mardi 9 septembre 2025

LES HUIT SALOPARDS (Quentin Tarantino, 2015)


Une diligence conduit par O.B. Jackson transporte le chasseur de primes John "le bourreau" Ruth et sa prisonnière Daisy Domergue quand elle s'arrête face au major Marquis Warren, ancien soldat noir nordiste devenu lui aussi chasseur de primes et qui doit se rendre à Red Rock pour y livrer les deux criminels qu'il a tués. Son cheval est mort en route. Ruth reconnaît Warren avec qui il a partagé une table huit mois avant. En route, il lui demande s'il a toujours la lettre que lui a personnellement adressé le Président Abraham Lincoln et Warren accepte de la lui montrer.


La diligence s'arrête à nouveau quand un homme se présente devant elle : il s'agit de Chris Mannix, un ancien soldat confédéré qui doit aller aussi à Red Rock pour y remplacer le shérif récemment tué. Bien qu'il n'en croit pas un mot, Ruth le laisse monter mais Mannix connaît Warren de réputation car il a incendié durant la guerre une base sudiste, tuant 47 hommes dont des unionistes, ce qui lui a valu d'être renvoyé de l'armée (ses états de service lui ont évité d'être fusillé).


La diligence dépose ses passagers à la mercerie de Minnie, la dernière auberge avant Red Rock alors que le blizzard rend la suite du voyage impossible. A l'intérieur, ils trouvent Oswaldo Murray, le bourreau qui doit pendre Domergue ; John Gage un cowboy qui rédige ses Mémoires ; Sanford Smithers un ancien général sudiste ; et Bob à qui Minnie a confié son établissement pendant qu'elle visite sa mère avec son époux et sa servante. O.B. les rejoint après avoir mis à l'abri ses chevaux dans l'écurie...


A peine deux ans après Django Unchained, Quentin Tarantino double la mise avec un autre western. Pourtant The Hateful Eight (en vo) a bien failli ne jamais voir le jour. En effet le cinéaste avait transmis une première version du script à quelques acteurs pressentis pour tenir un rôle mais il a fuité sur le Net. Dégoûté, Tarantino renonce, déclarant qu'il publiera son manuscrit sans le réaliser.


Mais ses producteurs (à l'époque, il l'ignore encore mais ce sera son dernier film produit par Bob et Harvey Weinstein) et amis le convainquent d'en faire une lecture publique avec les comédiens initiaux. Cela motive Tarantino à revoir son texte et surtout à le mettre en images. Avec l'ambition affichée d'aller plus loin qu'il ne l'a jamais fait...


En 2015, c'est un artiste reconnu, intouchable. Ses films ont du succès auprès de la critique et du public, il a accédé comme ses idoles au rang de cinéaste culte, tout le monde veut travailler avec lui et les Weinstein lui signe un chèque en blanc. Mais Tarantino semble animé par la volonté de faire exploser tout ça en éclats.


Pourquoi ? Parce qu'en un mot, il est devenu respectable. Ce qui équivaut pour lui, qui fut l'enfant terrible et prodige à la fois de Hollywood depuis déjà plus de vingt ans, à être rentré dans le rang. Or ses maîtres étaient tous des francs-tireurs, des marginaux, des outsiders, des artisans du cinéma d'exploitation. Leur manque de reconnaissance leur offrait la liberté...

... Et la considération de Tarantino. Devenir respectable, c'était une forme de trahison pour lui, un embourgeoisement. Etait-il encore seulement capable de déranger tous ses adorateurs comme quand il livra au monde Reservoir Dogs ou qu'il les surpris avec Boulevard de la Mort ? Les Huit Salopards allaient répondre à ces interrogations.

Disons-le tout net : ce n'est pas son meilleur film. Avec ses 168' au compteur, il est long, trop long. Il est également très bavard - comme toujours, direz-vous. Oui, mais là, il l'est excessivement. Et violent, de manière complaisante, presque pornographique. Mais... Mais malgré ça, malgré tout ça, il est évident que c'est voulu.

Tarantino a choisi d'abuser de ses privilèges pour éprouver son monde. Oui, il allait faire un film plus long que tous ses autres films (excepté Kill Bill qui avec ses deux parties excèdent les 240'), plus bavard, plus violent, plus trash. Il allait signer une oeuvre mal peigné, mal polie, de mauvaise humeur - ou plutôt exagérément sarcastique. Un film sale, bête, méchant.

S'il avait été son dernier opus, on aurait pu voir The Hateful Eight comme le miroir déformant de Reservoir Dogs avec qui il partage la même théâtralité (quasiment les 3/4 du film se passent à l'intérieur de l'auberge), la même bestialité, le même bain de sang, et pas mal d'acteurs à 23 ans d'écart. Heureusement, il a choisi de se racheter, en quelque sorte, avec Once upon a time... In Hollywood.

Ce n'est pas un film sympa ni cool. Les titres original et français sont différents mais renvoient chacun à leur manière justement à ceux qui peuplent cette histoire : il n'y en a pas un pour sauver l'autre. Pire : sin on le juge avec les yeux d'un spectateur considérant les limites sociales et culturelles du XXIème siècle, il est affreux, alors que, dans le contexte de l'époque de l'intrigue, il est juste.

Django Unchained se déroulait avant la guerre de sécession. Les Huit Salopards parle abondamment de l'après-guerre avec des personnages qui ont tous combattu, dans un camp ou un autre, et qui n'ont rien oublié ni pardonné de ce que l'autre a infligé. Un ressentiment pesant et malsain habite tous les protagonistes qui se vouent une haine sans limite et sans fin, sans aucun espoir de réconciliation.

Mais ce qui achève, littéralement, le spectateur dans cet océan de noirceur, c'est qu'aucun des personnages n'est fréquentable, respectable. Et souvenez-vous de ce que je disais de Tarantino quand il a conçu ce projet : motivé à la fois par l'envie de matérialiser un film qui a failli lui échapper et de fuir son image devenue bourgeoise, il l'a complètement transmis sur la pellicule.

Il prend beaucoup de temps à introduire ses personnages principaux (Ruth, Domergue, Warren, Mannix). Puis une fois tout le monde enfermé dans l'auberge, c'est un concours de joutes verbales, grossières, vulgaires, un étalage ahurissant d'horreurs où chacun se défie, se traite de menteur, d'assassin, se soupçonne.

Insensiblement, par petites touches, le western en huis clos devient un whodunnit policier. Pourquoi y a-t-il des bonbons coincés dans les lattes du plancher ? Où sont passés Minnie, son mari, leur employée ? Qui est vraiment ce cowboy qui écrit ses Mémoires ? Et cet anglais qui prétend être un bourreau ? Que fait là ce vieux général sudiste ? Et qui est ce mexicain qui tient l'endroit en l'absence de la tenancière ?

Un piège infernal va se refermer lentement mais intensément sur ce groupe d'individus. Et, sans rien spoiler, cela finira dans un véritable bloodbath, encore pire que celui de Reservoir Dogs. Comme dans Django Unchained, chaque coup de feu retentit avec un bruit assourdissant, perce les chairs dans un éclat d'hémoglobine qui souille la caméra, les coups les plus vicieux et méchants règnent...

On a reproché à Tarantino son usage abondant du mot "nègre", le traitement réservé au personnage  de Domergue... Je le répète : c'est un film sale, affreux et méchant. Le cinéaste teste son audience et s'amuse visiblement à être odieux, comme pour voir ce qu'on est prêt à lui passer. C'est parfois insoutenable, complaisant, mais ça a le mérite d'être honnête, franc. Il ne nous trompe pas sur la marchandise.

Pour bien faire, en somme, il aurait fallu que cela soit sanctionné par un bide cuisant au box office, histoire d'en faire un de ces films maudits parce que mal embouché, scandaleux, ignoble, repoussant. Mais ce fut un nouveau succès. Même si, cette fois, même certains fans furent choqués. Moi-même, la première fois, alors que j'avais zappé Django..., la projection de The Hateful Eight m'avait perturbé.

Le casting est un festival de gueules : Samuel L. Jackson retrouve devant la caméra de son réalisateur favori un rôle insensé. Kurt Russell revient pour une composition de haut vol. Bruce Dern, aperçu dans Django, est hallucinant. Walton Goggins, également au second plan dans Django, a cette fois droit aux honneurs d'un personnage mémorable. Et Michael Madsen, paix à son âme, est égal à lui-même.

Dans la peau de Daisy Domergue, Tarantino a mis du temps à trouver son interprète. Initialement, il avait prévu Amber Tamblyn (qui participa à la fameuse lecture publique). Puis il envisagea Jennifer Lawrence (elle aurait géniale, mais elle a préféré Joy de David O. Russell, où elle était géniale). C'est finalement Jennifer Jason Leigh qui a décroché le gros lot. Et elle est phénoménale.

Je vous laisse la surprise concernant le rôle de Channing Tatum

Enfin, il faut noter que, pour la première fois, Tarantino a voulu une musique originale pour son film. Et il s'est adressé au maestro en personne, rien moins que l'immense Ennio Morricone. C'est tout bonnement sublime.

Vous voilà prévenu : Les Huit Salopards méritent bien leur nom. Et le film est à la fois fantastique et too much comme aucun autre.

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