lundi 29 juillet 2024

SAINT MAUD (Rose Glass, 2019)


Katie, une jeune infirmière, échoue à sauver un patient dont elle s'occupe, malgré une tentative de réanimation cardiorespiratoire. Quelque temps plus tard, elle a quitté l'hôpital où elle exerçait pour travailler dans le privé et elle changé de nom, se faisant désormais appeler Maud. Convertie à la religion catholique, elle pratique avec ferveur.


Maud prodigue des soins palliatifs à Amanda, une ancienne danseuse et chorégraphe américaine, qui s'est retirée dans une station balnéaire anglaise pour y vivre ses derniers mois, atteinte d'un lymphome de stade quatre. Amanda redoute qu'après sa mort plus personne ne se souvienne d'elle et de son oeuvre. Maud devient alors convaincue qu'elle a été chargée de sauver l'âme de sa patiente alors que cette dernière est athée. Elle lui explique sentir parfois, en elle ou autour d'elle, la présence divine et elles partagent un moment d'extase lorsqu'elles prient ensemble.


Mais Maud est contrariée par les visites de Carol, une jeune femme que Amanda a rencontrée en ligne et qu'elle paie pour avoir des relations sexuelles avec elle. Maud implore Carol de laisser Amanda profiter paisiblement du temps qu'il lui reste à vivre sans être divertie par les plaisirs de la chair. Carol interprète cela comme de l'homophobie mais Maud assure qu'elle dirait la même chose si Amanda fréquentait un homme.


Malheureusement, pour son anniversaire, Amanda convie plusieurs de ses amis, dont Carol. Remarquant le malaise de Maud, elle s'en moque et lui avoue n'avoir jamais cru en Dieu. Maud, vexée, la gifle. Elle est renvoyée sur-le-champ. Croyant que le Seigneur l'a abandonnée, elle s'en détourne en attendant qu'il lui envoie un signe pour la guider à nouveau...


J'avais prévu de parler d'un autre film, Robots, avec Shailene Woodley, mais je n'ai pas réussi à tenir plus de 3/4 d'heure devant cette comédie poussive. Alors je me suis dit qu'il était temps de regarder un autre long métrage que je gardais au chaud parce qu'il s'agissait du premier opus de la scénariste-réalisatrice de Love Lies Bleeding, sans doute ma meilleure expérience en 2024.


C'est en découvrant Saint Maud de Rose Glass que Kristen Stewart a voulu travailler avec elle, impressionnée par ce premier effort. Effectivement, c'est une oeuvre très impressionnante, et différente de Love Lies Bleeding, mais qui confirme que Glass est un auteur à suivre.
 

Cette histoire de nurse qui devient une dévote au chevet d'une mourante avant qu'elle ne soit congédiée et attende un signal de Dieu pour savoir quoi faire ensuite peut sembler barbante, résumée ainsi. Au pire, c'est un film sur la foi religieuse et ses excès, au mieux un film d'horreur psychologique, comme on en a vus beaucoup dans les deux cas. Mais comme disait Fox Mulder dans X-Files : "la vérité est ailleurs"...

Saint Maud est nettement découpé en deux actes, une construction si précise et radicale qu'elle est forcément casse-gueule car si une partie est plus forte que l'autre, le résultat est bancal et inabouti. Pourtant, Glass réussit un premier exploit en ne ratant aucune des deux étapes et même mieux : c'est parce que le film est comme scindé en deux qu'il fonctionne aussi fortement.

Katie/Maud est un personnage de toutes les scènes, l'histoire est racontée de son point de vue, et c'est là l'autre audace du film car il pose la question de ce qui distingue la folie de la foi. N'est-ce pas la même chose ? En tout cas, l'examen que fait la cinéaste de son héroïne interroge de manière dérangeante et singulière, dans la mesure où il ne s'agit pas de faire de son cas une généralité ni de l'intrigue un brûlot anti-clérical, mais bien le portrait d'une dévote qui ne sait plus penser autrement qu'à travers sa foi.

Au chevet d'une patient en stade terminale, elle se comporte avec rigueur, mais un trouble nous saisit quand se glisse entre les deux femmes une troisième en la personne de Carol. Soudain, l'attitude de Maud change : Carol l'indispose et si elle justifie cela en lui expliquant qu'il faut laisser Amanda profiter de ce qui lui reste à vivre paisiblement, on jurerait à cet instant qu'elle veut surtout dire que seule elle a le droit de s'en occuper. Tout come à Dieu, Maud voue un amour à  Amanda, mais en vérité c'est un amour exclusif, étouffant, dont elle veut exclure les autres.

Ce sentiment est souligné par le décor. Faute d'un budget conséquent, Glass s'appuie sur un cadre unique pendant la première moitié du film : la demeure victorienne d'Amanda est faiblement éclairée, elle ressemble déjà à une crypte, un mouroir. Les bruits y sont étouffés, on y parle à voix basse, on s'y peut sur la pointe des pieds. Le fait qu'Amanda ait été danseuse puis chorégraphe rend tout cela encore plus oppressant car cette femme hédoniste, dont le corps était en mouvement, est désormais alitée quasiment en permanence. Les plaisirs les plus ordinaires comme la nourriture ou un simple verre de vin ne sont pas retenus par son organisme.

Pour défier ce déclin, que reste-t-il ? Des moments où, avec l'aide de Maud, Amanda enfile une perruque, se maquille, enfile des dessous chics et un robe de chambre élégante, en fumant avec délectation une cigarette ou un joint. On comprend donc bien que tant que Maud partage cette intimité avec Amanda, elle n'est pas contrariée. Jusqu'à donc l'arrivée de Carol, dont elle épie les ébats avec sa patronne par l'entrebâillement de la porte de sa chambre. Plus de doute alors sur ce qu'éprouve Maud envers Amanda :d 'ailleurs, juste après, elle monte se réfugier dans sa chambre et convulse dans l'escalier, comme possédée par quelque force mystique.

Mais Amanda se moque de Maud, comme quand elle feint de partager son extase dans la prière puis quand elle la raille lors de sa fête d'anniversaire. Son renvoi plonge la jeune femme dans le désarroi. Avec la même intensité intransigeante, Rose Glass ne dissimule rien de la déchéance de son héroïne qui pense que Dieu l'a abandonnée. Mais c'est pour mieux orchestrer son retour en grâce, avec à la clé un moment littéralement suspendu, magique et inquiétant... Jusqu'au dénouement glaçant. Qui remet au centre la question de la folie et de la foi.

Si donc, on est loin du look 80's de Love Lies Bleeding et des influences polar, Saint Maud contient déjà en soi une sorte de romance tordue entre deux femmes, perturbée par Dieu (ici dans sa forme la plus éthérée, alors que dans Love Lies Bleeding, c'est le père de Lou qui tient ce rôle de manière plus terrienne). Le lesbianisme y est plus suggéré mais tout aussi évocateur. Le climat malsain est déjà là également, appuyé par des effets de mise en scène (la caméra désaxée jusqu'à cadrer à l'envers les déambulations de Maud). Le décor entoure aussi les personnages en les isolant du reste du monde : ici, une station balnéaire ; dans Love Lies Bleeding un patelin dont la salle de sports devient l'épicentre du drame.

L'autre point commun évident, c'est aussi le casting, éblouissant. Rose Glass a su déceler chez Morfydd Clark, bien avant qu'elle ne devienne Galadriel dans la série dérivée du Seigneur des Anneaux, une espèce de mystère insondable et flippant, de folie contenue : l'évolution du personnage passe par sa coiffure, avec au début ses cheveux strictement rassemblés en un chignon, puis lorsqu'elle est licenciée, ils sont détachés, sales, gras. Pourtant, malgré la souillure, Clark conserve cet air angélique, illuminé, sur ce visage d'une pureté fascinante. Le contraste avec celui rongé par la maladie de Amanda, jouée par Jennifer Ehle, est saisissant : pas seulement parce que la santé l'a fui, mais parce que, lorsqu'elle se fait belle pour son amante, on voit le charme capiteux, la sensualité débordante de cette femme, qui lui donne un air de tentatrice, celui du Malin, se révélant lorsqu'elle humilie Maud en public. Le face-à-face entre les deux actrices est superbe et mortifère mais d'autant plus percutant qu'il ne sombre jamais dans le surjeu.

Saint Maud est particulièrement envoûtant jusqu'à son final incroyable, entre douceur surnaturelle et horreur totale. On comprend que Kristen Stewart ait voulu travailler avec Rose Glass et nul doute que cette cinéaste attirera d'autres interprètes désireux d'expériences limites.

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