présent en compétition officielle cette année avec Les Linceuls, qui a embarrassé même ses fans les plus fervents alors que le sujet avait tout pour aboutir à un oeuvre poignante (puisqu'elle s'inspirait du deuil de Cronenberg qui a perdu sa femme en 2017). Et comme tous ces cinéastes-là, on n'attend plus guère qu'il joue toujours le même air, quand bien même il le joue faux.

C'est ce qui se passe dans Les Crimes du Futur où on suit Saul Tenser, un performer qui se fait opérer de tumeurs qu'il génère par sa partenaire chirurgienne. L'époque, indéterminée, nous renseigne, de façon plus allusive que claire, sur les progrès de la science et en même temps sur l'émergence d'une nouvelle sexualité inspirée par la chirurgie et la conceptualisation de la "beauté intérieure". A ce jeu-là, Tenser est comme une sorte de champion qui a fait de son corps et de ses mutations un objet artistique et fantasmatique.

Jusque-là, on est dans du Cronenberg classique mais de bonne facture, avec ce qu'il faut d'images dérangeantes, d'idées malsaines : le cinéaste recycle ses obsessions dans un cadre étrangement cheap, avec des accessoires en toc et des décors dépouillés. Mais il gâche le peu qu'il y a de bon en greffant à ce qu'il a déjà montré une intrigue policière bidon et qui ne mène nulle part. 

L'autre histoire concerne ce père dont le fils avait développé également une mutation et que sa mère a tué. Il aimerait que Tenser et Caprice intègre à une de leurs représentations l'autopsie de l'enfant pour que l'audience découvre le prochain stade de l'évolution, mais aussi pour promouvoir des barres nutritives potentiellement mortelles mais aussi capables d'accélérer ce processus. C'est glauque à souhait, mais surtout, et c'est plus embêtant, c'est bêtement complaisant dans le sordide.

Cronenberg fait encore du Cronenberg mais c'est grotesque et uniquement conçu pour espérer encore une fois choquer, puisque c'est son fonds de commerce quand il ne fait plus l'effort de raconter autre chose que ce qui en fait autrefois un auteur à succès (à partir de La Mouche, 1986). Le souci, c'est que, depuis tout ce temps, le public s'est habitué à ces provocations, à cette esthétique puisqu'il les a resservies régulièrement, que son propre fils (Brandon) les reproduit. Et que, faute d'un budget d'une inspiration suffisants, il ne convainc plus. Il y a désormais dans les films du cinéaste un côté toc, plastique, bon marché, qui fait plus ricaner que peur.

A force visiblement de ressasser cette histoire, il l'a vidé de sa substance pour en faire un mix improbable et indigeste et indigent de polar, de SF et d'horreur soupoudré de romance transgressive. Mais ça ne prend jamais. On s'ennuie ferme quand on ne rigole pas devant le ridicule de certaines situations.

Viggo Mortensen hérite donc d'un rôle deux fois attribués et visiblement pas dupe, il s'est amusé à se faire la tête de son metteur en scène, quand il ne déambule pas dans un accoutrement évoquant un ninja : c'est affligeant, surtout pour un acteur de sa trempe. Léa Seydoux promène sa moue mi-écoeuré mi lasse pendant tout le film, incarnant ce que beaucoup lui reprochent, c'est-à-dire celle d'une comédienne qui fait la gueule tout le temps. Kristen Stewart n'occupe qu'un second rôle mais elle nuance son jeu de manière plus intéressante avec un personnage trouble, troublant et troublé, dont ne sait pas quoi faire Cronenberg (la même histoire du point de vue de Timlin aurait eu un autre relief, celui qui fait défaut à tout le projet en fait).

Entre les cinéastes divas qui ne veulent pas faire le film de trop (Tarantino et son dixième opus) et les cinéastes qui insistent inutilement et s'abîment, David Cronenberg devrait donc songer à prendre sa retraite.

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