jeudi 9 mai 2024

DEVIL'S REIGN (Chip Zdarsky / Marco Checchetto)


Pendant sa lune de miel, Wilson Fisk a découvert que le dossier qui contenait les informations concernant Daredevil et notamment sa véritable identité est illisible. Pour savoir ce qui s'est passé, il attire son ennemi dans une rue bouclée de Hell's Kitchen mais ce dernier se moque de lui. Fisk, fou de rage, convoque les médias sur le perron de l'hôtel de ville pour une conférence de presse où il décrète que désormais tous les justiciers masqués sont indésirables à New York.

 


Pour appréhender les rebelles, Fisk mobilise de nouveaux Thunderbolts, à la fois sous la forme d'une équipe réduite d'agents masqués et de policiers en armures équipés d'inhibiteurs de pouvoirs. Le Baxter Building est réquisitionné et confié au Dr. Octopus, Reed et Sue Richards sont incarcérés, Ben Grimm, Johnny Storm, Valeria et Franklin Richards s'enfuient. Daredevil vient en aide à Miles Morales avec d'autres héros qui se cachent dans les sous-sols du manoir des Avengers.


Daredevil révèle à ses alliés comment, grâce aux enfants de l'Homme Pourpre, il a réussi à effacer des mémoires sa véritable identité, ce qui provoqué l'ire de Fisk et tout ce qui s'ensuit. Tony Stark propose une solution pour vaincre le Caïd : se présenter face à lui à l'élection municipale, mais ses amis préféreraient que Luke Cage candidate car il n'a jamais agi masqué et reste populaire. Les arrestations se poursuivent pendant ce temps et vont obliger le groupe de résistants à changer leur plan pour une attaque plus frontale.


Ils ignorent que Fisk détient l'Homme Pourpre grâce à qui il commence à influencer les intentions de vote en sa faveur, et que Octopus a tiré d'une dimension parallèle des adjoints puissants et à ses ordres dans le but de neutraliser Fisk le moment venu. En exposant Typhoid Mary au pouvoir de l'Homme Pourpre, Fisk réveille ses souvenirs puis se rappelle à son tour qui est vraiment Daredevil. Ce qui va le pousser à commettre l'irréparable...


L'erreur qu'on ne doit pas commettre au moment de commencer la lecture de Devil's Reign est de penser qu'il s'agit d'un event avec en son centre Daredevil. Même s'il s'agit de la suite directe des 36 premiers épisodes du run de Chip Zdarsky sur la série de l'homme sans peur, il décale subtilement le coeur de ce récit pour que son acteur principal soit Wilson Fisk. C'est lui, ici, le diable et c'est son règne qu'on observe.


En effet, à la fin de Dardevil #36, Fisk épouse Typhoid Mary et part en lune de miel dans un chalet où il détient ses dossiers les plus compromettants sur ses alliés et ennemis. Evidemment, il en possède un sur Daredevil qui contient son identité civile. Mais durant le run de Charles Soule, sur lequel Zdarsky s'est beaucoup appuyé, Matt Murdock révélait comment il avait réussi à effacer des mémoires de tout le monde son vrai nom, en faisant appel aux enfants de l'Homme Pourpre.


Certes, l'opération n'a pas fonctionné sur tout le monde : par exemple, Elektra, du fait de ses nombreuses morts et renaissances, n'a rien oublié. Murdock a aussi mis son ami Foggy Nelson dans la confidence. Mais il a rompu avec Kirsten McDuffie pour la protéger sans rien lui dire de sa manoeuvre. Et le pouvoir des enfants de Zebediah Kilgrave a fonctionné de telle sorte que même un document écrit associant Daredevil et Murdock serait illisible, comme dans le cas de Fisk.

Ce dernier comprend que quelque chose cloche et bien sûr il devine que Daredevil en est responsable. Furieux, frustré, il réplique en prenant une mesure radicale, qui n'épargnera aucun justicier masqué : il les bannit de New York.

Le lecteur peut alors penser à un autre event mythique, Civil War de Mark Millar et Steve McNiven, avec le Registration Act pensé à l'époque par Iron Man pour faire des héros des agents gouvernementaux encadrés légalement à condition qu'ils révèlent leur identité secrète. Mais c'est un peu différent ici : d'abord parce que la procédure enclenchée par Fisk ne concerne que New York (où sont tout de même basé un nombre élevé de super-héros) et pas tous les Etats-Unis, et ensuite la finalité est que les justiciers arrêtés sont envoyés en prison en attente d'un procès. Il n'y a pas d'un côté un camp pour, et un autre contre, c'est toute la communauté des super-héros qui est visée par la répression menée par les Thunderbolts, bras armé de Fisk.

Chip Zdarsky se montre malin et redoutable : il situe son récit pendant la campagne électorale pour la mairie de New York, ce qui signifie que Fisk fait aussi cela pour être réélu en argumentant que si les super-héros sauvent des vies, ils attirent aussi des super-vilains qui tuent et détruisent en masse et surtout qu'aucun justicier ne répond de ses actes, de ses méthodes pour lutter contre le crime, se substituant à la police, pouvant faire usage de la force sans contrôle.

Le scénariste contrebalance cela par une riposte subtile : on ne peut vaincre Fisk par la force, donc Tony Stark propose de le battre dans les urnes et il veut se présenter contre lui aux élections. Cependant un consensus se fait : c'est Luke Cage le mieux placé, parce qu'il n'a jamais agi masqué, qu'il est issu d'un milieu modeste, qu'il est resté proche du peuple. Cette dimension politique aurait pu être pleinement développée, et certainement de manière passionnante, dans une série mensuelle, mais elle occupe déjà une bonne place, bien écrite ici.

Les épisodes s'enchaînent sur un rythme soutenu avec des péripéties et des rebondissements forts, notamment en ce qui concerne les arrestations de quelques héros emblématiques : Moon Knight incarne cette frange de justiciers violents a priori ingérables, Mr. Fantastic et la Femme Invisible sont plus respectables, Spider-Man (à l'époque avec Ben Reilly sous le masque) est un symbole. On a même droit à une surprise concernant Iron Man (même si cet élément précis est trop noyé dans l'action). Assurément, les ambitions d'Octopus auraient également mérité plus d'espace et auraient pu fournir une troisième ligne narrative entre Daredevil et Fisk.

Surtout, le dernier acte (à partir de l'épisode 5) voit un véritable drame éclater. Tuer un héros est une habitude dans ce genre d'events, mais cette ruse ne fonctionne plus vraiment car elle a été trop utilisée. Zdarsky sacrifie quand même un personnage mais son choix est plus surprenant et finalement plus poignant, plus cruel, de telle sorte qu'il justifie mieux la colère de Daredevil, à deux doigts lui aussi alors de commettre l'irréparable. Tout cela aboutit à un final très bien mené, dense, spectaculaire, au point que Devil's Reign est un des rares events où on aurait volontiers accepté un, voire deux, épisodes supplémentaires (d'autant plus que Devil's Reign : Omega #1 ne sert pas à grand-chose, sinon teaser la mini-série Thunderbolts qui a été lancée ensuite et à annoncer dans quoi Daredevil et Elektra allaient se lancer).

Marco Checchetto a eu trois mois pour se préparer à dessiner les six épisodes de Devil's Reign et il a tenu le coup. C'est donc un vrai bonheur visuel de le voir à l'oeuvre sur une histoire aussi ambitieuse en termes de qualité graphique, avec une quantité non négligeable de personnages, de décors, d'actions à représenter.

L'artiste italien démontre surtout qu'il maîtrise tous les personnages de Marvel et s'acquitte avec brio de scènes d'ensemble très touffues avec des compositions dynamiques. Si Daredevil est très présent, légitimement, d'autres héros ont droit à de grands moments, comme Spider-Man  dont le combat contre  le Maître de Corvée est vraiment tendu. L'alliance des détenus du Myrmidon, la prison pour super-héros, lors de leur évasion, est aussi un beau morceau de bravoure. La bataille finale est grandiose. Les fondamentaux de ce genre d'exercice sont donc servis avec beaucoup de soin.

Mais, fondamentalement, c'est un portrait troublant, puissant, du Caïd que donne à voir Devil's Reign. On l'a rarement vu dans un état pareil, aussi machiavélique, aussi brutal, aussi désespéré. Et si le grand enseignement de cet event, c'était d'axer davantage ce genre de projet sur un vilain que sur un ou des héros ? C'est ce qu'a fait DC depuis deux ans avec Amanda Waller dans les coulisses de Knights Terror, Beast World et bientôt Absolute Power. Et c'est ce qui a réussi si bien avec Devil's Reign. Un bon méchant, comme disait Hitchcock, fait toujours une bonne histoire.

On a assisté en tout cas à la fin du premier acte du run de Chip Zdarsky. Le scénariste va enchaîner avec un deuxième passage, plus bref, mais aussi plus fou, plus baroque, avec les 15 épisodes de Daredevil & Elektra. A suivre donc...

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