mercredi 8 mai 2024

SEXE, MENSONGES ET VIDEO (Steven Soderbergh, 1989)


Ann Bishop Mullany vit à Baton Rouge en Louisiane, avec son mari, John, avocat, qui la trompe avec sa soeur, Cynthia, barmaid. Ann l'ignore et se confie à Cynthia en lui avouant n'avoir jamais connu d'orgasme et refusant que John la touche. Elle suit aussi une thérapie pour tenter de comprendre comment sortir de cette situation et relativiser diverses phobies.


Lorsque John apprend à Ann qu'il a invité un ami d'enfance, Graham Dalton, à passer quelques jours chez eux, elle est soucieuse mais l'accueille avec politesse. Graham est tout le contraire de John : d'une nature réservé, il revient en ville après neuf ans d'absence et sa rupture avec une certaine Elizabeth, qui réside toujours là. Très vite, il cerne ses hôtes et pour ne pas les embarrasser, se met en quête d'un appartement avec l'aide de Ann.


Cependant, John continue de fréquenter Cynthia, quittant fréquemment son bureau pour la retrouver et décalant ses rendez-vous avec des clients. Il lui parle de Graham dont il moque l'attitude bohème toute comme la frigidité de Ann. Cette dernière découvre des cassettes vidéos chez Graham et lui explique filmer des entretiens avec des femmes au sujet de leur sexualité, leurs fantasmes. Choquée, elle le rapporte à Cynthia au téléphone et celle-ci exprime son envie de le rencontrer.


Après avoir obtenu l'adresse de Graham, elle lui rend visite et accepte qu'il la filme pour un entretien contre la promesse que personne d'autre ne verra ça. Lorsque John l'apprend, il le prend mal et Ann est épouvantée. Pour se calmer, elle fait le ménage chez elle et fait une découverte qui va bouleverser son existence...


Premier film de Steven Soderbergh, Sex, Lies and Videotape a décroché la Palme d'Or du Festival de Cannes en 1989. Une consécration qui surprit tout le monde, le principal intéressé le premier, et qui alimenta un malentendu durable car, ensuite, le prodige américain fut attendu au tournant à la fois par ceux qui le tenait comme celui qui devait révolutionner le cinéma indépendant et rafraîchir Hollywood.


Sauf que, depuis 35 ans, Soderbergh s'est surtout employé à une seule chose : n'être jamais là où on l'attend. Il a ainsi navigué entre petit budget et grosses productions, alterné entre stars et comédiens amateurs, projets underground et divertissement populaire. Sans compter les fois où il a annoncé sa retraite anticipée pour rebondir à la télé ou sur les plateformes de streaming avant de retourner affronter le public des salles obscures.


Pourtant, tout était déjà là, dans ce Sexe, mensonges et vidéo, ce film inclassable, indéfinissable, insaisissable comme son auteur. En surface, il s'agissait d'une histoire assez intimiste, d'ailleurs inspirée par ce qu'avait vécu Soderbergh (une romance et une rupture douloureuse), écrite en huit jours, dans une sorte d'urgence.

A quel genre appartient ce long métrage ? Impossible à dire, même après tout ce temps. Je lui a toujours trouvé une parenté avec Un Homme est passé de John Sturges avec Spencer Tracy qui arrive dans un patelin et dérange tout le monde. C'est exactement ce que fait Graham Dalton, invité par un vieux copain, et qui va mettre l'existence de celui-ci, de sa femme, de sa maîtresse sans dessus-dessous.

Mais on peut aussi y voir du Woody Allen dans cette manière qu'ont les personnages d'exprimer tout haut leurs malaises existentiels, leur rapport à la sexualité, leurs frustrations, leurs fantasmes. On est surpris par leur franchise malgré leurs manières précautionneuses : Ann avoue sa frigidité, Graham son impuissance, John est un menteur et un lâche, Cynthia une exubérante insouciante. Chacun voit clair dans le jeu de l'autre même si, là, par contre, aucun ne le dit directement. C'est cette ambivalence entre ce qu'on dit de soi sans filtre et ce qu'on n'ose pas se dire entre soi qui est troublante.

Le sexe donc, puis les mensonges. Et les vidéos, celles que filme Graham quand il interroge des femmes sur leur sexualité et leur rapport à la réalité, sans coucher avec elles, sans en tirer profit, sans l'exploiter (même si, au début, il prétend faire cela dans le cadre d'un vague projet d'étude). Lorsqu'il visionne ces vidéos, il est nu et seul et on peut croire, simplement, qu'il prend son plaisir ainsi. Mais évidemment, c'est plus complexe et la mise en scène est suggestive (on ne devine aucune masturbation et la seule qui a lieu est celle de Cynthia lors de son entretien chez Graham, sans doute à la fois pour le provoquer, le tester, mais aussi pour laisser libre cours à sa propre fantaisie).

Le troisième et dernier acte du film va sceller le destin des quatre protagonistes de manière inattendue. Comme souvent, le diable est dans les détails, ici en l'occurrence une boucle d'oreille égarée qui va déclencher une réaction en chaîne à la fois ravageuse et libératrice. Soderbergh nous a menés exactement là où il le souhaitait sans même qu'on fasse attention, sans même qu'on se méfie ou ne remarque sa manoeuvre. Le signe d'une maturité narrative qui justifie son sacre cannois.

Le cinéaste opte pour un filmage très classique, qui suffit à créer un sentiment de malaise et de révélation, tout en recourant à la vidéo pour les scènes d'interview. Loin d'avoir mal vieilli puisque les VHS renvoient à un autre âge désormais, le procédé et l'accessoire contribuent à ancrer l'histoire dans une sorte de capsule, entre les quatre murs d'une pièce et au passage des années 80 et 90.

Soderbergh a beaucoup cherché avant de trouver ses interprètes : David Duchovny et David Hyde Pierce ont été pressentis pour jouer Graham avant que James Spader ne s'en empare et il inaugurait ainsi une carrière marquée par des personnages borderline incarnés avec une douceur perturbante. Avant John Gallagher, absolument impeccable en John, Tim Daly a failli décrocher le rôle. Jennifer Jason Leigh était le premier choix pour Cynthia à laquelle Laura San Giacomo apporte davantage de malice et de sensualité. Enfin, Andie McDowell a littéralement arraché le rôle d'Ann que Soderbergh voulait attribuer à Elizabeth McGovern (mais l'agent de celui-ci, peu inspiré, a déconseillé à sa cliente de s'engager).

Sexe, Mensonges et Vidéo reste un ovni et c'est pour cela qu'il est encore fascinant.

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