samedi 18 mai 2024

CHALLENGERS (Luca Guadagnino, 2024)


2006. Patrick Sweig et Art Donaldson , amis d'enfance, remportent le tournoi junior de l'U.S. Open en double messieurs. Lors d'une soirée, ils font la connaissance de Tashi Ducun, jeune joueuse très prometteuse dont ils sont tous les deux amoureux et qu'ils invitent à boire un verre dans la chambre qu'ils partagent pour parler tennis. Mais l'ambiance se réchauffe quand elle les invitent à ses côtés sur le lit et qu'ils l'embrassent à tour de rôle. Elle promet alors de donner son numéro de téléphone à celui qui gagnera la finale junior en simple messieurs le lendemain.

 


C'est Patrick qui remporte la partie et le coeur de la jeune femme. Il rejoint le circuit professionnel alors que Art et Tashi s'inscrivent dans la même académie pour s'améliorer. Art pense que Patrick, souvent absent, ne prend pas son couple au sérieux et quand il rejoint Tashi, ils se disputent sur leurs ambitions sportives et sentimentales. Fâché, Patrick n'assiste pas au match que dispute Tashi et au cours duquel elle se blesse gravement au genou droit. Quand il resurgit à l'infirmerie, avec Art déjà là, Patrick est congédié sans ménagement par la jeune femme.


Malgré ses efforts pour renouer avec son plus haut niveau, Tashi renonce à sa carrière et Art la convainc de devenir son coach. Les années passent et ils deviennent amants puis époux et parents d'une petite fille. La carrière de Art en fait un champion que les sponsors s'arrachent. Mais la compétition la lasse. Pour le motiver avant l'U.S. Open, Tashi l'inscrit au tournoi de New Rochelle. Où Patrick, dont la trajectoire décline depuis longtemps, espère bien décrocher une invitation pour l'US Open...
 

Depuis le succès de Call me by your name, la carrière de Luca Guadagnino a, comme celle du personnage de Patrick Zweig, décliné sérieusement. Pourtant, ça ne l'empêche pas d'attirer des acteurs renommés. Ainsi, il a signé un remake de Suspiria (un classique de Dario Argento) puis une romance cannibale (Love and Bones, avec à nouveau Timothée Chalamet), et dans les prochains mois il sortira un nouvel opus avec Daniel Craig puis encore un autre avec Andrew Garfield et Julia Roberts.


Challengers est donc l'occasion pour Guadagnino de se refaire une santé avec de jeunes comédiens en plein boum. La critique a bien accueilli cet effort tout comme le public. Désormais disponible en VOD, j'en ai profité pour découvrir ce long métrage et vérifier s'il méritait ces louanges.


Sans être parfait, loin s'en faut, c'est effectivement concluant. Bon, c'est bien trop long pour ce que ça raconte (131' !), le cinéaste ne peut s'empêcher de racoler quelque peu avec un homo-érotisme facile, et sa réalisation semble davantage se concentrer sur la manière de rendre les matchs de tennis visuellement distrayant que sur la direction des acteurs et le traitement du script. Mais dans l'ensemble, ça fonctionne.


Ce qui m'a frappé, c'est que, justement, le scénario  de Justin Kuritzkes aurait pu raconter bien des choses sur le tennis, ses joueurs, leur rivalité, leurs amours, mais finalement, cela aboutit à une histoire de triangle amoureux très classique, une sorte de Jules et Jim dans le milieu de la petite balle jaune, sans le lyrisme du classique de Truffaut, encore moins son aspect romantique et tragique.

Au centre de l'intrigue, la belle Tashi, destinée à devenir une championne, joue avec les coeurs de deux beaux et jeunes tennismen. Elle se donne à l'un avant de le quitter pour un motif très artificiel (le punissant pour une blessure dont il n'est aucunement responsable et qui met fin prématurément à sa carrière). Inévitablement, elle tombe dans les bras de l'autre dont elle devient le coach, puis la maîtresse, puis la femme. Avant que le premier prétendant ne resurgisse et ne sème le trouble dans leur "trouple"...

Tout ça est cousu de fil blanc, et ni le scénariste ni le réalisateur ne font même semblant d'essayer de déjouer les attentes du public. Sauf qu'ils créent presque sans le faire attention un personnage plus attachant que les deux autres et qui fait dérailler cette mécanique pour raconter quelque chose de plus touchant, de plus vibrant aussi, de plus trouble surtout.

Le personnage de Tashi rappelle des championnes précoces au destin plus ou moins contrariés (j'ai pensé à Monica Seles, dont la carrière ne se remit jamais d'une agression au couteau par un fan dérangé). Celui de Art évoque les machines à gagner imperturbables comme Borg, Federer (même si son interprète, lui, dit s'être inspiré d'Agassi - c'est complètement loupé car Agassi était bien plus extravagant même s'il a avoué, une fois retraité, avoir souvent détesté la compétition). Mais c'est bien Patrick qui s'avère le plus intéressant, celui qu'on aime le plus, parce que c'est l'archétype du loser magnifique, celui dont on souhaite qu'il prenne sa revanche.

Guadagnino s'échine donc comme un beau diable à filmer les échanges sur les court avec le plus d'imagination possible : on a droit à la caméra-balle (qui aurait tendance à vous donner la nausée), à des panotages de caméra hyper rapides (pas génial pour la lisibilité de l'action), moult plongées et contre-plongées, des plans filmés à travers des transparences (comme si les joueurs étaient debout sur une surface transparente comme du verre)... Tout ça est rigolo au début, lassant à la fin. Dans le même genre, il existe un film, méconnu et charmant, La Plus Belle Victoire (Richard Loncraine, 2004, avec Kirsten Dunst et Paul Bettany), qui était bien plus sobre et tout aussi efficace.

Construit de façon non-linéaire (avec de fréquents allers-retours présent-passé), le film produit un effet de superficialité constante, comme s'il fallait absolument compliquer quelque chose qui est pourtant très simple mais qui tue dans l'oeuf beaucoup de l'émotion potentielle.

Reste donc les trois acteurs principaux. Zendaya est une nouvelle impeccable, cabotine jusque ce qu'il faut, avec ce charme affolant, cette présence, ce charisme indéniables. Mike Faist est un peu fade en champion fatigué. Par contre, Josh O'Connor domine tout le film avec une composition d'ex-espoir déchu, dont on ne sait jamais s'il est un tire-au-flanc provocateur ou simplement un type brisé par un chagrin d'amour jamais cicatrisé. C'est lui le meilleur personnage du film, son meilleur joueur.

Parfois horripilant, parfois fulgurant, frimeur mais prenant, Challengers a vraiment les qualités de ses défauts (à moins que ce ne soit le contraire). Pas suffisant pour faire de Guadagnino le grand cinéaste qu'il pense être. Mais largement pour confirmer que Zendaya et Josh O'Connor sont, eux, déjà en haut du classement ATP.

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