vendredi 10 mai 2024

MASTERPIECE #5 (Brian Michael Bendis / Alex Maleev)


Où Emma a trouvé le talon d'Achille de Zero Preston en enrôlant son propre fils, Solomon, dans son équipe. Le milliardaire réplique aussitôt en envoyant aux trousses de la jeune fille et ses amis la tueuse Stacy, vieille connaissance de Parangon...
 

Alex Maleev a récemment répondu aux questions de Comics Blog lors de son passage à Paris : il est revenu sur sa longue carrière (une trentaine d'années d'activité tout de même), sa collaboration avec Brian Michael Bendis et évidemment leur dernière série en date, Masterpiece, dont le cinquième et pénultième épisode vient de sortir.
 

Avez-vous déjà remarqué que quand, par exemple, un omnibus sort, le titre de la série est associé au scénariste, mais l'artiste est rarement mentionné à côté du nom de celui-ci ? De même, en visionnant les reviews de Youtubeurs, le plus souvent est mentionné l'auteur, mais pas le dessinateur. Comme si, en vérité, pour les éditeurs comme pour les lecteurs, un comic-book se dessinait tout seul...


Alors quand on donne la parole à quelqu'un comme Alex Maleev, c'est déjà un bel effort (et je dis sans flagornerie pour Comics Blog, dont le ton des articles est souvent agaçant). Surtout que Maleev a donc de l'expérience, il a travaillé pour Marvel, DC, des indépendants, il a même commencé dans l'auto-édition en Bulgarie.


Une chose qu'on apprend dans cette interview, c'est que le dessinateur reçoit le script de Bendis au fur et à mesure, et non d'un seul bloc. D'ailleurs, il confie préférer cela car il aime découvrir l'histoire progressivement, comme le lecteur, sans connaître la fin à l'avance. 

Cela peut sembler anecdotique, mais ça en dit plus long qu'on le croit sur Masterpiece notamment. L'histoire de cette série se déroule de telle manière qu'il est impossible d'anticiper : on ne sait pas ce qui va se passer, juste ce qui s'est passé. En l'occurrence, comment la fille unique d'un couple de voleurs légendaires a été abordé par un milliardaire qui a été leur victime, non pour se venger mais pour s'en prendre à une rivale. Mais cette rivale s'y est préparée et cherche à son tour à acheter les services de la jeune fille.

Dès lors, avec ses alliés, celle-ci entreprend de neutraliser ces deux adversaires. Mais jusqu'à présent, elle ignorait comment, ou plutôt toutes ses tentatives ont échoué. Mais dans cet épisode, elle a trouvé un moyen de touche Zero Preston, le milliardaire, en recrutant son fils, Solomon, qui n'a aucune affection pour lui. Et, à la fin du même épisode, Emma, l'héroïne, propose une alliance à Katie Roots, l'ennemie de Preston, pour, sans doute, tester son idée de faire d'une pierre, deux coups.

Revenons aux propos de Maleev sur la réalisation de la série. Le dessinateur est sur un quasi pied d'égalité avec le lecteur : il ignore le dénouement de l'histoire (même si, à cette heure, il a dû finir de la dessiner). Il doit donc composer avec ce manque et l'illustrer de manière crédible, avec des personnages qui avancent à tâtons, ne savent pas à qui se fier, sir leur plan va fonctionner.

C'est sur ce fil que de déroule la série et sur ce fil que nous avançons. D'où un sentiment de flottement dans la narration. On a l'impression que Bendis, coutumier du fait, dilue, décompresse, gagne du temps. L'intrigue ne semble pas beaucoup progresser. D'ailleurs, y a-t-il vraiment une intrigue ? Ou est-ce juste un prétexte pour montrer la formation de l'équipe d'Emma, encore incomplète au terme de cet épisode ? Ces questions sont légitimes.

Mais en vérité, tout ça colle : en effet, Emma est une jeune fille propulsée dans un monde, des affaires dont elle n'avait aucune connaissance. Elle a appris sur le tas qui étaient ses parents, qui étaient leurs amis et leurs ennemis, quel rôle lui attribuait Zero Preston puis Katie Roots. Elle a improvisé, en se fiant à la fois aux conseils des anciens (Gleason et Parangon), à l'amitié de ses recrues (Lawrence, Skottie, Solomon) et à son propre instinct. Autrement dit elle a constamment, depuis le début, le nez dans le guidon, aucun recul possible. Comme nous qui voyons les événements s'enchaîner sans bien saisir leur importance, leurs conséquences.

Il y a deux adultes très riches qui s'affrontent et au milieu une improbable équipe de vétérans et de débutants qui tentent de s'en tirer, sans être exploités par l'un ou l'autre camp. Ils sont désavantagés, mais pas découragés. Et un peu chanceux quand même. Tout ça est raconté avec fraîcheur mais de façon évidemment déroutante parce que ce n'est pas comme ça que c'est écrit habituellement.

Un scénariste est celui qui distribue les cartes, fait des plans. Le dessinateur est celui qui les met en forme. Et parce que Maleev tient à ne pas trop en savoir, il préserve le projet en lui conservant sa spontanéité, son déséquilibre. C'est malin, plus qu'on ne peut le croire a priori. On verra le mois prochain si ce processus étonnant aboutit à un vrai Masterpiece ou à un pétard mouillé. Mais on ne pourra guère lui reprocher de ne pas avoir essayé quelque chose d'inattendu et d'attachant.

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