dimanche 12 mai 2024

DAREDEVIL & ELEKTRA, VOLUME 2 : THE RED FIST SAGA, PART 2 (Chip Zdarsky / Marco Checchetto, Rafael de Latorre et Manuel Garcia)

 

Après avoir organisé l'évasion d'une quinzaine de super-vilains détenus dans la prison du Myrmidon, Daredevil et Elektra les entraînent sur l'île de Makanrushi avec le renfort de Stick mais aussi de Cole North, Foggy Nelson et quelques ninjas. Le Dr. Leonard Samson assure le suivi psychologique de ces recrues. Puis Elektra part pour Paris où se tient le G7 afin de se renseigner sur les chefs d'Etats à la solde de la Main.



A cette occasion, elle va se rendre compte que les actions menées avec Daredevil ont été remarqués par les Avengers mais surtout que le Président américain est corrompu. De son côté, Bullet, enrôlé par Daredevil, veut s'assurer que son fils Lance va bien avant de s'investir dans la guerre qui s'annonce. La Main le capture et l'asservit. La confrontation avec l'armée aux ordres du Punisher est aussi immenete qu'inévitable, même si les troupes du Poing sont loin d'être prêtes.


L'issue de cette bataille va avoir des conséquences terribles pour les deux camps tandis que les Avengers se préparent à intervenir pour stopper Daredevil...
 

Préparez-vous à un tour dans le grand huit de Chip Zdarsky. Je vous avais prévenus : la saga du Poing rouge, c'est quelque chose qu'on n'a pour ainsi dire jamais lu en suivant les aventures de Daredevil. En fait, sans être méchant, c'est ce qu'aurait pu (dû ?) être Shadowland, l'event d'Andy Diggle lorsque celui-ci écrivit la série après le run de Ed Brubaker et Michael Lark.


Revenons à cette époque : c'était en 2010. Un an auparavant, Andy Diggle prend le relais de Ed Brubaker sur Daredevil et, comme le veut une sorte de tradition sur ce titre, le dernier scénariste laisse le héros dans une situation impossible que son successeur devra résoudre (Brubaker avait ainsi hérité de DD quand Bendis l'avait envoyé en prison). Brubaker, lui, en a fait le leader de la Main qui a testé plusieurs candidats (Iron Fist, Tarantula, White Tiger, Wilson Fisk). Le héros se sacrifie et part au Japon avec l'intention de réformer l'organisation.


Sauf que, évidemment, rien ne va se passer comme prévu : Daredevil devient possédé, littéralement, et rentre à new York pour s'emparer de Hell's Kitchen puis de New York avec une armée de ninjas. Marvel voit le potentiel de la situation et donne son feu vert à Diggle pour en tirer un event, Shadowland. Plusieurs street-level heroes (Iron Fist, un noveau Power Man, Moon Knight, les filles du dragon, Spider-Man...) vont s'en mêler pour raisonner Daredevil et les Thunderbolts (alors menés par Luke Cage) y prendront également part.

Hélas ! le résultat est médiocre : c'est mal dessiné (par Billy Tan), l'intrigue est grotesque, le dénouement navrant (DD s'enfuit de New York, dévasté comme lui, pour échapper à une arrestation justifiée - Mark Waid y fera allusion au début de son run mais sans s'y attarder puisque chez Marvel, même quand les héros déconnent, ils échappent à leurs responsabilités.).

Zdarsky, ici, reprend un peu le même topo : Daredevil est désormais le leader du Poing, la tribu rivale de la Main. Il ne repart cependant pas faire le zouave à New York mais ses agissements vont alerter les Avengers et Spider-Man qui décident de le stopper. Avant cela, on aura droit à un combat véritablement dingue entre l'armée du Poing et celle de la Main.

Le scénariste, on le voit bien, a construit The Red Fist Saga en trois actes : le premier, c'est le départ à la guerre, l'embarquement, le recrutement de l'armée ; le deuxième (dans les cinq épisodes de ce tome 2), c'est guerre et châtiment ; et le troisième... Hé bien, pour le troisième, vous le saurez avec la critique que je publierai. Mais il y a clairement trois étapes, trois paliers, avec un crescendo et un diminuendo, quasiment musicaux, où on suit d'abord Daredevil et Elektra, puis DD et Elektra et leurs soldats, puis DD tout seul.

Cela a donc le mérite de la clarté, ce qui n'enlève rien au spectacle, à son intensité, à sa folie. Ce qui surprend en fait, c'est que Zdarsky passe d'un Daredevil qu'on connaît tout, le justicier urbain de Hell's Kitchen, qui s'occupe des problèmes de son quartier, à un Daredevil lancée dans une mission presque mystique pour sauver le monde. Cette différence d'échelle étonne, désarçonne même parce qu'on n'a pas l'habitude de le voir s'engager à ce niveau. Mais en même temps, c'est justifié par ce qui a précédé : Zdarsky a emmené DD au bord du précipice, son alter ego est mort aux yeux du monde, Elektra l'a convaincu. Le conflit dans lequel il s'investit est terminal et il ne peut qu'être réglé de manière globale, définitive. Ce n'est plus le Caïd, Bullseye, c'est la Main qu'il faut éliminer.

Pour autant, Zdarsky n'esquive pas des questions qui fâchent : par exemple, via la relation complexe qui s'établit entre Bullet et Daredevil, quand le premier fait remarquer au second les limites de son initiative. Il a rassemblé des super-vilains en leur racontant que l'île où il les emmenait était le lieu de la seconde chance. Mais ce n'est qu'à moitié vrai : cette île reste une prison, sans barreaux, mais sans plus d'avenir pour les fugitifs qui savent très bien qu'ils ne pourront pas se réintégrer à la société puisqu'ils sont toujours recherchés et que le traitement du Dr. Samson n'a rien d'un remède contre leurs démons. Daredevil n'est pas le sauveur qu'il prétend, c'est un gardien, et surtout il a obtenu que ces vilains le suivent en échange de leur effort de guerre contre la Main, un effort qui pourrait leur coûter la vie.

Encore plus terrible est le duel entre Daredevil et le Punisher : ces deux-là se sont souvent affrontés, mais cette fois, ils sont tous deux à la tête d'une véritable secte armée, qui en fait des possédés, des illuminés. Frank Castle et Matt Murdock sont tous deux tombés dans l'abîme, ils sont devenus fous, tyranniques, la mort les attend. Dans le cas du Punisher, quand intervient la bataille entre le Poing et la Main, Marvel a confié le destin du anti-héros à Jason Aaron, Jesus Saiz et Paul Azaceta à la suite de nombreuses polémiques qui ont fait du personnage un vrai boulet pour l'éditeur parce que des militants de l'extrême-droite américaine arborent son emblème, ce qui est évidemment très embarrassant.

Aaron décide d'assumer franchement cette partie du Punisher en en faisant donc le chef de la Main pour une saga qui veut à la fois prouver qu'il y a encore de la place pour Frank Castle dans l'univers Marvel mais aussi pour s'assurer que l'éditeur le traite sans complaisance. Aaron finira son histoire d'une manière à la fois habile et un peu lâche, se débarrassant de Castle mais pas du Punisher (dont le nom et le mission seront confiés à un autre personnage).

Pour l'heure, dans les pages de Daredevil & Elektra, ce climax se situe à l'épisode 8 qui, comme les 7 et 10, est dessiné par Marco Checchetto. L'artiste se donne à fond pour produire des pages mémorables et le lecteur se régale. C'est vraiment épique, il y a même un dragon ! Vous ne verrez jamais plus l'Homme aux échasses de la même façon après cette bataille aussi. Les adversaires se rendent coup pour coup avec une brutalité à l'honnêteté étonnante. Et on se dit que si Marvel avait un Black Label comme DC, Daredevil & Elektra y aurait eu naturellement sa place.

Checchetto se montre aussi inspiré dans le dernier épisode de l'album où apparaissent Spider-Man et les Avengers. Je ne veux pas trop en dire, mais le dessinateur suit le script, exemplaire, de son scénariste avec une énergie peu commune. Il y a dans ces pages un souffle dramatique ébouriffant.

Rafael de Latorre assure les dessins sur les n° 6 et 7 : c'est évidemment moins flamboyant que Checchetto et parfois on voit bien qu'il a encore des progrès à faire pour découper plus efficacement une scène ici, une autre là. C'est notamment flagrant lors de l'escapade parisienne de Elektra quand elle doit composer avec l'intervention de Iron Man : un passage qui aurait pu être tellement plus puissant mais qui manque de plans mieux composés, d'un découpage moins sommaire. Toutefois, De Latorre a du potentiel. C'est juste que, là, Checchetto se taille la part du lion et écrase tout.

Manuel Garcia est appelé en renfort pour dessiner l'épisode 9, le calme après la tempête, mais aussi un lot de scènes-choc, notamment pour Foggy et Stick, qui annonce la débâcle à venir. Garcia a ce drôle de style où il est capable d'images saisissantes et d'autres où il semble avoir dessiné ça par-dessus la jambe, sans se forcer. C'est donc inégal, mais c'est la seule fois que ça se produira dans toute cette saga.

On peut légitimement se demander comment Zdarsky et compagnie vont rebondir après ce qui semble être le point culminant de cette histoire. Pourtant, croyez-moi quand je vous dis qu'ils en ont encore sous le pied et que le troisième et dernier tome, les quatre derniers épisodes, sont au moins aussi bien. A suivre donc...

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