lundi 6 mai 2024

CIVIL WAR (Alex Garland, 2024)


Une guerre civile a éclaté qui oppose les forces armées du gouvernement américain et celles du Texas et de la Calfornie qui se sont alliées pour renverser le Président. Celui-ci a modifié la Constitution pour remplir un troisième mandat d'affilée, a dissous le FBI et n'a pas hésité à bombarder des populations civiles. A New York, dans le quartier de Brookly, la police tente de contenir avec difficulté une manifestation lorsqu'un attentat-suicide fait plusieurs victimes. Sur les lieux, la reporter de guerre Lee Smith protège Jessie Cullen, débutante dans le photojournalisme.


Lee et son collègue Joel se retrouvent dans un hôtel en compagnie de Sammy, un vétéran du "New York Times", qui apprend leur projet de gagner Washington DC pour y interviewer et photographier le Président. Il demande à faire partie du voyage car il souhaite se rendre à Charlottesville pour des raisons privées. Lee accepte à contrecoeur et va se coucher. Elle croise à nouveau Jessie qui part convaincre Joel de la prendre elle aussi à bord.


Lee découvre le lendemain matin cette passagère et elle est contrariée. Mais Joel veillera sur la jeune photographe. C'est parti pour un road trip de 1 000 km parsemé d'embûches en tout genre : une station-service tenue par des miliciens qui torturent de soi-disant pillards, des hommes des forces de l'Ouest contre des loyalistes, un arrêt dans une bourgade où tout le monde semble ignorer les événements, une fête foraine devenue le théâtre d'un duel de snipers, trois membres d'un escadron de la mort...


... Et en fin de parcours, l'entrée dans Washington jusqu'à la Maison-Blanche assiégée où va se jouer le destin de plusieurs personnages...


Alex Garland est une des figures les plus passionnantes venues d'Angleterre pour travailler à Hollywood. D'abord romancier (La Plage ; Tesseract) après avoir tenté de devenir correspondant de guerre, il devient scénariste pour Danny Boyle (La Plage ; 28 Jours plus tard ; Sunshine...), producteur (Auprès de moi toujours ; Judge Dredd) avant de passer enfin derrière la caméra.


Il signe trois longs métrages dont deux chefs d'oeuvre (Ex_Machina et Annihilation, des succès critiques mais des échecs commerciaux) et une série télé fabuleuse (Devs), avant de sa gaufrer avec Men, son dernier film en 2022. Il pense alors tout arrêter et revenir à la seule écriture. Puis convainc le studio A24 d'investir leur plus gros budget pour Civil War.


Et ce qui frappe, c'est que, loin de livrer un blockbuster facile, Garland change tout dans sa façon de faire. Spécialiste de drames SF en quasi huis-clos, il sort de sa zone de confort pour mettre en scène une dystopie très politique mais où les vrais héros sont des journalistes. Un angle qui modifie tout le sujet qu'il explore, une forme d'hommage aussi à cette profession.

Comme beaucoup, Garland a été marqué par l'assaut mené sur le Capitole le 6 Janvier 2021 suite au refus de Donald Trump, président des Etats-Unis, de reconnaître la victoire de Joe Biden. Une horde de vandales saccage le siège du Congrès américain et va conduire à de nombreuses arrestations dans les jours, les semaines et les mois qui suivent. Le symbole est fort et choquant et rappelle à tous, partout dans le monde, que la démocratie est fragile et que la polarisation est extrême.

Cet électrochoc parcourt tout le film, même si l'action se situe dans un futur proche mais indéterminé où le Président en place a modifié la Constitution pour accomplir un 3ème mandat consécutif, dissous le FBI et n'a pas hésité à faire bombarder des civils protestant contre ces abus de pouvoir. Quand l'histoire débute, le pays est à feu et à sang mais le vent est en train de tourner : des Etats, pourtant historiquement politiquement opposés, comme la Californie (bastion démocrate) et le Texas (ouvertement républicain) ont uni leurs forces pour affronter l'armée régulière et s'apprêtent à lancer un assaut décisif sur Washington.

Quatre journalistes, deux hommes, deux femmes (toutes deux photographes), décident de rallier New York à la capitale fédérale pour interviewer et photographier le Président avant sa chute programmée (même si lui assure que la victoire de ses troupes est inéluctable et imminente). Garland refuse de prendre parti et laisse délibérément dans le flou les orientations politiques des uns et des autres : le Président en place est-il démocrate ou républicain ? Et ses opposants ? Et les quatre journalistes ? Ce n'est ni de la lâcheté de la part du cinéaste ni une volonté de renvoyer tout le monde dos à dos, mais bien un manifeste pour que le spectateur juge la situation sur un plan humain et non partisan.

Lors de leur road trip, les quatre héros affrontent des situations très diverses et qui les éprouvent différemment : Lee Smith est une photoreporter aguerrie mais qui ne croit plus dans la vertu de sa profession, jugeant qu'aucun article, aucune photo ne fera changer d'avis un citoyen. Joel est un interviewer qui marche à l'adrénaline, tout ce chaos représente pour lui une page d'Histoire à raconter et il veut en faire partie. Jessie Cullen est une photojournaliste débutante et freelance qui ne se rend pas compte de ce dans quoi elle se lance, du danger de cette profession mais qui veut s'y imposer. sammy est un vétéran revenu de tout mais qui a conservé la mesure nécessaire pour écrire le plus objectivement, rapporter les faits.

Garland confronte ses protagonistes et les spectateur à une ambiance oppressante en permanence. Les occasions de relâcher la pression sont rares et précieuses, mais on peut prendre une balle perdue à tout moment et pourtant être obligé de continuer à documenter le réel, l'actualité. Cette tension est à la fois électrisante et anesthésiante : on remarque bien que, dans le feu de l'action, ces journalistes ne se rendent plus compte de ce qu'ils traversent, ils sont emportés par le flot des événements, doivent constamment improviser et surtout ne pas faire de sentiment. D'ailleurs, quand Jessie demande à Lee si elle la prendrait en photo si elle venait à être abattue, celle-ci lui répond froidement : "qu'est-ce que tu crois ?". Cette réplique trouvera un écho particulièrement poignant à la toute fin de l'aventure.

Les Etats désunis d'Amérique dans le film :
- En bleu : les loyalites (l'armée gouvernementale),
- en vert : les forces de l'Ouest (Texas et Californie),
- en rouge : l'alliance de Floride (force indépendante),
- en jaune : l'armée populaire (les miliciens).

Garland, donc, ne ménage personne. Sa mise en scène est nerveuse, spectaculaire - tellement qu'on a du mal à croire que le film n'ait coûté "que" 65 M $ !. Le travail sur le son est impressionnant : les détonations sont assourdissantes, on s'y croirait. La photo est somptueuse, réussissant à révéler de la beauté dans l'horreur (comme cette traversée aux abords d'une forêt en feu). C'est tout bonnement exceptionnel de maîtrise et ça confirme à la fois tout le bien qu'on pouvait déjà penser de Garland réalisateur mais aussi de sa mue avec ce film.

Toute l'entreprise, narrative, formelle, trouve son apothéose dans le dernier quart d'heure absolument dantesque qui suit la bataille de Washington. Les blindés entrent en action comme les hélicoptères, le Mémorial de Lincoln est dévasté, la Maison-Blanche assiégée. L'émotion vous submerge, non seulement par la portée de ces images si fortement symboliques mais aussi par le fait que Lee est victime d'une crise de panique au pire moment : sujette à du stress post-traumatique (depuis les campagnes qu'elle a couvertes en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie, montrées au tout début du film dans un flashback sans commentaire et fulgurant), elle craque complètement alors que Jessie est galvanisée par les événements, confirmant à la fois son potentiel mais aussi son intrépidité. Là encore, on retient son souffle plusieurs fois, on sursaute sur son fauteuil, on est immergé comme jamais.

Le talent des acteurs fait le reste et Garland a composé un casting formidable : Kirsten Dunst est magnifique dans le rôle de Lee, sans aucun doute son plus rôle. Wagner Moura, révélé dans la série Narcos, est épatant dans celui de Joel. Stephen McKinley Henderson hérite d'une partition plus classique de vieux sage mais à laquelle il donne une dignité, une humanité bouleversante. Et Cailee Spaeny, la découverte lumineuse de Priscilla, est éblouissante dans la peau de Jessie. Mention aussi à Jesse Plemons, M. Dunst au civil, non crédité au générique, qui a remplacé au pied levé un comédien, et qui est absolument terrifiant en membre d'un escadron de la mort lors d'une séquence à couper au couteau. Et bien entendu, on n'oublie pas Nick Offerman dans le petit rôle du Président. Ni Sonoya Mizuno, l'actrice fétiche de Garland dans le rôle d'une correspondante officielle de l'armée irrégulière.

Civil War est un chef d'oeuvre, ça va presque de soi dès les premières scènes mais c'est confirmé à la fin. C'est aussi, surtout, un film essentiel en ces temps troublés où le métier de journaliste et de reporter est constamment dénigré par la classe politique et dévoyé par certains commentateurs qui ont muté en militants prosélytes. Ce grand spectacle intelligent et intense ranime un genre en soi : le blockbuster adulte.

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