lundi 13 mai 2024

DAREDEVIL & ELEKTRA, VOLUME 3 : THE RED FIST SAGA, PART 3 (Chip Zdarsky / Marco Checchetto et Rafael de Latorre)


Le poing a été brisé. Mais la Main a été défaite. Daredevil, sauvé de la destruction de l'île de Makanrushi par le Dr. Samson et Bullet, est à présent hébergé à New York par Cole North qui vient de présenter sa démission à la police. Elektra est en prison, Foggy et Stick sont morts, les super-vilains échappés du Myrmidon y sont à nouveau incarcérés. 


Secoué par North, Daredevil prend sur lui de réparer ce qu'il a provoqué. Pour cela, il le sait, il doit affronter les Stromwyn, qui ont financé la Main mais craignent désormais que les Avengers ne les dérangent. Daredevil offre donc d'être leur espion dans la communauté super-héroïque contre la libération de Elektra. Il obtient cela puis s'en prend à Quinn Stromwyn devant sa soeur Una afin qu'elle fasse aussi libérer les super-vilains.


Il ne reste plus à Daredevil qu'à réaliser la prophétie du grimoire du Poing en allant défier directement la Bête, ce monstre infernal que la Main vénère et dans l'enfer duquel se trouvent ses mis disparus. Quitte à ce que ce soit un voyage sans retour...


Les épisodes 11 à 14 de Daredevil & Elektra sont les derniers de cette série mais aussi les derniers écrits par Chip Zdarsky qui achève donc là un run long de quatre ans. Il est toujours périlleux de conclure son passage sur un titre, surtout après un bail aussi conséquent et des intrigues audacieuses. En même temps, comme j'ai déjà eu l'occasion de le signaler, il existe une curieuse tradition chez les auteurs de Daredevil...


... Qui consiste à quitter la série en laissant à son successeur une situation compliquée. C'est particulièrement vrai depuis une vingtaine d'années quand Brian Michael Bendis transmit le flambeau à Ed Brubaker après avoir jeté Daredevil en prison. Brubaker, à son tour, passa le relais à Andy Diggle avec DD à la tête de la Main. Puis Mark Waid dut gérer les conséquences de Shadowland après que Daredevil ait été possédé. 

Charles Soule dut trouver une astuce pour justifier que Daredevil ait à nouveau une double identité secrète. Et Chip Zdarsky récupéra le personnage après un accident qui failli lui coûter la vie. Je ne vais pas vous dévoiler comment Zdarsky abandonne DD à Saladin Ahmed car la série en vo n'a repris que depuis quelques mois et j'ignore à quand Panini la traduira (si elle sera traduite). Tout ce que je peux vous dire, c'est que cette reprise est absolument grotesque, d'une nullité crasse, et voit défiler un nombre absurde d'artistes moyens puisque Marvel avait misé sur Aaron Kuder, qui n'a jamais été capable d'enchaîner trois épisodes. C'est triste, mais je crois qu'on n'a pas vu l'homme sans peur entre de si mauvaises mains depuis un bail...

Revenons donc à la fin du run de Chip Zdarsky. Le tome précédent de Daredevil & Elektra s'achevait sur une note très noire et on pouvait légitimement se demander comment le scénariste allait rebondir. Mais ce dernier a de la ressource et surtout le souci de boucler ses intrigues, d'aller au bout de ses idées. Le Poing et la Main, c'est terminé. Elektra et les super-vilains recrutés pour cette guerre entre les deux sectes croupissent en prison. Cole North démissionne de la police. Foggy et Stick sont morts. 

Logiquement, Daredevil est brisé. Mais North l'oblige à réagir et à réparer. Les quatre épisodes à venir sont placés sous le signe de cette réparation, mais comme avec DD rien n'est simple, rien n'est paisible, il y aura des sacrifices, terribles. Pour résumer : le héros va comprendre que le Poing était un mensonge comme la Main, il n'a pas été inspiré par Dieu, il s'est trompé. Il doit expier cette faute et ramener littéralement les morts de l'enfer.

Cela va passer par un affrontement direct avec les Stromwyn, puis Elektra, avec le retour, bref mais décisif de Blindspot (une création de Charles Soule, qui prouve encore une fois à quel point Zdarsky aura été l'auteur qui aura eu le plus à coeur de réhabiliter le travail de son prédécesseur, mais aussi de synthétiser celui des scénaristes les plus marquants dans son propre panthéon, avec Kirsten McDuffie introduite par Mark Waid, Typhoid Mary par Ann Nocenti, Wilson Fisk tel que réinventé par Frank Miller).

C'est bien entendu délicat d'analyser ces épisodes sans spoiler. Mais disons que la réussite de Zdarsky repose sur le fait qu'il poursuit son récit dans la direction qu'il a souhaitée : quelque chose de baroque, de fou, de furieux, d'épique, de mystique. Par exemple, il est plus question de foi que de religion à proprement parler : son Daredevil est toujours ce catholique mu par le besoin d'expier ses fautes, d'éprouver ses échecs, d'être guidé par l'amour de Dieu. Mais alors qu'au tout début de son run, on voyait en flashback le jeune Matt Murdock fréquenter l'église, plein de colère contre ce Dieu qui lui avait ôté la vue, puis enlevé son père, à la fin de son parcours il n'a plus besoin de communiquer avec un intermédiaire du Seigneur : il est littéralement illuminé, agi par une force mystique, douloureuse, mais motrice.

En revenant sur ses pas, comme le montre une très belle scène dans l'épisode 11, on mesure avec lui les déceptions qui le hantent, les chagrins qui le déchirent. La géographie de New York, de Hell's Kitchen épouse sa propre géographie intime : il passe devant le magasin où il a tué Leo Carraro, la librairie tenue par Mindy Libris, son appartement (où il a vécu avec son père Jack, Karen Page, son père, Milla Donovan, Kirsten McDuffie, Foggy Nelson, son "frère" Mike, et bien sûr Elektra). Il va à nouveau quitter New York avec la certitude encore plus prononcée qu'il n'y reviendra pas car là où il va, on n'en revient normalement pas.

Tout cela trouve un écho dans le 14ème épisode où divers personnages se souviennent de Matt Murdock, croient le voir. Désormais c'est lui qui hante les autres. Un dialogue bref mais superbe entre Foggy et Reed Richards réfléchit sur l'impossible retour en même temps que la permanence de l'essence d'un individu. C'est sans doute un des dénouements les plus définitifs qui soit avec celui de la fin du run de Waid, de ceux où on imagine qu'il a pu traverser l'esprit de certains chez Marvel que DD cesse d'exister, ici avec quelqu'un qui reprend son pseudonyme et sa mission de protecteur de Hell's Kitchen.

Je ne dirai pas que cela me ravirait car je suis attaché au personnage de Matt Murdock. Mais j'ai vu au cours des dernières années des tentatives de remplacer l'alter ego d'un héros être réussies et aboutir à des réalisations presque aussi passionnantes que les personnages classiques (Bucky en Captain America, Jane Foster en Thor notamment). Je ne souhaite pas la mort de Matt Murdock, mais je serai pas affligé si, par exemple, Elektra devait rester Daredevil. D'ailleurs, Zdarsky le justifie via la voix off de Matt dans une scène magnifique : en endossant son rôle, Elektra s'est améliorée, s'est rachetée, elle est meilleure que lui à bien des égards.

Rafael de Latorre tire sa révérence sur le titre en dessinant l'épisode 11 : il s'en acquitte avec maîtrise. Visiblement pourtant, ça n'a pas suffi à convaincre Marvel de lui faire signer un contrat d'exclusivité (que l'éditeur offre à des artistes moins doués) puisqu'il a fait ses valises dans la foulée pour aller chez DC où il fait équipe avec Tom King sur la série Le Pingouin.

Puis Marco Checchetto enchaîne les trois derniers numéros. Comme il l'a dit lui-même, cette expérience sur Daredevil a été la plus aboutie de sa carrière. Il ne manque pas sa sortie, on le sent très motivé et inspiré et ses planches dégagent cette puissance qu'a le travail d'un dessinateur désireux de prouver qu'il laissera sa marque sur un titre. Le découpage est superbe, les compositions amples, généreuses, plusieurs scènes sont absolument à couper le souffle. Magistral. Ce qui manque à ce grand artiste ? La capacité à produire plus d'épisodes d'affilée : avec ça, il égalerait son compatriote Valerio Schiti.

J'ai relu ces épisodes avec plaisir, appréciant des éléments que je n'avais pas mesuré à leur juste valeur précédemment. J'ai essayé de les partager avec vous sans trop déflorer le contenu pour ceux qui n'aurait pas tout lu de ce run. Au plaisir.

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