jeudi 18 juillet 2024

WELCOME TO THE RILEYS (Jake Scott, 2010)


Depuis la mort de leur fille Emily dans un accident de la route, le couple formé par Doug et Lois a implosé. Lois s'est retranchée du monde, assommée par le chagrin et les calmants. Doug surnage en dirigeant une entreprise de matériel de plomberie, tentant d'oublier sa peine dans le travail.


Il entretient également une liaison avec Vivian, une jolie serveuse noire, auprès de laquelle il trouve un semblant de bonheur. Elle est devenue sa confidente discrète, essentielle à son équilibre. Mais lorsqu'elle trouve la mort à son tour, il replonge dans une détresse terrible. Lois en est témoin, elle savait pour son infidélité mais s'en fichait.


Un déplacement professionnel à la Nouvelle-Orléans fournit à Doug une occasion de s'échapper. Lors d'une soirée, il sème des collègues pour se balader en ville et entre dans une boîte de strip-tease, moins pour se rincer l'oeil que pour être tranquille. C'est alors qu'il est abordé par Mallory, une danseuse, dont l'attitude provocante et la jeunesse le trouble. Il la raccompagne chez elle, dans un taudis sans électricité ni eau courante et lui propose un étonnant marché : il la paiera 100 $ par jour pour dormir chez elle mais sans coucher avec elle et en profitera pour faire de son appartement un lieu décent...


Jake Scott est le fils de Ridley et neveu de Tony. Encore un cas de "nepo-baby" me direz-vous, et effectivement c'est le cas. D'abord réalisateur de vidéos clips, il signe son premier long métrage en 2000, le très oubliable Guns 1748. Un bide critique et commercial dont il mettra dix ans à se remettre.


Car Jake Scott refuse l'aide de son père et de son oncle pour revenir dans le circuit. Il opère même un virage radical en 2010 avec son second opus, Welcome to the Rileys, produit en indépendant et dans un style totalement différent de ses débuts. Il opte pour la simplicité, contraint par le faible budget qu'il a réussi à collecter et collabore étroitement avec ses acteurs pour l'écriture de son scénario afin de produire un récit touchant.


Le résultat est concluant parce que sincère. L'action se situe majoritairement à la Nouvelle-Orléans, alors que la ville porte encore les stigmates de l'ouragan Katrina qui a dévasté bon nombre de ses quartiers. C'est un lieu hanté par ses morts mais en pleine renaissance que la caméra de Jake Scott saisit alors. Et ça devient une métaphore pour ses personnages, eux-mêmes ravagés par l'existence et ses épreuves mais en quête de salut.


En dressant ce parallèle entre l'état de la ville et celui de ses protagonistes, le scénario ne fait certes pas preuve d'une grand originalité, d'autant qu'il recycle des motifs déjà vus par ailleurs, avec d'un côté un homme mûr qui cherche à sauver une fille de la rue et de l'autre un couple détruit qui tente une dernière fois de surmonter la tragédie. Sauf que le script de Ken Hixon mixe ces deux pistes narratives et en tire quelque chose d'étonnant, d'inattendu et d'émouvant.

Au delà du décor disgracieux et des âmes cabossées, le film réussit à installer une ambiance envoûtante mais jamais glauque ou malsaine, malgré la situation centrale. Plus surprenant encore de la part d'un réalisateur formé à l'école du clip et donc des effets tape-à-l'oeil, l'esthétisme du film est d'une sobriété totale, comme si Jake Scott décidait de s'effacer pour simplement regarder ses acteurs raconter l'histoire. Un parti pris risqué mais payant.

Car cela lui permet de capter à merveille le fossé qui s'est creusé entre Doug et Lois, rongés par la culpabilité, dans leur pavillon de banlieue sans âme. Chacun s'y cache pour pleurer, lui en roulant ses cigarettes dans son garage, elle en se gavant d'anti-dépresseurs. Des médecines inefficaces mais qui témoignent d'un temps qui s'est arrêté.

Puis lorsque le film se déplace à la Nouvelle-Orléans, la mise en scène s'aligne avec ce nouveau cadre, dont celui, principal, du taudis dans lequel vit Mallory. On comprend très vite qu'avec cette jeune fille Doug cherche un substitut à sa propre enfant. Il est maladroit, gauche, emprunté, elle ne comprend évidemment de quoi relève cette comédie et pourtant elle accepte que cet homme couche chez elle (mais pas avec elle) et retape son intérieur pour lui offrir un logement décent.

La tension monte d'un cran quand Lois apprend où est son mari et prend la décision de le rejoindre. D'abord choquée par le verbe cru et l'attitude revêche de Mallory, elle apprend à l'accepter et pense la dompter pendant un temps. Comme une mère que la jeune femme n'a pas eue, elle l'accompagne faire des courses, lui apprenant à grandir, à mûrir, à prendre soin d'elle. Sauf que Mallory est et reste un animal sauvage, farouche, qui, quand elle apprend ce qu'ont traversé Doug et Lois, se rebelle, refuse de jouer le rôle qu'ils attendent d'elle.

Welcome to the Rileys n'a pas peur d'être mélodramatique, un mélo âpre, dur, féroce, poignant surtout. C'est sa force et sa limite car le spectateur devine vite que les efforts de Doug et Lois sont voués à l'échec. Que le salut de Mallory doit venir d'elle-même et pas d'un simulacre de famille recomposée. Mais dans l'ensemble, comme je l'ai déjà dit, on sent une sincérité dans le propos et le traitement qui invitent à l'indulgence.

D'autant plus que le film bénéficie d'un casting superbe. Melissa Leo, qui a le rôle le plus ingrat, réussit à montrer avec subtilité la progression de son personnage, passant de la mère inconsolable et l'épouse névrosée à celle qui se montre la plus lucide, la plus raisonnable. Souvent filmée de dos, accomplissant des tâches diverses comme autant de rituels, comme quelqu'un qui se raccroche à ce qu'il peut, elle épouse la mission insensée de son mari en cherchant à le tempérer.

Kristen Stewart, à peine vingt ans à l'époque, entre deux volets de la saga Twilight, montrait déjà quel chemin sa carrière allait emprunter en soutenant un film indé fauché mais lui offrant un rôle complexe, casse-gueule. Elle est électrique dans la peau de Mallory, frêle et perdue, vulgaire et paumée, impressionnante de maturité dans cette composition.

Et enfin, et surtout, il y a James Gandolfini, dans un de ses derniers rôles, un de ses rares premiers rôles surtout, lui qui fut la star de The Sopranos (1999-2007). Sa silhouette massive et son sourire désarmant restent inoubliables et il est absolument admirable de bout en bout ici. Il y dévoile une sensibilité à fleur de peau mais tout en retenue, avec une économie dans le jeu confondante. Quelle tristesse que cet immense interprète soit parti si tôt.

Welcome to the Rileys n'évite pas tous les poncifs, mais il possède une vraie tendresse, une réelle humanité dans sa manière d'explorer des thèmes aussi lourds que le deuil, la parentalité, la maturité. Il ne cède même pas un happy end facile, même s'il y a une lumière au bout du tunnel.

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