vendredi 26 juillet 2024

WHITE BIRD (Gregg Araki, 2014)


1988. Katrina "Kat" Connors a 17 ans quand sa mère, Eve, disparaît subitement sans laisser de traces. Femme d'une grande beauté, elle s'était mariée avec Brick, un homme ordinaire, et tenait le foyer de manière maniaque. Mais cette existence avait fini par lui penser, l'entraînant dans une dépression et des accès de colère imprévisibles.


Le lendemain, Kat et son père signalent la disparition d'Eve au commissariat. L'inspecteur Scieziesciez prend leur déposition tout en les prévenant que ce genre de situation est fréquent, mais il promet d'enquêter sérieusement. Avant cela, Kat couchait avec le fils de la voisine, le beau mais stupide Phil et cette relation déplaisait à Eve. En l'absence de son mari, elle tentait volontiers d'aguicher le jeune homme pour se prouver qu'elle était encore désirable - en vain.
 

D'ailleurs, Phil, après la disparition d'Eve, s'éloigna de Kat. Celle-ci raconte à l'inspecteur qu'elle a des informations à lui transmettre sur une possible liaison de sa mère pour passer chez lui. Mais il voit clair dans son jeu et ils couchent ensemble. Kat consulte une psy à qui elle avoue ne pas ressentir de peine, considérant sa mère comme une folle et son père comme un pauvre type, même si elle fait souvent le même rêve d'être au volant d'une voiture dans le blizzard et d'entendre la voix d'Eve.


1991. Kat revient voir son père durant un congé alors qu'elle est devenue une brillante étudiante. Brock fréquente une collègue de bureau, May, ce qui ravit sa fille. Elle revoit l'inspecteur qui, contrairement à ce qu'elle pensait, lui explique avoir enquêté pendant plus de deux ans sur la disparition d'Eve et fait de Brock son suspect n°1, mais sans pouvoir l'arrêter faute de preuves...


Pour qui a lu au moins un roman de Laura Kasischke, dont White Bird in a Blizzard (en vo) est un des fleurons, le potentiel cinématographique de son oeuvre est évident. Gregg Araki a adapté, réalisé, monté et produit ce film pour un résultat à la fois fidèle et singulier.


Kasischke est une sorte de spécialiste de ce genre d'intrigues ancrés dans le banal d'où va surgir l'horreur. Il ne s'agit pas d'une horreur à la Stephen King, mais plutôt d'un tournant dramatique, tragique, qui va percuter les personnages et les traumatiser durablement. A cet égard, son roman le plus dérangeant et noir est sans doute A Suspicious River (mais je vous déconseille de commencer par celui-ci. Essayez d'abord Les Revenants, son chef d'oeuvre).


Sur l'affiche, tout est pratiquement dit : Kat est une adolescente de 17 ans dont la mère disparaît brusquement sans laisser de traces. Cet événement sidère la fille et son père, un homme qu'elle juge elle-même sévèrement comme étant transparent et minable. Eve Connors l'avait épousée et était devenue une femme au foyer maniaque sombrant progressivement dans la dépression.

Sa fille, mignonne mais un peu rondouillette selon elle, a grandi d'un coup à la puberté, devenant ainsi sans le vouloir l'objet de la jalousie d'Eve. Celle-ci désapprouvait la liaison de Kat avec Phil, le fils de la voisine, moins parce qu'il était stupide que parce qu'il la désirait alors qu'elle était devenue invisible aux yeux des hommes. De manière pathétique, elle a essayé d'aguicher l'amant de sa fille avant de se volatiliser.

Que s'est-il passé ? Pendant quasiment la moitié du film, tout le monde semble s'en ficher. Kat ne pleure pas cette mère folle. Brock, le mari, semble abasourdi. La police en la personne d'un inspecteur chargé d'enquêter ne résiste pas la tentation de coucher avec Kat, pourtant encore mineure, quand elle va chez lui le séduire parce que son copain la néglige.

Et puis le récit fait un bond de trois ans dans le futur. Kat est devenue une jeune femme, brillante étudiante, qui profite d'un congé pour rentrer voir son père et ses amis. Brock voit une nouvelle femme, ce qui ravit Kat, heureuse qu'il refasse sa vie puisque Eve, elle en est convaincue, ne réapparaîtra pas. Elle, renoue avec le policier, qui lui fait alors une troublante confidence au sujet de l'affaire... Et c'est là que l'empreinte de Kasischke est la plus manifeste, dans ce moment de bascule où tout devient beaucoup plus suspect, inquiétant, paranoïaque.

Araki accomplit un travail d'adaptation remarquable, même s'il reste fidèle à son esthétisme léchée, avec des couleurs vives (comme le vert du maillot de bain d'Eve, le vert étant traditionnellement associé à la vie, la croissance, la fertilité, l'énergie : toutes notions qui semblent avoir fané chez Eve). C'est un peu comme si Douglas Sirk adaptait un roman noir et ce contraste donne au film une identité spéciale, artificielle. L'éclat de Eve qui dépérit peu à peu en même temps que l'éveil à la sexualité de sa fille, le maquillage aguicheur de Kat quand elle va chez l'inspecteur, le bleu digne d'un tableau de David Hockney de la piscine des Connors, et bien entendu le blanc aveuglant du blizzard des rêves de Kat...

Cette palette saturée disparaît au profit d'une autre plus nuancée et terne dans la seconde partie, avec le retour de Kat chez elle après trois années. Les scènes nocturnes se multiplient, les lumières sont plus tamisées, tout est fait pour suggérer (certes peu subtilement) que l'heure est aux soupçons puis aux révélations tardives. De fait, on peut juger que Araki s'assagit, devient même à son tour moins inspiré, que le film tout entier se mue en quelque chose de plus académique. Mais je pense que c'est une évolution logique, que continuer comme le premier acte n'aurait pas eu de sens : il fallait montrer l'ellipse, et préparer le dénouement. Qui est effectivement glaçant...

Pour cela, White Bird me paraît réussi, même si non dénué de défauts, en ce sens qu'il conserve l'essentiel du style si particulier de Kasischke tout en l'illustrant de manière personnelle, celle d'Araki, dont les précédents opus (comme Kaboom ou la trilogie "Teen Apocalypse") avaient déjà ce look maniériste.

Cette réussite, le cinéaste la doit aussi à ses acteurs : dans des seconds rôles, Christopher Meloni et Thomas Jane sont remarquables. Angela Bassett est hélas ! moins bien servie dans un personnage de psy qui ressemble trop à une béquille scénaristique. Shailene Woodley est magnifique : cette jeune actrice est tellement naturelle qu'elle ancre constamment le film dans le réel, sa sensibilité, son jeu si délicat, en font l'interprète idéale de Kat. Quant à Eva Green, 34 à l'époque, elle est incroyable dans ce personnage d'épouse et de mère à la dérive, tout à fiat crédible face à Woodley qui n'a pourtant que 11 ans de moins qu'elle. Quand l'une ou l'autre sont à l'image ou ensemble, le film atteint des sommets.

White Bird est un petit bijou, vénéneux, fascinant, labyrinthique et vertigineux. 

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