mardi 21 mai 2024

MOTHERS' INSTINCT (Benoît Delhomme, 2024)


Années 1960. Dans leur banlieue chic, Celine et Alice sont deux voisines, toutes deux mères de garçons du même âge. Alice organise une fête surprise pour l'anniversaire de Celine au cours de laquelle cette dernière et son mari, Damian, remarque des tensions dans le couple de leur amie et de son époux Simon (elle aimerait retravailler comme journaliste dans un quotidien de presse écrite, il est réticent). 


Le lendemain, Max, le fils de Celine et Damian, manque l'école, fiévreux. Mais Alice le remarque plus tard dans la matinée, debout sur le bord du balcon de sa chambre en train d'essayer d'accrocher à la branche d'un arbre le nichoir qu'il reçu en cadeau la veille. Elle court avertir Celine mais quand celle-ci atteint la chambre, son fils a fait une chute mortelle.


Après l'enterrement, Celine s'absente pendant un mois pour se remettre. A son retour, elle se réconcilie avec Alice qu'elle avait évité après le tragique accident de Max. Theo, le fils d'Alice et Simon, se rapproche de Celine au point de l'inviter à sa fête d'anniversaire, malgré les réserves de sa grand-mère qui ne trouve pas cela très approprié. D'ailleurs, cette dernière est foudroyée par un infarctus après les festivités.


Alice soupçonne quelque chose et demande à ce que soit pratiquée une autopsie qui révèle que sa belle-mère ne prenait plus ses médicamentes pour le coeur. Elle se met alors à soupçonner Celine dont le comportement envers son fils est de plus en plus invasif...


En dire plus serait criminel car Mothers's Instinct est un film positivement surprenant. Mais d'abord revenons sur sa genèse. Au départ, il y a le roman de Barbara Abel, Derrière la haine, qui est adapté une première fois en 2018 sous le titre Duelles, par le réalisateur Olivier Masset-Depasse, avec dans les rôles principaux Vicky Kripes et Anne Coesens.


Pas vraiment un gros succès au box office mais suffisant apparemment pour attirer l'attention de la société de production de Jessica Chastain qui en acquiert les droits pour un remake. Mieux même : la star souhaite que Masset-Depasse en reste le réalisateur. Sauf que celui-ci finit par décliner l'offre et c'est au directeur de la photographie Benoît Delhomme que revient le poste.
 

Delhomme est déjà connu aux Etats-Unis (on lui doit entre autres la photo sublime de Inside Llewyn Davis des frères Coen). Entre temps, Chastain convainc son amie Anne Hathaway (avec qui elle partagea l'affiche d'Insterstellar de Christopher Nolan, même si elles n'avaient aucune scène ensemble) de rejoindre le projet.

Mothers' Instinct commence comme un suburban drama classique, il évoque d'ailleurs ouvertement des séries comme Desperate Hosewives ou Why Women Kill, avec ses deux héroïnes névrosées dans les années 60. Celine et Alice sont des mères au foyer entretenues par leurs riches et beaux époux mais qui s'ennuient dans leur existence étriquée. En revanche, ce sont deux mères aimantes, très attachées à leur progéniture qu'un tragique accident va éprouver quand Celine perd son fils.

La riche idée du casting est de ne pas avoir donné les rôles aux actrices les plus prévisibles. Anne Hathaway endosse celui de Celine, la plus durement frappée, alors que Jessica Chastain interprète Alice, son amie. En brouillant ainsi les cartes, le récit devient plus imprévisible car on n'imagine pas la douce et belle Hathaway dans la peau d'une femme qui va dérailler tandis que Chastain joue celle qui sombre (à tort ? A raison ?) dans la paranoïa.

L'autre réussite du scénario, c'est d'écarter les maris. Damian s'isole et sort du cadre, on ne fait que deviner les tensions dans son couple, son alcoolisme suite au drame, ses reproches tacites contre sa femme. Simon est un peu plus présent avec Alice mais il se montre perplexe devant les soupçons de celle-ci et préfère rester à distance.

On se concentre donc sur les deux amies et entre elles sur Theo, le fils d'Alice, envers qui Celine adopte un comportement de plus en plus déroutant. Elle s'y attache démesurément d'abord, et le spectateur interprète ça comme une manière pour elle de rapporter l'amour qu'elle avait pour son enfant sur celui de sa meilleure amie. C'est dérangeant, mais pas choquant.

Toutefois, ça va le devenir à mesure que le script et la réalisation nous suggère que peut-être Celine est vraiment capable du pire. Et si, en fait, elle cherchait à éliminer Theo, comme si elle voulait que Alice éprouve la même peine atroce qu'elle ? La mort de la grand-mère du garçon, dans des circonstances troubles (l'autopsie révèle qu'elle ne prenait plus ses médicaments pour le coeur et le mari de Celine travaille justement dans l'industrie pharmaceutique), souligne le malaise.

Ne croyez pas pourtant que Mothers' Instinct a révélé toute sa perversité. Jusqu'au bout, le spectateur ne verra rien venir. On est aussi inquiet que Alice, tout en compatissant pour Celine. Il y a des scènes vertigineuses, comme lorsque Theo veut lui aussi se jeter du balcon de sa chambre et qui remettent une pièce dans la machine. On ne sait littéralement jamais sur quel pied danser dans cette histoire qui se mue en un suspense parfait.

Pour ses premiers pas derrière la caméra, Benoît Delhomme s'en sort donc magistralement. Il sait créer une ambiance perturbante, le rythme est parfaitement dosé, les rebondissements jamais outranciers. Et sa direction d'acteurs témoigne d'une vision aboutie.

Anne Hathaway est extraordinaire d'ambiguïté en Celine, cette femme que le deuil pourfend complètement. Face à elle, Jessica Chastain est également exceptionnelle en voisine les nerfs à vif (seule bizarrerie : pourquoi s'est-elle teinte en blonde alors que c'est une splendide rousse, dont l'enfant est également roux dans le film ? C'est un détail, mais ça n'a cessé de m'interroger pendant tout le film). Josh Charles et Anders Danielsen sont évidemment éclipsés mais c'est un choix dans la narration, pas un manque de talent.

En tout cas, la prochaine fois que vous verrez un gamin à un balcon, vous allez sérieusement flipper après avoir vu Mothers' Instinct.

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