jeudi 30 mai 2024

GONE BABY GONE (Ben Affleck, 2007)


Quartier de Dorchester, Boston. Les détectives Patrick Kenzie et Angie Gennaro sont engagés par Lionel McCready et sa femme Beatrice pour retrouver leur nièce, Amanda, âgée de quatre ans. Les médias couvrent l'affaire qui attirent d'innombrables badauds devant le domicile de la mère de la petie et la police est impuissante à cibler un suspect.


Grâce à ses connaissances dans le milieu local, Patrick découvre que Helen, la mère d'Amanda, avait une liaison avec Ray, et ils étaient tous deux toxicomanes. Un informateur les a vus ensemble le soir de la disparition de la petite en train de se droguer dans les toilettes d'un bar après avoir, soi-disant, escroqué de 130 000 $ un dealer haïtien, Cheese. 


Le commissaire Doyle, chargé de l'affaire, tolère sans plus la présence du couple de détectives et leur associe deux de ses meilleurs inspecteurs, Bressant et Poole, avec lesquels ils se rendent au domicile de Ray. Ils trouvent son cadavre passé à tabac et les soupçons se portent alors sur Cheese qui auraient voulu se venger tandis que Helen avoue avoir planqué l'argent dans son jardin.


Patrick intercède auprès de Cheese en lui proposant de lui rendre l'argent s'il remet Amanda aux inspecteurs. Le lieu de l'échange est une carrière près d'un lac la nuit suivante. Mais tout va déraper : Cheese est abattu, Amanda s'enfuit et tombe dans le lac. Cette issue dramatique coûte son poste à Doyle. L'affaire est classée après l'enterrement sans corps d'Amanda McReady.
 

Mais deux mois après, la disparition d'un garçon de sept ans va relancer l'intérêt de Patrick...


Ben Affleck est un drôle de bonhomme : d'un côté, il fait la "une" de la presse people pour sa romance avec la chanteuse Jennifer Lopez quand, de l'autre, la critique cinéma le considère (à raison, je pense) comme un acteur moyen mais un cinéaste intéressant (par ailleurs couronné de plusieurs Oscars pour Argo en 2012).


Gone Baby Gone est son premier film derrière la caméra et c'est un superbe film noir, poignant, très noir, d'une maîtrise assez épatante. Il a adapté avec Aaron Stockard le roman de Dennis Lehane qui a signé plusieurs aventures avec le couple de détectives privés Patrick Kenzie et Angie Gennaro.

Pour ma part, j'ai toujours eu du mal avec les polars de cet auteur, mais sans doute est-ce parce que j'ai trop lu de séries noires au style plus sec (Hammett, Goodis...) et que j'ai plus de difficultés avec des romanciers contemporains. Néanmoins, Affleck a su en extraire la substantifique moëlle et nous entraîne dans une intrigue méandreuse à souhait, d'une densité exceptionnelle.

Le résumé (ou plutôt le "et si vous avez manqué le début", car je suis nul en résumé) que j'en fais plus haut couvre à peine le premier quart de l'histoire. C'est dire. Cela suffirait à combler bien des cinéastes, mais le rebondissement qui suit cette partie relance complètement notre intérêt et nous mène jusqu'à un dénouement proprement stupéfiant, dont les répercussions seront terribles pour le couple Kenzie-Gennaro.

Lehane a donc quand même le talent d'écrire des récits qui vont au bout des choses quand le polar se contente de développer une idée simple en en soulignant l'ambiance et/ou les personnages. Et ça, Affleck l'a bien compris sans céder à l'envie d'en tirer un long métrage inutilement décompressé (comme Live by Night du même réalisateur, ou Mystic River de Clint Eastwood. Scorsese a adapté avec de gros sabots Shutter Island ).

Le décor de Dorchester à Boston donne un cadre particulier au film : ses habitants sont des gens issus de la classe ouvrière, donc de condition modeste. On y croise beaucoup de chômeurs aussi et des dealers avec leurs clients. Cette misère sociale rend le climat tendu, violent, et le fait que les deux héros soient des privés, plus habitués à traquer des mauvais payeurs qu'à enquêter sur des rapts d'enfants, aboutit à des heurts aussi bien avec la police, qui tolère leur présence parce que la famille de la gamine a fait appel à eux, qu'avec de possibles indics, qui les trouvent trop curieux.

L'histoire est traversée par un sens du tragique oppressant : on sent que tout ça va mal finir. Mais au bout du bout, ce sont bien Patrick et Angie qui paieront le plus lourd tribut dans cette affaire et le scénario montre avec beaucoup d'acuité à quel point leurs investigations les abîment - d'ailleurs, dès le début, Angie est réticente à s'engager car elle redoute de retrouver le cadavre de la fillette, tandis que Patrick s'investit au-delà du raisonnable auprès de la mère, de la tante, de l'oncle, et de l'officier Bressant.

Ben Affleck s'est appuyé sur un casting formidable, à commencer par son frère cadet Casey Affleck dans le rôle de Patrick Kenzie. Il incarne avec intensité et sobriété ce personnage, le premier d'une collection de types mis à mal par la vie (comme celui qui lui vaudra un Osacr pour sa composition dans le magnifique Manchester by the Sea en 2017, l'année où des accusations de harcèlement sexuel lui vaudront l'opprobre d'une partie du milieu du cinéma  - alors qu'il ne sera jamais inculpé et donc condamné par la justice. De quoi s'indigner de la réaction de Brie Larson qui refusa de l'applaudir quand il reçut sa statuette...). A ses côtés, Michelle Monaghan était encore le grand espoir découvert dans Kiss Kiss Bang Bang de Shane Black et elle prouvait qu'elle avait un énorme potentiel (hélas ! peu exploité ensuite).  Ed Harris est comme d'habitude magistral et, pour une fois, Morgan Freeman a un vrai personnage ambigu à défendre.

Gone Baby Gone est un coup d'essai en forme de coup de maître. Et la confirmation que Ben Affleck a définitivement plus sa place derrière l'objectif que devant.

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