mardi 28 mai 2024

TRIPLE FRONTIERE (J.C. Chandor, 2019)


Santiago "Pope" Garcia, ancien membre de la Delta Force, travaille désormais comme conseiller militaire auprès de la police colombienne en guerre contre les narco-trafiquants. Pope a une espionne, Yovann, au sein du cartel dirigé par le baron de la drogue Lorea, qui lui fournit l'adresse où il cache son magot, dans une forteresse au coeur de la jungle.


Toutefois, au lieu de partager cette information avec les autorités locales, Pope part en Floride demander à d'anciens camarades de l'armée de l'aider à coincer Lorea : il convainc "Redfly" (reconverti en agent immobilier), "Ironhead" (instructeur militaire) et son frère Benny (combattant de MMA) et enfin Catfish (ex-pilote) de le suivre. 


Une fois sur place, Pope leur montre un container dans lequel il a entreposé des armes, des kits de première urgence, des moyens de communication saisis par la police. Puis il explique à ses amis que s'il compte bien éliminer Lorea, il souhaite aussi s'emparer de sa fortune qu'il garde chez lui et dont le montant est estimé par Yovanna, qui tient sa comptabilité, à 75 M $. DE quoi leur assurer à tout une retraite dorée.


Yovanna leur fournit un plan des lieux et, pour épargner la famille de Lorea (femme et enfants), l'opération aura lieu quand celle-ci partira à la messe un dimanche. Pour Yovanna, Pope a promis la libération de son frère de prison. Evidemment, rien ne va se passer comme prévu...


La genèse de Triple Frontier (en vo) a été chaotique. Kathryn Bigelow a été a première à s'intéresser à cette histoire écrite par Mark Boal et J.C. Chandor puis elle en confié la réalisation à ce dernier pour seulement le co-produire. Ensuite, beaucoup d'acteurs différents ont été pressentis pour les rôles principaux.


Bigelow, semble-t-il, voulait Tom Hanks (pour le rôle de Redfly) et Johnny Depp (pour celui de Pope). Depp, engagé sur d'autres projets, a cédé sa place à Will Smith avant d'abandonner quand Hanks s'est retiré à son tour. Lorsque Chandor a assumé la réalisation, il a d'abord jeté son dévolu sur Tom Hardy (Refly) et Channing Tatum (Pope) et Mahershala Ali (dans un rôle non spécifié), puis faute de les avoir convaincu a proposé à Ben et Casey Affleck de partager l'affiche. Seul le premier est resté à bord.


Malgré ces péripéties, le résultat ne sent pas le film fait faute de mieux. Chaque acteur finalement retenu est excellent et compose une troupe homogène et talentueuse pour un film qui emprunte en fin de compte beaucoup plus au film d'aventures qu'à un long métrage mettant en scène des vétérans de l'armée.

L'intrigue m'a fait penser au Trésor de la Sierra Madre (1948) de John Huston dans lequel Humphrey Bogart, Walter Huston et Tim Holt mettent la main sur de l'or avant d'entamer leur retour à la civilisation et que la fortune leur fait perdre la tête. Ici, les cinq compagnons d'armes s'emparent du magot d'un narco-trafiquant sous le prétexte de l'éliminer et tombent sur un paquet de dollars bien plus conséquent que prévu qui va faire perdre les pédales à l'un d'eux.

S'ensuit une fuite pathétique où les problèmes se succèdent et manquent d'avoir raison du groupe. C'est la différence avec le chef d'oeuvre de Huston qui montrait de manière plus cruelle comment le trésor dominait ceux qui l'avaient trouvé. Mais Huston était un cinéaste plus impitoyable que Chandor et il aurait été intéressant de voir si Bigelow, en restant la réalisatrice, aurait livré un film plus ou moins noir (j'aurai tendance à penser qu'elle aurait osé un dénouement plus sombre au regard de ces oeuvres comme Zero Dark Thirty ou Démineurs).

Ce qui est certain, c'est que, même si l'action ne manque pas, l'écriture est dense et documentée. Dès la première séquence (l'arrestation de complices de Lorea retranchés dans une discothèque), on est saisi par l'ambiance fiévreuse que réussit à établir Chandor, ce côté immersif mais aussi ambivalent (puisqu'on découvre que Pope a une taupe dans les rangs du baron de la drogue et n'a pas mis la police dans la confidence).

Les personnages sont formidablement caractérisés et le scénario montre surtout des anciens soldats prêts à repartir à l'aventure car désoeuvrés depuis leur retour à la vie civile. Redfly est un agent immobilier qui veut assurer à ses enfants un avenir tout en devant payer la pension alimentaire à son ex-femme. Ironhead sert le même sempiternel discours moralisateur à des engagés en fin de formation. Benny se passe les nerfs dans l'octogone de combats de MMA. Et Catfish se morfond depuis qu'on lui a retiré sa licence de pilote à cause d'une affaire de conduite sous emprise de stupéfiants. Pope n'a pas à se forcer pour les convaincre de le suivre : ils sont mûrs pour replonger car ils ne savent en vérité rien faire d'autre que la guerre.

Là où Triple Frontière désarçonne, c'est par son traitement de ce que le spectateur pense être le coeur du film, à savoir le vol de l'argent de la drogue. En effet, l'opération est rondement mené, le trafiquant éliminé de façon expéditive. Tout va très vite, preuve que l'équipe est encore en forme, que leur plan est bien huilé, mais surtout que c'est la suite qui va importer. Et cette suite, c'est la fuite de ces cinq hommes avec un butin bien plus colossale que prévu (250 M $ !).

Comme dans l'excellent (mais plus drôle) Barry Seal, l'argent est en telle quantité qu'il devient plus un problème qu'une bénédiction. Contenu dans des sacs si nombreux qu'il doit être transporté dans un filet tracté par un hélico, il va considérablement compliqué le voyage vers le Pérou. Ainsi Chandor souligne l'absurdité de la situation en montrant Benny, dans les montagnes enneigées de la Cordillère des Andes mettant le feu à de grosses liasses de billets pour se réchauffer...

Moins viscéral sans doute qu'il l'aurait été avec Bigelow, le film bénéficie donc d'une bande d'acteurs de premier ordre, à commencer par Oscar Isaac (qui avait déjà tourné avec JC Chandor le magistral A Most Violent Year), parfait en chef ambigu. Il donne la réplique à Garrett Hedlund pour la deuxième fois après Inside Llewyn Davis. Charlie Hunnam joue le frère de ce dernier et ensemble ils composent une fratrie très convaincante. Pedro Pascal a aussi un rôle intéressant en pilote nerveux. Seul Ben Affleck, trop monolithique comme toujours, déçoit. Adria Arjona a un second rôle qui aurait mérité un peu plus de développement.

Efficace, maîtrisé, Triple Frontière est peut-être un peu trop tiède parfois, mais ne manque pas d'atouts et représente une curiosité dans la filmo de son auteur.

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